Chapitre 6
John
Depuis mon retour, je m'efforce de réfléchir à une solution pour me rendre à la station mais en vain. Le loueur de motoneiges ne répond pas non plus au téléphone ce qui m'excède. Avec les coordonnées GPS du lieu de rendez-vous, je constate que je me situe seulement à dix minutes à vol d'oiseau de Marcus. Ce détail m'irrite au plus haut point.
Alors que je tourne comme un fauve abandonné en cage parce que mon plan est tombé à l'eau, on toque à la porte. Ce n'est pas le moment, franchement !
Mary se présente à la porte avec un plateau repas.
- Je vous remercie, dis-je froidement sans la regarder.
- Je vous en prie. Ana rentrera tard ce soir car elle remplace encore Julia à la réception.
- Je ne vis pas avec elle, je précise d'un air agacé.
- C'est juste dans le cas où vous vouliez profiter de sa compagnie.
- Profiter de sa compagnie ? Alice me tient compagnie. Je ne suis pas certain que votre patronne apprécie la mienne.
Un large sourire que je ne sais comment interpréter, s'affiche sur son visage.
- Vous n'êtes pas assez perspicace, maître Jovani...
- Merci encore pour le plateau, Mary, je m'empresse d'ajouter en posant la main sur la poignée de la porte, pressé de la refermer.
Mais qu'est-ce qu'ils ont tous avec leurs sous-entendus. Je suis tombé dans une secte ou quoi ! J'apprécie quand on parle clairement. Déformation professionnelle. De plus, je n'ai jamais été bon en devinette. Mon cerveau réfléchit sur des faits concrets, voire parfois sur des hypothèses plausibles, ensuite, après analyse, il parvient à une conclusion. Point final !
*
- Vous n'êtes pas encore couché ? s'étonne Ana dès son entrée. Encore de mauvaise humeur ?
- Vous jubilez ?
- Je ne me permettrais pas. D'après votre tête, vous n'avez pas l'air détendu.
Je l'observe d'un air stoïque alors que mes yeux se fixent sur ses lèvres charnues et appétissantes.
- Vous voulez une tisane ? Pardon, un whisky ? renchérit-elle.
- Non, merci.
- Dans ce cas, excusez-moi, je prends possession de la salle de bain pour quelques minutes. Ensuite, je ne veux pas vous envoyer au lit, mais je souhaiterais me coucher rapidement.
- Je vous laisse la chambre.
- Non, vraiment je suis très bien sur le canapé.
- Par terre, vous voulez dire.
- Peu importe. S'il vous plaît, je n'ai pas la force de me justifier. Prenez la chambre, maître Jovani.
- J'insiste par galanterie, vous savez.
- Je n'en doute pas.
Je savais qu'elle ne changerait pas d'avis. Après tout, c'est elle la gérante... et j'espère au fond de moi la récupérer encore sur le sol.
Trois heures dix à mon portable. Sa chute me parait moins bruyante que la nuit dernière.
Alice m'attend au bas de l'escalier en gémissant mais je perçois un brin d'amusement à sa queue qui remue.
- Une vraie cascadeuse, ta maitresse ! je dis en lui caressant une oreille en passant près d'elle.
Cette fois, son peignoir satiné est fermé avec un double nœud, ce qui m'amuse. Lorsque je l'allonge délicatement sur le lit, son parfum léger me chatouille à nouveau les narines. Toujours plongée dans un imperturbable sommeil, elle ne bronche pas. Je lui dégage le visage de ses cheveux bruns. Puis, je la contemple encore une fois. Le double nœud de la ceinture me tente. Et si j'osais, avec douceur, le défaire...
J'ouvre lentement les pans de son peignoir. Ce soir, elle porte un pyjama en satin bleu pâle composé d'un pantalon et d'un caraco qui dévoile le sillon de sa poitrine. La délicatesse de la dentelle et la légèreté du tissu révèlent subtilement les pointes de ses seins qui se dressent, comme une invitation à des caresses. Je serre les poings pour m'en dissuader mais ne parviens pas à maitriser l'érection qu'ils me suscitent. Une nouvelle fois, je demeure déconcerté devant son corps. Même endormie, elle reste taquine, ce petit trait de caractère qui me séduit et m'exaspère à chaque fois.
