Chapitre 8


Finalement, après ce qui me semble une éternité, Léo s'arrête devant une vieille porte en métal, rouillée par le temps. Il l'ouvre avec précaution, révélant un escalier sombre qui descend dans les entrailles de la terre. Léo allume une petite lampe torche et me fait signe de le suivre. L'air devient de plus en plus humide et lourd à mesure que nous descendons, chaque marche nous plongeant un peu plus dans l'obscurité. Mais je n'ai pas peur de cette obscurité. Pas autant que celle que je fuis.

Nous arrivons enfin dans une grande pièce souterraine, faiblement éclairée par des lampes fixées aux murs. La pièce est grande, avec des murs de pierre brut, illuminée par des lampes fixées de manière irrégulière, créant des ombres dansantes. L'humidité dans l'air est palpable, et l'odeur de moisissure mélangée à celle de la terre humide m'envahit. Je me laisse guider par Léo jusqu'à une zone dégagée où quelques personnes semblent se regrouper. Certaines ont des cicatrices visibles, d'autres des regards qui témoignent d'une souffrance silencieuse. Tous me fixent, curieux et méfiants à la fois. Abby, Darius et Elsa se dirigent vers nous. l'air inquiet en m'apercevant. Je suis contente de les revoir mais les circonstances me laissent perplexe.

J'ouvre la bouche et je la referme, bêtement, incapable de formuler une phrase.

— Clara, ça va ? demande Elsa, sa voix empreinte d'inquiétude et de douceur.

Je m'efforce de parler, mais les mots semblent se coincer dans ma gorge. Finalement, je trouve la force de parler.

— C'est... c'est compliqué, commence-je enfin, ma voix hésitante. Ella a décidé de se faire opérer. Elle ne peut pas abandonner ses parents, elle a peur de leur réaction...

Je ferme les yeux un instant, essayant de maîtriser les émotions qui m'étouffent. Darius se rapproche et place une main réconfortante sur mon épaule. Son geste est empreint de chaleur humaine, un contraste frappant avec la froideur des rues que nous avons laissées derrière nous.

— Ne t'inquiète pas, Clara, dit Darius d'une voix douce. Nous allons nous occuper de toi maintenant.

— Merci, murmurai-je, ma voix se faisant à peine audible.

Abby, l'homme que tout le monde ici semble respecter, s'avance alors, ses yeux bleu vif scrutant mon visage avec une attention intense. Il pose une main sur mon épaule, son regard empreint d'une sagesse sombre.

— Clara, maintenant que tu es ici, tu dois comprendre ce que nous faisons. Nous avons des informations cruciales sur la chirurgie et ses effets. Ce n'est pas juste une transformation physique, c'est une manipulation psychologique sophistiquée.

— Je m'en occupe, Abby, s'interpose Léo en me regardant.

Il m'emmène dans une pièce à l'abri des regards. Les murs sont couverts de papiers, de notes et de croquis. On dirait un laboratoire clandestin, mais avec une étrange chaleur, une humanité que je n'ai pas sentie depuis longtemps. Une carte de la ville avec des annotations en rouge et des graphiques décrivant des schémas neurologiques attirent immédiatement mon attention.

Léo allume une lampe de bureau, projetant une lumière vive sur une table encombrée de documents et d'équipements techniques. Il me montre un siège en métal au centre de la pièce, où se trouvent des dispositifs qui semblent appartenir à un autre monde, des outils inconnus et des écrans affichant des données complexes.

— Clara, il est temps que tu saches la vérité, commence Léo, sa voix résonnant avec une intensité que je n'avais jamais entendue avant. Ce que tu as vu à Harmonia Perfecta, ce n'est que la surface. La chirurgie esthétique n'est pas seulement une question d'apparence. C'est une manipulation bien plus profonde.

Je le fixe, sentant mon cœur se serrer à l'idée de ce qu'il va dire. Je m'assieds sur le siège en métal, les yeux écarquillés lorsqu'il déplie un graphique détaillant le fonctionnement des implants neurologiques. Les images montrent des réseaux complexes de circuits intégrés, des dispositifs de contrôle implantés dans le cerveau pour modifier les perceptions et les émotions.

— Après l'opération, ce ne sont pas seulement les traits du visage et du corps qui sont modifiés. Le gouvernement a perfectionné une technologie qui permet d'implanter des micro-dispositifs dans le cerveau, des implants neurologiques.

— Comment ça ? demandais-je, mon cœur battant plus fort.

— Ils appellent ça le "Synaptiser", répond Léo, les yeux rivés sur moi. C'est un implant neurologique qui modifie les connexions dans le cerveau. Nous avons réussi à obtenir des informations sur les effets à long terme de ces implants. Ils provoquent des changements dans la manière dont les gens réagissent aux stimuli émotionnels, ils altèrent la mémoire, et ils inhibent la capacité de penser de manière critique autrement dit, les souvenirs gênants sont effacés, les émotions sont atténuées, et l'Individu devient plus réceptif aux ordres. C'est une forme de lavage de cerveau, mais sur une échelle massive.

Je reste figée, la bouche sèche, incapable de prononcer un mot. Tout cela semble tellement irréel, et pourtant, en voyant la gravité dans les yeux de Léo, je sais que c'est vrai.

— Tes parents, par exemple, ce qu'ils sont devenus... c'est le résultat de cette chirurgie.

La révélation me frappe comme un coup de poing. Mon esprit refuse de l'accepter, mais je sais que je ne peux pas l'ignorer. Tout ce que j'avais perçu, les changements chez mes parents, leur absence de passion, leur indifférence à tout... Tout prend soudainement sens. C'est bien pire que ce que je pensais. Ils ne sont pas seulement conformes, ils sont brisés, modelés à l'image du Consortium de la Beauté.

