Chapitre 8

John


Je conduis, j'annonce.

Certainement pas ! C'est ma voiture et vous ne savez pas conduire par ce temps, précise-t-elle en démarrant le pick-up.

Vous me prenez pour un imbécile ?

Aïe ! L'ego masculin... avocat et masculin, aïe !

Vous voulez me mettre de mauvaise humeur ? je demande alors que je boucle ma ceinture.

Franchement, je vous préfère souriant et en jean.

Une femme lambda aurait ajouté « torse nu » mais vous êtes différente, vous.

Je vais prendre ça comme un compliment, ajoute-t-elle en faisant rugir les chevaux sous le capot.

Vous conduisez comme un homme...

Nous pouffons en même temps. Pour la première fois, elle semble détendue à mes côtés. J'apprécie sa répartie par ce qu'elle touche généralement des détails me concernant. Ce qui sous-entend qu'elle a réfléchi à mon sujet... et donc qu'elle pense à moi. Tout simplement, elle pense à moi. Elle me préfère en jean. Oui, elle me trouve plus sexy en jean.

Je secoue la tête pour éloigner ces pensées.

J'aurai besoin de votre bureau à 18 h, c'est possible ? je demande. Je vais donner un cours de guitare à Benji.

Oui, pas de problème. Il doit auparavant participer à l'atelier de pâtisserie vers 16 h.

Par contre, c'est un secret, un cadeau pour ses parents pour les fêtes. Enfin, Jane est au courant mais pas son tortionnaire de père.

D'accord, me répond-elle en me regardant du coin de l'œil.

À quoi vous pensez ? Vous pensez souvent à moi, j'ai l'impression.

Que vous pouvez être sympathique, quand vous le voulez. Hormis la mention du « tortionnaire ».

Votre franc-parler est agaçant.

C'est faux, j'adore ! Son esprit est concentré sur moi.

Vous n'êtes pas mal non plus quand vous vous y mettez.

La dévisageant, je réplique :

On formerait un couple fabuleux...

Il y aurait des étincelles dans l'air !

Puis, elle allume la radio pour dévier la conversation. Alive de Pearl Jam retentit.

Mon groupe préféré, je remarque.

C'est ma chanson préférée.

Vous voyez, nous avons même des points communs.

Je dois faire des courses pour Thanksgiving. Vous m'accompagnez ? demande-t-elle en se garant.

Tout ce qui touche aux fêtes ne m'inspire pas. On se rejoint pour boire un café dans trente minutes ?

Plutôt quarante-cinq. Le bar est sur votre droite, vous voyez ? montre-t-elle de l'index en se penchant vers moi.

OK. Vous sentez très bon, je lui murmure dans l'oreille.

Elle se redresse avant de descendre rapidement du véhicule. Elle ne réagit pas à mon compliment, cependant, je lis de l'amusement dans son regard. A-t-elle apprécié ?

Prenez garde de ne pas geler sur place, ni de glisser. Ce serait dommage de vous retrouver héliporté vers l'hôpital. Ceci-dit, vous seriez à Buffalo.

Sa remarque m'agace alors, je ne préfère pas répondre.

Je l'observe se diriger vers un magasin. Son corps aux formes parfaites est dissimulé par ses vêtements d'explorateur polaire, mais il m'est facile de l'imaginer sans. Comment une femme comme elle a-t-elle fini par gérer un hôtel, perdue au milieu de nulle part ? Sa vie ne me parait pas réjouissante. Son travail, encore moins. Gérer un hôtel pourrait être gratifiant, mais j'ai la sensation qu'elle n'y trouve pas son compte. Bien qu'elle apprécie les gens et possède des qualités indéniables d'empathie et de service, il lui manque quelque chose pour se sentir épanouie.

Dès qu'elle sort de mon champ de vision, je consulte Google Maps pour me rendre chez le loueur de motoneiges. Il se trouve à cinq minutes à pied. Super ! je me motive pour affronter le froid en tapant mes mains gantées l'une contre l'autre.

Comme je le craignais, il est fermé. Un arrêté placardé sur la devanture stipule qu'en raison des conditions météorologiques extrêmes, toute location de véhicule est suspendue jusqu'à nouvel ordre.

Je n'ai donc aucun moyen de me rendre à Folden. Mes poings se serrent de déception en espérant que Marcus tiendra bon. Avec cet abruti de Sins, ce n'est pas gagné. Mon frère est un homme fragile. Il a toujours été ainsi. La mort de notre mère a aggravé son comportement et ses addictions. À plusieurs reprises, je l'ai récupéré dans un sale état. Néanmoins, il reprend toujours du poil de la bête. Ce cercle vicieux existe depuis sept ans. Mais cette fois, les évènements se sont aggravés avec une rançon à la clé.

