Chapitre 1
JOUR 1
POV Ariadna
" Le Cupido a atteint sa vitesse de croisière. Vous pouvez vous lever, mesdemoiselles."
La voix venue de la Terre me réveille, et je m'extirpe sans regret de mon lit où j'ai passé les dernières heures sanglées.
Nous y sommes. Enfin.
Dans le vaisseau qui nous mènera à Mars - et à l'amour.
J'ai l'impression d'avoir attendu toute ma vie cet instant - plus encore que l'instant où j'ai décollé, plus encore que l'instant où j'ai prêté serment, j'ai attendu l'instant où je me réveillerai au bord du Cupido et que je réaliserai que la première séance de speed-dating, c'est aujourd'hui. Dans quelques heures.
Bien entendu, je n'ai pas attendu toute ma vie - seulement un peu plus d'un an. Mais ce matin, j'ai l'impression que ça fait bien plus longtemps.
Je regarde mes compagnes s'étirer et s'extirper à leur tour de leurs combinaisons. Elles sont toutes magnifiques - les gens chargés de la sélection ont fait du beau boulot. Moi, à côté, je me sens terriblement laide, je ne comprends pas comment j'ai pu me retrouver là...
J'espère qu'un des six garçons saura regarder au-delà des apparences.
Il y a 40% de gravité terrestre dans la chambre, " l'étage" le plus bas de nos appartements. A chaque étage, cette gravité baisse de 10%, pour se retrouver en apesanteur dans le Parloir, cette boule de verre où nous rencontrons nos promis. Je n'ai donc aucun mal à me hisser jusqu'au séjour, la véritable pièce à vivre du vaisseau.
Je jette un coup d'oeil aux caméras qui semblent guetter le moindre de mes mouvements. C'est un peu perturbant, mais je suis sûre que je vais m'y habituer. Après, je n'ai pas signé pour la gloire, pour devenir l'idole de millions de Terriens - simplement pour trouver l'amour et fonder un nouveau monde. Alors, je suis certaine de pouvoir faire abstraction de cet aspect moins plaisant.
Je sors nos rations pour le petit-déjeuner - je meurs de faim. A vrai dire, j'adore manger, et je n'ai même pas honte de le dire. Bien sûr, en voyant, dans un miroir, mon grand corps carré, musclée, une armoire à glace, comparé à celui plus fin et féminin des autres, je me sens un peu moins sûre de moi - un garçon me trouvera-t-il séduisante ? Assez séduisante pour vouloir faire de moi sa femme ?
Puis Amber, à la silhouette de déménageuse, tout comme moi, apparaît, et sa vue me rassure. Ca fait un an que nous nous connaissons, et nous nous sommes toujours épaulées ; elle est pour moi ce qui se rapproche le plus d'une meilleure amie. Même si nous sommes toutes les deux très pudiques concernant nos sentiments, et n'aimons pas tellement les dévoiler.
Cléo et Amaya, les deux benjamines, sont les premières à s'asseoir à mes côtés. Elles illustreraient plutôt le dicton " les contraires s'attirent ". Bien qu'elles aient toutes deux 17 ans, deux ans de moins que moi, elles semblent diamétralement opposées, et pourtant, ça fonctionne entre elles deux.
Enfin, Rika et Aila nous rejoignent. Rika, elle, est la plus âgée ; c'est un peu notre maman, à toutes. Très maternelle, toujours là à notre écoute. Aila, elle, est plus refermée sur elle-même, plus discrète, mais je l'apprécie aussi. J'ai du mal à percer le secret de ces deux personnages au fond pareillement solitaires, mais je les aime tout de même beaucoup.
Nous parlons peu, d'abord - chacune médite sur le rêve devenu réalité. Avant le départ, nous nous sommes jurées de ne pas nous déchirer juste pour une paire de beaux yeux, de rester soudée - je ne peux m'empêcher de me demander si cette résolution tiendra. J'espère vraiment. J'ai besoin de soutien.
- Hé, les filles, dit soudain Cléo. J'ai une idée. Si je me souviens bien, c'est à nous, les filles, cette semaine, d'être tirées au sort et de choisir qui on veut rencontrer, n'est-ce pas ?
Nous hochons la tête de concert.
- Ce serait bien si, juste cette semaine, chacune invitait un garçon différent, non ? Comme ça, on récolte des informations, on les met en commun... Bien sûr, la dernière à passer n'a plus le choix, mais comme on partagera tout, cette semaine du moins... ça nous avancerait, n'est-ce pas ?