Si j'osais la toucher... juste du bout du doigt. J'effleure alors du pouce un de ses tétons. Mon érection redouble lorsque je le sens se durcir alors qu'elle se tourne vers moi dans un léger gémissement. Putain ! cette femme me rend dingue.
Je la couvre sans ménagement avec la couette et me précipite hors de la chambre.
*
Pauvre Alice qui ne cesse de trembler sur ces pattes de peur de tomber et de s'en briser une. Le gel persiste mais le ciel semble vouloir se dégager pour l'instant alors que le soleil se lève à peine. J'appellerai Sins plus tard. Je n'ai pas envie de commencer la journée avec l'estomac noué en entendant sa voix. La nuit n'a pas été bonne... et l'interlude de la charmante Ana, ne m'a pas vraiment aidé.
De retour à l'intérieur, je m'assieds en tailleur devant le feu, Alice blottie entre mes cuisses. Tout en lui essuyant les pattes, elle s'amuse à mordiller le chiffon, cherchant malicieusement à m'embêter.
- Vous jouez à quoi ? me surprend Ana.
- Elle a les pattes glacées. Je tente de les réchauffer mais je crois qu'elle est chatouilleuse.
- Ravie que ça vous mette de bonne humeur... Ravie aussi que vous soyez habillé, ce matin.
Menteuse...
- En revanche, votre pyjama de cette nuit était beaucoup moins sexy...
Elle écarquille les yeux. J'adore. Et je devine qu'elle va changer de sujet afin d'éviter la confrontation. Sa courtoisie me tuera !
- J'ai deux nouvelles à vous annoncer, lance-t-elle, mais j'aimerais savoir si mon café est prêt avant.
- Vous l'avez aimé alors ?
- Je ne voudrais pas effacer ce séduisant sourire de votre visage : oui, je le trouve bon. Vous avez un ingrédient secret.
- Pas la peine d'insister, je ne vous dirai rien.
- Je m'en doute, mais je le trouverai puisqu'il se trouve dans ma cuisine. George, percera à jour ce mystère en une seconde.
Je me dirige vers la cafetière pour faire couler le café dans deux mugs.
- Alors ces nouvelles ?
- J'attends mon café d'abord.
- Et voici, pour vous servir, madame Calls...
- Merci. La première nouvelle, dit-elle tandis qu'elle s'apprête déjà à partir travailler, le camion de déglaçage va passer dans la journée. Nous aurons un accès dégagé du Lodge à Crosfall. Mon pick-up sera également dégagé. J'en profiterai donc pour effectuer quelques courses en ville si vous voulez vous joindre à moi, maître.
- Avec plaisir, Ana, je réponds avec une voix emplie de sous-entendus.
- Seconde nouvelle...
Elle s'interrompt pour boire une gorgée, prête à ouvrir la porte.
- Avez-vous consulté la météo ce matin, maître ?
- Non pas encore, mais le ciel est dégagé, un redoux est prévu pour aujourd'hui...
Elle boit à nouveau une gorgée et me fixe de son regard doucereux. Je resserre l'emprise autour du mon mug :
- Vous devinez ? lance-t-elle la tête inclinée. Le temps se gâte en fin d'après-midi et les routes restent fermées jusqu'à nouvel ordre.
Mon mug de café explose contre la vitre au-dessus de l'évier.
*
- Ouais, Jovani, je sais, c'est la merde ! s'énerve Sins.
- J'essaie de me renseigner pour louer n'importe quel engin qui fonctionnerait sur la glace mais je ne parviens pas à contacter le seul loueur des environs à Crosfall. J'y vais normalement cet après-midi. Je te tiens au courant, dis-je d'un ton inquiet tout en manipulant la cigarette entre mes doigts avec agilité malgré l'agacement qui me tiraille.