Perdu dans mes pensées, je marche dans les rues de la ville sans vraiment y prêter attention. Le froid s'infiltre sous mes vêtements, me donne des frissons. Lorsque je relève la tête, mes yeux s'arrêtent sur un panneau qui mentionne une promotion sur les matelas.

Dix minutes plus tard, un vendeur m'aide à transporter un matelas de 140x 200 vers la voiture. Ana qui arrive au même moment s'exclame :

Qu'est-ce qui vous est passé par la tête ?

Je dormirai en bas sur le matelas, près de la cheminée, en compagnie d'Alice ! Ainsi, vous retrouvez votre lit ! Le matin, avant votre réveil, je le range, ni vu ni connu dans la future chambre parentale qui vous sert de débarras ! Je sais que vous n'aimez pas le désordre ! je déclare en la fixant.

À cet instant, le souvenir d'Ana, profondément endormie et si sensuelle, me laisse un goût amer. Étrangement, j'ai pensé à son bien-être au lieu du mien.

Je ne sais pas quoi vous dire...

Mauvais présage... si vous n'avez rien à dire, une tempête se prépare ! je me moque.

C'est ce qui est annoncé, me confirme le vendeur en m'aidant à pousser le matelas dans le hard top. Bon séjour ! me lance-t-il en me serrant la main.

À l'approche de la fin d'après-midi, les températures baissent déjà.

Je vais prendre deux cafés à emporter, si vous le permettez. Je suis gelée.

Pas de souci, je vous accompagne à l'intérieur pour me réchauffer.

D'autres moyens seraient plus agréables pour se tenir chaud... Je débloque complètement !

Dès que nous entrons dans le bar, la chaleur me submerge aussitôt. Ana me devance à grands pas pour se jeter dans les bras du shérif. Perplexe et un peu agacé, je les observe en retrait. De la main, elle me fait signe de les rejoindre.

Je vous présente Bennett, mon frère.

À moitié soulagé, je lui serre la poignée de main qu'il me tend.

Je me souviens de vous. Vous vous plaisez au Crosfall Lodge ?

Oui, merci, je réponds brièvement. Je commande les cafés, Ana.

Rapidement, je me décale pour sortir du champ de vision du shérif qui me fixe en discutant avec sa sœur. La crainte me serre l'estomac. S'il fait allusion à Folden, je ne sais pas comment me justifier auprès d'Ana.

Deux cafés, s'il vous plaît, je demande à la serveuse. Je suis pressé !

Elle s'affaire immédiatement en plissant les yeux, agacée par ma requête. Je me cache au maximum derrière les personnes agglutinées au comptoir.

Soudain, une tape dans le dos m'incite à me retourner.

La météo ne permet pas de dégager les amas de rochers qui bloquent la montée à Folden, me précise le shérif. Vous n'êtes pas près de repartir. On se recroisera sûrement au Lodge, ajoute-t-il d'un ton froid.

Les battements de mon cœur s'accélèrent. Je le suis du regard pendant qu'il quitte le bar. Ana en grande discussion avec une blonde, n'assiste heureusement pas à la scène. Je récupère les cafés sans remercier la serveuse et m'avance vers ma colocataire.

On peut y aller, dis-je en saluant son interlocutrice d'un geste de la tête.

Je tente de respirer lentement pour ralentir les battements. Il ne manquerait plus que le shérif m'ait à l'œil.

Ana me remercie pour les cafés puis s'arrête net devant une vitrine juste à la sortie du bar.

Il est magnifique ce bracelet, s'émerveille-t-elle.

Mis en valeur sur un présentoir de satin noir, un jonc fin et sculpté d'arabesques brille de sa couleur argentée.

Comme toutes les femmes, vous aimez ce qui brille, je lance.

Vous vous trompez. Je ne porte aucun bijou ostensible. Je déteste tout ce qui est bling-bling, mais la finesse des arabesques est superbe. Ceci dit, faut y aller, les cafés vont refroidir à vitesse grand V par ce temps.

Assise au volant, elle se donne subitement une tape sur le front.

Qu'est-ce que vous avez ?

J'ai oublié d'acheter la cannelle ! George et les sœurs Opkins vont me trucider. C'est l'ingrédient central de la séance de pâtisserie organisée tout à l'heure, notamment pour les sablés de Noël.

Je soupire de lassitude en entendant parler de Noël.

Désolée, j'y retourne. Je reviens vite ! Buvez votre café sans moi. Buvez les deux, même, pour vous réchauffer et patienter ! me propose-t-elle en descendant rapidement du pick-up.

Vous voulez que je tue quelqu'un ! je m'exclame.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top