C'est vrai que c'est plutôt une bonne idée, à condition que chacune joue le jeu et partage ses informations. Mais je ne veux pas douter de mes camarades, pas tout de suite. J'espère que je serais tirée vite, pour pouvoir choisir un minimum, quand même.
J'accepte, et bientôt, tout le monde a donné son accord. Nous nous étreignons pour sceller cet accord, et, en débarrassant les reliefs de notre repas, je me sens rassurée.
A l'issue de cette semaine, au moins, je saurais à quoi m'attendre du côté des prétendants...
Nous nous préparons toutes, les unes après les autres. Je passe en dernier - ça me donne plus de temps pour réfléchir à ce que je vais mettre. D'habitude, je n'y accorde pas une seule pensée, mais là... c'est particulier.
Quand c'est enfin mon tour, je laisse l'eau rouler sur ma peau - à 20% de gravité, elle a un comportement plutôt particulier, et je dois la racler pour l'évacuer complètement. J'ai hésité à me mettre en robe, comme les autres filles à l'exception d'Amber - mais ça ne me correspond tellement pas que je renonce finalement. De plus, ma silhouette masculine n'est pas mise en valeur dans un habit féminin. J'enfile donc un jean, et un chemisier vert. Lorsque je me regarde dans le miroir, je suis horrifiée - même comme ça, je ne me ressemble pas. Le chemisier ne me va pas du tout, le jean non plus - mais je ne peux pas décemment porter un de mes T-shirts trop amples et un de mes pantalons hideux. Tant pis. Je brosse rapidement mes cheveux, leur met du gel pour hérisser les pointes - ils sont très courts, à peine en-dessous de mes oreilles. J'hésite à mettre du maquillage, finit par appliquer du mascara d'une main malhabile - quitte à ne pas me ressembler, autant y aller jusqu'au bout.
Avant de sortir, j'hésite, soudain submergée par le doute. Je ne me sens pas belle, je ne me sens pas à la hauteur des autres filles, je ne me sens pas à ma place. Et si je m'étais fourvoyée ? Si tous les garçons me rejetaient, et que je me retrouvais avec un laissé-pour-compte masculin qui ne me plait absolument pas ? Pourquoi me suis-je engagée dans cette aventure ? J'ai soudain si envie de pleurer...
Mais je ravale les sanglots, fait face, sors.
La vue d'Amber me rassure tout de suite - elle aussi est en pantalon, elle aussi a l'air un peu endimanchée.
Amaya me sourit doucement. Elle-même est magnifique, sa robe verte reflétant la couleur de ses yeux. On dirait une poupée.
" Alors, les filles, prêtes ? " intervient Serena McBee, la productrice exécutive du programme. " Wow, vous êtes splendides ! Tenez-vous prêtes, j'envoie le générique ! "
Les premières notes de Cosmic Love retentissent - résonnent dans mon coeur - je hais cette musique, non cette soupe insipide et industrielle, je préfère le métal et le rock, bien plus agréables à mon goût - puis apparaissent nos noms et nos visages.
Tirage : AMAYA, 17 ans, Pérou ( PLANETOLOGIE )
Tirage : AMBER, 19 ans, Australie ( NAVIGATION )
Tirage : RIKA, 20 ans, Indonésie ( COMMUNICATION )
Tirage : ARIADNA, 19 ans, Mexique ( INGENIERIE )
Tirage : CLEO, 17 ans, Egypte ( BIOLOGIE )
Tirage : AILA, 18 ans, Finlande ( MEDECINE )
Les photos ont été prises durant notre année d'entraînement ; je ne sais pas exactement quand. A notre arrivée, sans doute. C'est étrange, de contempler ces visages et se rappeler tout le chemin que nous avons accompli depuis.
Puis viennent les garçons.
Tirage : JUAN, 18 ans, Argentine ( PLANETOLOGIE ) : bronzé, petit sourire en coin, des cheveux blond doré, ébouriffés, et des yeux vert sombre, mystérieux, une forêt dans laquelle se perdre
Tirage : GABRIEL, 20 ans, Kenya ( NAVIGATION ) : noir aux cheveux crépus, des yeux bleu nuit à couper le souffle, sourire qui dévoile une dentition parfaite
Tirage : ASH, 20 ans, Nouvelle-Zélande ( COMMUNICATION ) : peau très pâle, cheveux très noirs, plusieurs piercings, l'air renfrogné,
Tirage : ALEC, 19 ans, Etats-Unis ( INGENIERIE ) : des cheveux bruns mi-longs, une peau mate, des yeux noisette riches en nuance, un grand sourire radieux qui me fait fondre
Tirage : UGO, 18 ans, France ( BIOLOGIE ) : assez pâle, de longs cheveux châtain émaillés de mèches grises, des yeux gris acier, intenses, un air atone
Tirage : ZAIN, 17 ans, Pakistan ( MEDECINE ) : visage fin, cheveux noirs en bataille, yeux à la couleur indéfinissable, sourire gêné
Puis le générique s'arrête.