- Si t'arrives pas à le joindre par tél, c'est mauvais signe...
- Comment va Marcus ?
- Soit il braille comme une gonzesse, soit il dort. Là, il dort.
- S'il a besoin de sa dose, donne-lui. Ne le laisse pas souffrir.
- Il me coûte assez cher comme ça, ce trou du cul.
- Je paierai pour ses doses. Ne le laisse pas souffrir en plus de te supporter et d'attendre.
- On verra. On se tient au courant.
Alors qu'il me raccroche au nez, je pousse une injure entre mes dents en tapant la vitre du poing. Soudain, de l'autre côté, j'aperçois Ana qui m'observe la mine sérieuse. A-t-elle entendu ma conversation ? Notamment les mots « doses » et « souffrir » ?
- Vous n'êtes pas calmé, à ce que je vois, constate-t-elle en me rejoignant dans la véranda.
Je ne réponds rien mais ne la quitte pas des yeux. La cigarette se balance d'un doigt à un autre sans cesse ce qui l'étonne.
- Plutôt que de vous énerver, essayer d'accepter cette situation inattendue. Être bloqué dans un si bel hôtel, entouré de personnes attentionnées et formidables, est une opportunité pour vous ressourcer. Vous retrouverez le cours de votre vie tumultueuse et passionnante bien assez tôt. Enfin... je me permets ces remarques, s'il n'y a pas mort d'homme. C'est le cas ?
- Oui, rien de grave. Je souhaitais juste rendre visite à mon frère à Buffalo avant la période des fêtes.
- Généralement, on passe du temps avec sa famille pendant les fêtes.
- Je déteste cette période, sans parler de toutes les fioritures qui entourent Thanksgiving et Noël.
- J'aurais pu m'en douter... J'espère que ce n'est pas avec votre secrétaire que vous parliez au téléphone...
- Vous me croyez capable de me comporter ainsi avec mon assistante, n'est-ce pas ?
Son visage en dit long sur ce qu'elle pense de moi. En parlant de Sophie, je dois l'appeler. Sans prêter attention à Ana, je m'y atèle :
- Bonjour, Sophie. Désolé, de vous déranger un samedi mais les conditions météorologiques ne s'améliorent pas, ici. Les routes sont toujours bloquées. On annonce encore un froid glacial et peut-être à nouveau de la neige. Je crains que le planning de la semaine prochaine ne soit entièrement compromis. Les rendez-vous et plaidoyers qui me concernent doivent être annulés sauf si je peux me faire remplacer. Je reprendrai le lundi qui suit Thanksgiving. Même si je rentre avant, les clients ne seront pas disponibles à cause des fêtes et du Black Friday.
- Pas de souci, boss. Je regarde en même temps les agendas de David et Carter.
- Je n'ai pas l'ordi sous les yeux. Je sais que j'ai une plaidoirie mardi ou mercredi.
- Mardi matin. Je vois avec vos collaborateurs et je vous tiens au courant par SMS.
- Merci, Sophie. Je vous revaudrai ça.
- En attendant, dites-m'en plus sur la gérante.
Pour lui faire comprendre que je ne suis pas seul, je me racle la gorge. Mais je sens déjà le poids du regard d'Ana qui pèse sur mon dos.
- J'attends confirmation par SMS. À plus tard, Sophie.
- Amusez-vous bien, boss !
- Très drôle...
Lorsque je me retourne, elle me sourit franchement.
- Boss ?
- Il s'agissait d'une discussion privée.
- Certainement pas ! Vous vouliez me démontrer que vous êtes un homme civilisé avec les êtres humains qui vous entourent à Manhattan. Ceci-dit, poursuit-elle en faisant un pas vers moi, elle vous appelle boss. Étrange pour votre milieu, sauf si vous couchez avec elle. Ce qui parait presque logique... dans votre milieu.
