Chapitre 7

John


À peine installé à la réception, Richard, le banquier, se présente l'air renfrogné.

Après la poignée défectueuse de la fenêtre, c'est le lavabo qui est bouché ! Où est Ana ?

Bonjour, monsieur. Ana est occupée. Peut-être, est-ce juste le siphon qui est plein, je remarque poliment.

Je me maudis d'avoir accepté la réception. Il est évident que je n'ai pas l'empathie adéquate pour gérer ce genre de situation, surtout lorsqu'on m'affronte.

Je me moque de savoir si c'est le siphon ! Je suppose que faire venir un plombier est impossible vu le temps ! Car évidemment, personne n'est habilité dans cet hôtel à pallier ce genre de désagrément ! continue-t-il en haussant la voix de plus en plus fort.

Si vous pensez qu'en hurlant un plombier pourrait vous entendre et tomber du ciel...

Je vous prie de me parler sur un autre ton !

Quand le vôtre sera plus respectueux !

Alertée par le ton venimeux de la discussion, Ana sort rapidement de son bureau.

Que se passe-t-il ?

Un problème de lavabo bouché et c'est la fin du monde pour ce monsieur ! je l'informe.

D'où le sortez-vous cet énergumène ? lance le banquier.

J'entreprends de lui dire ce que je pense quand Ana me serre fermement la main droite pour me faire taire.

Je suis désolée, Richard. Ça va être compliqué de trouver quelqu'un dans l'immédiat. Cependant, je vais voir ce que je peux faire avec le personnel du Lodge.

Comme hypnotisé par son geste, je regarde sa main posée sur la mienne. Me sentant impuissant et comme humilié par sa façon de me réduire au silence, je quitte précipitamment la réception.


Flairant ma nervosité, Alice me cherche du regard à travers la baie. Un café d'une main, une cigarette de l'autre, je tente de me raisonner avant l'arrivée d'Ana. J'ai le pressentiment qu'elle va s'excuser, même si elle n'en pense pas moins, mais parce qu'en tant que gérante, elle n'aurait pas dû me laisser la réception. Je fais entrer la chienne qui se colle immédiatement à ma cuisse. Je pose le café sur le rebord de la fenêtre puis m'assois par terre. Alice s'affale sur mes genoux sans grâce et lève les yeux vers les miens en me donnant la patte.

Je ne suis pas en colère contre toi, ma belle, je la rassure en l'embrassant sur le sommet du crâne.

Ce geste la ravit. Elle m'en redemande en posant sa patte sur mon visage. Soudain, j'entends toquer à la baie vitrée. Ana entre :

Pardon de vous déranger.

Si vous êtes venue me calmer, Alice s'en est chargée.

Elle a plus d'atouts que moi pour y parvenir avec son regard irrésistible.

En effet... mais vous n'êtes pas mal non plus. Si vous êtes également venue vous excuser, je ne les accepte pas.

Maître Jovani...

Arrêtez, avec votre maître, je la coupe.

Comme vous voulez...

Je n'aurais pas dû me comporter comme je l'ai fait auprès de votre client. Je n'ai pas l'habitude qu'on me rabaisse et encore moins qu'on m'insulte.

Je m'en doute... Est-ce des excuses ?

Ne rêvez pas trop ! je lance puis sur un ton plus doux, je poursuis, j'ai une proposition à vous soumettre.

Dois-je de nouveau m'inquiéter ? Vous voulez que je cède à un autre caprice ?

Malheureusement, non, je réponds avec un rictus. Je me chargerai du lavabo, si vous avez les outils nécessaires.

Je comptais demander à George de jeter un œil après son service. Vous vous y connaissez en débouchage de lavabo ?

Avant de devenir avocat, et de vivre à Manhattan, j'étais l'homme de la maison. Le débouchage, ça me connaît. Ne soyez pas si surprise !