" Bien, annonce Serena McBee. Les filles, cette semaine, c'est à vous de choisir qui vous voulez rencontrer. Nous allons donc procéder... au tirage au sort !"
Sur l'écran, son sourire retouché s'efface pour laisser place à nos six visages, qui tourbillonnent... jusqu'à s'arrêter.
Cinq s'effacent.
Ne reste plus que mon petit sourire gêné, mes cheveux bruns très courts, et mes yeux gris clair, que je trouve insipides.
C'est moi.
Je vais passer en premier.
" Bien, félicitations, Ariadna ! Conformément à l'accord que vous venez de passer, tu as vraiment tout le choix possible ! " me sourit Serena, de retour à l'écran. Vas-y, fonce dans le Parloir - les spectateurs n'ont plus qu'une hâte : te regarder ! "
POV Neutre
Ariadna s'extrait de la trappe menant à sa partie du Parloir, cette immense boule transparente, séparée en deux par une paroi, qui sert pour le speed-dating. Ici, règne l'apesanteur : les pionniers ne peuvent qu'avoir l'impression de flotter parmi les étoiles.
Elle écarquille les yeux, prise au dépourvu, et s'envole à travers la bulle. Elle ne semble ne savoir que faire de son grand corps, et bat maladroitement des bras.
" Ma chérie, dit soudain Serena McBee, par le biais de hauts-parleurs, les spectateurs attendent ton choix avec impatience ! Qui veux-tu inviter ?"
Ariadna fronce les sourcils, laisse passer cinq secondes, avant de répondre, d'une voix mal assurée :
- Alec.
- Voilà un choix qui me semble avoir été au hasard ! Tu n'étais pas sûre de qui tu voulais inviter ?
- Non.
- Et pourquoi as-tu finalement tranché ?
- Parce que... c'est le responsable Ingénierie, lui aussi, donc sans doute avons-nous un peu en commun.
- Ca se justifie. Très bien, il arrive. Les yeux de la Terre sont rivés vers vous, mes enfants !
Un garçon sort par la trappe. Il est grand, à la silhouette bien dessinée, plutôt élancée. Il émane de lui une aura d'énergie pure ; il se projette d'un bout à l'autre de la boule, sans cesse en mouvement, alors que Ariadna tente tant bien que mal de se stabiliser et de rester immobile.
- Salut, fait-elle d'une voix qui tremble légèrement.
- Salut ! Ariadna... c'est ça ?
- Oui, elle confirme. C'est moi.
Il sourit, se propulse jusqu'à toucher la paroi de verre.
- La photo ne te rendait pas justice, il déclare gravement, avant de sourire et de s'éloigner. Tu es mille fois plus belle en vrai.
Ariadna rougit jusqu'aux oreilles, bredouille quelque chose d'indistinct, se reprend.
- Ainsi... tu es le responsable Ingénierie ?
- Tout à fait. Comme toi, d'ailleurs. On dit que les contraires s'attirent, mais on dit aussi que qui se ressemble s'assemble. Peut-être qu'un couple de responsables Ingénierie serait justifié... murmure Alec d'un ton songeur.
Ariadna rougit à nouveau, et soudain, prend une voix plus assurée, comme si elle venait de prendre confiance en elle. Comme si elle venait de briser une barrière mentale.
- Mais est-ce que ce titre prouve quelque chose ? Avons-nous des points communs ?
- Je l'ignore, mais je ne vais pas tarder à le découvrir...
- Quels sont... tes centres d'intérêt ? se lance-t-elle.
- J'adore le sport - j'ai besoin de bouger pour... respirer. J'aime jouer, aussi. Toutes sortes de jeux. Comme... des jeux de séduction. Et toi ?
- Je... j'aime... inventer. Voilà. Fabriquer de petits objets, bricoler quelques trucs, résoudre des problèmes... Mais j'aime bien aussi le sport.
Alec sourit, se rapproche, frôle la paroi.
- Tu me plais. Tu es... énigmatique. Tu résistes.
- A quoi ?
- A tout. A moi. A l'atmosphère...
- J'ignore si nous sommes faits l'un pour l'autre, mais j'ai bien l'impression que nous pouvons nous entendre, le coupe-t-elle.