- Mais qu'est-ce que vous racontez ? Jamais de la vie, je ne toucherai à Sophie. Elle est trop précieuse et pour info, elle se marie cet été.
- Depuis quand les femmes mariées sont intouchables.
J'aime quand elle ose me tirer les vers du nez sur un sujet privé, surtout lorsqu'elle se rapproche de moi. Je réponds par un sourire puis ajoute :
- Vous insinuez également que j'ai de nombreuses conquêtes... ce qui sous-entend aussi que vous avez remarqué mon charme irrésistible.
- Je n'ai jamais rien dit de tel. C'est plutôt courant de coucher avec sa secrétaire. Et que voulait-elle savoir à mon sujet ?
Et elle change de sujet...
- Vous avez l'ouïe fine et je déteste l'indiscrétion.
- Désolée, maître. Je plaide coupable...
J'entreprends de sortir Alice qui m'attend déjà la laisse dans la gueule. Je crains qu'Ana ne me questionne sur mon précédent appel et préfère couper court à cette discussion. Cette fois, c'est moi qui évite la confrontation.
- Excusez-moi, mais je suis attendu par une ravissante blonde...
- Nous vous attendons pour manger, maître. Ne me dites pas encore que nous n'avez pas faim. Vous vous êtes énervé, vous avez besoin de reprendre des forces. Et Maguy souhaite vous avoir à notre table.
- Je ne sais pas si je dois m'en réjouir.
- Ne faites pas l'ours. Elle est adorable comme la plupart de mes clients, enfin presque...
Finalement, le repas se déroule en comité restreint avec la compagnie distrayante des sœurs Opkins qui se chamaillent perpétuellement à chaque mot ou remarque prononcé par Maguy.
- Est-ce que je peux vous offrir un café au bar ? Je souhaiterais vous parler en privé, Ana.
- Je vous suis, maitre, acquiesce-t-elle avec une mine intriguée.
- Deux expressos, s'il vous plaît, je demande au barman. Ana, mon agenda de la semaine prochaine est annulé comme vous le savez. Et je ne suis pas en retard dans mes plaidoyers à venir. De plus, je ne sais pas quand je pourrai repartir. Compte tenu de ma disponibilité, je souhaiterais me rendre utile.
- Comment ça, maitre ? s'étonne-t-elle. Vous avez la télé, certains jouent aux cartes, vous avez le SPA à votre disposition et une bibliothèque. Franchement, vous devriez vous détendre.
- La télé, les cartes et le SPA ne sont pas mes activités favorites. Je préfère me sentir utile. Je prendrai un bon livre pour le soir mais là, il faut que je m'occupe sinon je vais tourner en rond...
- J'ai déjà eu des demandes insensées mais la vôtre me surprend. Je ne peux pas accepter, comprenez...
- Non, je ne veux pas comprendre ! je m'agace. Je dois m'occuper l'esprit sinon je deviens fou ! C'est ce que vous voulez ! Que je tourne comme un lion en cage, que je devienne insupportable !
- OK, gronde-t-elle. Calmez-vous ! Je suis juste étonnée que...
- Que maître Jovani de Manhattan se rabaisse à un emploi dans un hôtel ?
- Je ne peux pas vous payer, maître...
Un rire franc sort de ma bouche.
- Sérieusement ? Vous croyez que j'ai besoin d'argent ? Vous m'avez bien observé ?
- Votre demande est inconcevable et inconvenable...
- Vous n'avez rien compris ! Vous préférez me voir ruminer et m'arracher les cheveux...
Elle écarquille les yeux d'étonnement.
- Je sais très bien de quoi vous êtes capable. Je conçois aussi que vous arrivez toujours à vos fins, maitre. Soit ! Enfilez votre costard de grand couturier puis retrouvez-moi à la réception. Je vous laisserai la tenir, si ça peut vous faire plaisir... et maintenir votre bonne humeur. Ça vous convient, maître ?
- Parfait.
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