Elle me toise d'un regard perplexe puis me dit :

Par ailleurs, vous vous êtes déjà changé... encore une fois ! taquine-t-elle. Franchement, vous me rendriez un fier service, m...

Je l'interromps une nouvelle fois :

Je crois que vous pouvez m'appeler, John.

D'accord, acquiesce-t-elle avec un sourire satisfait.

*

Ha ! Encore vous ! grommèle Richard en m'ouvrant la porte.

Décidemment, son humeur exécrable ne le quitte pas.

Je suis venu pour le lavabo.

Ça ne doit pas être facile de passer de réceptionniste à plombier ! Pas très gratifiant comme promotion !

Je ne lui donnerai pas la satisfaction de m'énerver, ni d'avoir l'air offusqué. Je connais trop bien ce jeu et j'en sortirai gagnant.

En fait, je suis avocat. Je rends simplement service à Ana.

Sans me répondre ni sembler étonné, il récupère son portable sur la console de l'entrée puis crie à sa femme :

C'est le plombier, Chérie. Tu t'en occupes ! Je vais me relaxer au SPA.

OK, répond-elle en s'avançant vers moi un livre à la main. Maître ?

Ravi de vous revoir Jane. Comme je le disais à votre mari, je donne un coup de main à Ana. Vous me montrez le lavabo ?

Maman, je m'en occupe, s'écrie son fils Benjamin en courant vers nous.

D'un signe de la tête, elle acquiesce puis retourne à sa lecture.

Bonjour, Benjamin ?

Oui, mais tu peux m'appeler Benji.

Je le suis à travers la suite dont l'élégance me surprend. L'appart n'a rien à voir avec les chambres de luxe du Lodge.

Rapidement, je comprends qu'il s'agit d'un siphon qui a besoin d'être nettoyé. Pendant que je me faufile, couché sur le dos, la tête dans le sous-lavabo, Benjamin me fait la discussion.

Tu est le nouveau plombier du Crosfall Lodge ? Tu as mangé à notre table pourtant, s'étonne le gamin.

En bref, je suis bloqué ici à cause du mauvais temps. Je ne suis pas plombier, je précise en dévissant les écrous du siphon.

Ha, bon ? C'est quoi ton métier ?

Essaie de deviner. Ana m'a présenté mais tu n'étais peut-être pas encore assis.

Pourquoi tu travailles à l'hôtel ?

Je déteste tourner en rond à ne rien faire. Bon, tu devines ? j'insiste pendant que je prends le seau pour y vider l'eau résiduelle.

Mmm... Tu n'es pas trop vieux...

J'éclate de rire.

Je te remercie de ne pas me traiter de vieillard !

Soudain, il remarque l'extrémité de mon tatouage dans le cou :

Waouh ! Génial, tu as un tatouage ! Je peux le voir.

Je vais juste t'en monter un bout, je réponds en tirant vers le bas le col de mon polo. C'est un dragon et ce que tu vois dépasser, c'est sa queue.

La classe !

Alors, tu devines ma profession ?

Je me redresse pour nettoyer le siphon au savon.

Un tatouage, tu n'es pas trop vieux, récapitule-t-il, un bandit, un mafieux !

Sérieusement ? Je ressemble à ça ? J'ai vraiment la tête d'un méchant ?

Ben, un peu... attends, je réfléchis encore... guitariste d'un groupe de rock !

Non, mais j'aurais pu ! C'est mon instrument préféré et je me défends pas mal !

Ah bon ! Moi, j'ai une guitare sèche, je l'ai avec moi d'ailleurs mais je ne sais pas en jouer au grand désespoir de mon père, précise-t-il en levant les yeux vers le ciel. Je joue quelques accords que j'ai vus sur des vidéos YouTube, c'est tout. Mes parents me l'ont offerte pour mon anniversaire sauf que je n'ai pas pris de cours. Donc forcément, je ne sais pas en jouer ! Logique ! Et on me gronde parce que je ne suis pas doué. Mon père sait faire plein de choses. Il aimerait que je sois comme lui...