- Nous entendre ? A quoi bon s'entendre, quand il s'agit de se dévoiler ?
- Je ne me mettrai pas à nu devant les caméras. Je ne me dévoilerai que le soir de mon mariage. En attendant, pour choisir, je choisirai celui avec lequel je m'entendrai le mieux.
- Et que se passera-t-il si tu te trompes ? Si ce que la personne dévoile te dégoûte ? Te répugne ? Si c'est trop immonde, trop lourd à accepter ?
La voix, jusqu'ici désinvolte et joyeuse, d'Alec a baissé d'une octave, et il a présent l'air grave.
Ariadna s'apprête à répondre, quand la voix de Serena retentit à nouveau.
" Temps écoulé ! dit-elle joyeusement. Et bien, que de tension, que de mystères, que de déclarations voilées ! Sur ce, chers pionniers, c'est l'heure de se séparer. A demain pour une nouvelle rencontre au sommet ! "
POV Alec
Je rentre dans notre partie du vaisseau, la tête pleine de questions. Le regard d'Ariadna encore aimanté au mien. Elle me trouble. Elle me trouble vraiment.
En réalité, je trouvais juste que c'était une gentille fille, sans plus. Jusqu'à la dernière minute, je pensais que c'était une fille sympathique, mais un peu trop timide, un peu trop fade, je pensais même, pour moi.
Malgré mon baratin et mes sourires charmeurs, je n'étais pas du tout séduit.
Bien sûr, j'ai fait comme si elle me plaisait, pour ne pas la blesser, pour ne pas la ridiculiser devant les caméras. Elle a l'air d'être en proie à de sérieux doutes, je ne voulais pas aggraver la situation.
Et puis, il y a eu la dernière minute.
Immédiatement, quand elle a parlé de ne pas se dévoiler, j'ai senti... un écho. Une résonance. En moi.
Parce que ce qu'elle a dit, ça a gagné ma considération.
La considération de la part la plus sombre de moi, et de la part la plus déterminée à la cacher.
Parce qu'elle a montré qu'elle résistait vraiment. Pas à mes charmes, comme je l'ai dit pour baratiner et meubler le silence - mais aux caméras. A la Terre entière qui nous guette.
D'habitude, je fais de l'humour, pour détendre l'atmosphère. Durant ces six minutes, bien plus intenses que tout ce que j'ai déjà vécu, je n'y ai pas pensé une seule seconde.
Je regagne le séjour, où les garçons m'attendent. Ils me pressent de questions.
- Alors ?
- C'était laquelle ?
- Ca s'est bien passé ?
- Y a eu un truc ?
- Ecoutez, les gars, c'était génial, je dis en souriant avec nonchalance. Une putain de vue, vraiment. J'ai adoré. Vraiment, ça valait le coup.
J'adore les faire tourner en bourrique, les faire patienter.
- Bon, allez, crache le morceau ! C'était qui ?
- Ariadna. La Mexicaine.
- Celle avec les cheveux tout courts ?
- Oui, exactement.
- Et donc ?
- Et donc quoi ?
- Ca s'est passé comment ?
J'hésite. Je ne veux pas dire ce que je ressens. Je ne veux pas qu'ils me la piquent ( et c'est tellement idiot, comme pensée ). Je ne veux pas l'en dégoûter.
- Euh... c'est une gentille fille, je finis par dire. Pas très sûre d'elle, en fait. Très timide, mais après elle s'est un peu... décoincée.
- Elle est hyper masculine, pourtant, fait remarquer Juan, un petit sourire aux lèvres. J'aurais pas cru qu'elle était timide. Dommage.
- Ca change quoi, qu'elle soit plus " masculine " ? je dis avec plus d'agressivité que je l'aurais voulu.
Juan se contente de sourire mystérieusement.
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Voilà, c'était le premier chapitre !! J'espère qu'il vous a plu, n'hésitez pas à donner votre avis sur les personnages, sur ce qu'il s'est passé, dans les commentaires !
Aussi, à la base je voulais faire un chapitre pour 3 jours, mais en fait vu la longueur rien qu'un jour ( 2600 mots ) j'ai laissé tomber... Mais du coup, je me demande : faire un chapitre par jour, ça va vite devenir répétitif, non ?
Sinon, je fais un chapitre par jour pour la première semaine, pour bien développer tous les personnages, puis je réduis à un chapitre pour trois jours comme je l'avais prévu initialement... Je ne sais pas encore trop, donnez-moi votre avis en commentaire, ça m'aiderait !
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