Faux, il ne sait pas déboucher un lavabo ! Pour ce qui est de la guitare, je peux t'aider, te montrer quelques accords, des astuces techniques pendant que je suis coincé ici. Si tu trouves ma profession, je te donne un cours ?

Marché conclu ! s'exclame-t-il en me tendant la main que je serre. Je serai trop content d'apprendre la guitare. J'aimerais que ce soit un secret. Possible de ne rien dire à mon père ? Je préviendrai juste maman pour ne pas qu'elle s'inquiète si elle me cherche.

Si tu veux, on se donne rendez-vous dans le bureau d'Ana, derrière la réception. Elle sera sûrement d'accord, je dis en me glissant à nouveau pour remettre le siphon et revisser les écrous.

Oui, elle est gentille, Ana. Peut-être que je pourrais apprendre à jouer un air simple, ce sera le cadeau de Noël pour mes parents.

OK, Benji mais tu dois d'abord trouver ce que je fais dans la vie.

Je rince le lavabo puis récupère le seau.

Tu es professeur de musique !

Pas du tout ! J'ai fini, je vais te laisser, alors je te donne la réponse ? je demande en rassemblant les outils.

Et notre accord ? s'inquiète-t-il la mine défaite.

Tu ne trouveras jamais parce que, comme tu l'as remarqué, mon allure ne s'y prête pas. Je te donne volontiers un cours parce que tu m'as tenu compagnie pendant cette lourde tâche, j'explique en lui montrant le contenu du seau. Je suis avocat en droit des affaires à New York, plus précisément à Manhattan.

Je n'aurais jamais trouvé ! Mais ça te va bien.

Malgré ma tête et mon tatouage de mercenaire ? Je te remercie ! On se donne rendez-vous à 18 heures, avant le dîner. Ça te va ?

Oui. À tout à l'heure, me lance-t-il les yeux pétillants de joie.

*

Je dépose les outils et le seau à George qui me gratifie d'une franche accolade pour me remercier, puis me rends au bureau d'Ana.

Je vous dérange ?

Assise devant son ordinateur, elle fronce les yeux et tient un crayon dans sa bouche qu'elle ôte avant de me parler :

Je déteste la paperasse. Je ne sais pas comment vous faites en tant qu'avocat.

J'ai Sophie ainsi que des collaborateurs qui m'assistent.

Alors, ce lavabo ?

Il a repris du service !

Merci beaucoup. Vous m'enlevez une épine du pied. Richard est un habitué, il est adorable...

Adorable, ne serait pas le qualificatif que j'aurais employé, je l'interromps.

Si, je vous assure. Mais c'est vrai que depuis son arrivée, il cumule les complications dans sa suite sans parler du fait qu'il a toujours le travail en tête. Il a du mal à se déconnecter. Il vous ressemble beaucoup, vous savez ? Je suis certaine que vous devriez bien vous entendre.

Je ne sais pas comment je dois prendre cette remarque...

Je vous rappelle que nous devons nous rendre en ville. Le camion de déneigement et de déglaçage est passé. Ma voiture est également dégagée.

Il est possible de partir d'ici ?

Non, l'accès à Buffalo n'est pas accessible aux automobilistes. Thanksgiving risque d'être triste cette année si les familles ne peuvent pas se rassembler. Les poids lourds sont parfois bloqués sur certaines artères avec leur chargement. On n'a pas connu ce froid polaire depuis des années.

OK, je réponds dans un soupir. Je vais m'habiller. Alice nous accompagne ?

Je ne préfèrerai pas. Je ne connais pas l'état des trottoirs. Qu'ils soient gelés ou déglacés par je ne sais quel produit mélangé à du sel, ce n'est pas bon pour ses coussinets.

Elle va m'en vouloir.

Je suis certaine qu'elle vous pardonnera, me rassure-t-elle avec un sourire subtil.

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