— Ella... je murmure, horrifiée. La même chose va lui arriver ?

Léo hoche la tête.

— Oui, sauf si on peut l'arrêter. Mais pour cela, nous devons d'abord comprendre comment désactiver ces implants. C'est pour ça que nous avons besoin de ton aide, Clara. Tu as déjà prouvẻ que tu étais prête à prendre des risques pour ceux que tu aimes. Maintenant, il s'agit de prendre un risque pour I'humanité tout entière.

— Pourquoi... Pourquoi moi ? je demande, ma voix à peine un murmure. Pourquoi suis-je celle qui doit faire ça ?

Il me regarde longuement, une lueur de compassion dans son regard durci par la vie. Puis, il s'approche et s'accroupit devant moi, posant une main sur mes genoux. Le contact est étrangement réconfortant, une ancre dans ce monde qui semble sur le point de s'effondrer.

— Parce que tu es différente, Clara. Tu n'as jamais accepté le monde tel qu'on te l'a présenté. Tu t'es toujours posé des questions, tu as toujours cherché à comprendre au-delà des apparences. C'est rare, tu sais ? La plupart des gens se laissent entraîner par le courant, mais pas toi. Tu te bats, même quand tu ne sais pas exactement pourquoi tu te bats. C'est pour ça que tu es ici, maintenant. Parce que tu es la seule qui ait eu le courage de chercher la vérité.

— D'accord, dis-je enfin, ma voix plus assurée. Je veux aider. Dis-moi ce que je dois faire.

Léo me sourit, un sourire fatigué mais sincère. Il se relève et m'aide à me lever. II me tend alors un dossier rempli de documents et de schémas complexes.

— ll y a une autre chose que tu dois savoir, ajoute-t-il. Il y a des laboratoires secrets, où ils mènent des expériences sur ces implants. Certains de nos anciens alliés étaient des chirurgiens pour le gouvernement. Ils ont réussi à fuir et à se cacher ici. Ils cherchent un moyen de neutraliser les implants, d'inverser les effets pour ceux qui ont déjà été opérés. Ils pourront t'expliquer en détail ce que ces implants font réellement et comment nous pourrions les neutraliser. Pour l'instant, tout ce que nous pouvons faire, c'est empêcher d'autres de subir cette opération, et te protéger, toi.

Je prends le dossier, mes mains tremblant légèrement. Tout cela est trop soudain, trop vaste, mais je sais que je n'ai pas le choix. Je dois comprendre ce que le gouvernement fait vraiment, pour sauver Ella, pour me sauver moi-même, et peut-être pour sauver bien d'autres encore.

— Mais pour l'instant, je vais te montrer où dormir.

Je le suis, le dossier serré contre ma poitrine, comme si le poids des révélations de Léo n'était pas déjà suffisant pour m'étouffer. Léo marche devant moi, silencieux, mais je sens sa présence rassurante. Il ne dit rien, ne se retourne pas, mais je devine qu'il est conscient du chaos qui fait rage dans mon esprit. Sa démarche est fluide, presque féline, malgré la tension visible dans ses épaules. Il a l'air de quelqu'un qui a vu trop de choses, qui a porté trop de fardeaux. Et maintenant, il partage ce poids avec moi.

Nous arrivons devant une porte en métal, qui grince légèrement lorsqu'il la pousse. La pièce à l'intérieur est petite, mais elle dégage une chaleur inattendue, presque réconfortante. Un simple lit est placé contre le mur, couvert d'une couverture en laine épaisse. Une lampe à l'éclat doux éclaire un coin de la pièce, jetant une lumière tamisée sur une table en bois. Quelques livres sont empilés là, ainsi qu'un carnet de notes ouvert, comme si quelqu'un avait interrompu son écriture en plein milieu d'une pensée.

— Tu peux te reposer ici, dit Léo en désignant la pièce d'un geste de la main. Ce n'est pas grand-chose, mais c'est sûr. Tu pourras prendre le temps de réfléchir à tout ça.

Je hoche la tête, reconnaissante. Je m'avance lentement vers le lit, mes jambes se faisant soudainement lourdes, comme si tout le stress accumulé se manifestait en un instant. Je m'assieds sur le bord, caressant distraitement la couverture rugueuse.

Léo reste debout près de la porte, comme s'il n'était pas sûr de devoir partir ou rester. Je lève les yeux vers lui, cherchant dans son regard une certitude, une force à laquelle m'accrocher. Mais ce que je vois dans ses yeux, c'est une fatigue profonde, un poids qu'il porte depuis bien plus longtemps que moi. Pourtant, il ne détourne pas le regard, et je sens qu'il attend quelque chose de moi, peut-être un mot, une assurance que je suis prête à suivre cette route sombre qu'il me montre.

— Léo... dis-je doucement, la gorge serrée. Je ne sais pas si je suis aussi forte que tu le penses. Je veux aider, mais... tout cela me dépasse.

Il s'avance alors lentement, s'accroupissant à nouveau à ma hauteur. Je ressens une chaleur émanant de lui, une humanité rare dans ce monde froid et contrôlé. Il pose une main sur mon épaule, et son geste, aussi simple soit-il, me donne un certain réconfort.

— Clara, personne n'est préparé à ça. Pas moi, pas Abby, pas même ceux qui ont choisi de fuir ici. Nous sommes tous terrifiés, nous doutons tous, mais c'est ce qui nous maintient humains, ce qui prouve que nous n'avons pas encore cédé à cette société déshumanisée. La peur, les doutes, tout cela fait partie de la lutte.

— Tu n'es pas seule, continue-t-il doucement. Nous sommes une communauté, une famille, même. Nous prenons soin les uns des autres, et nous nous battons ensemble. Tout ce que tu ressens, nous l'avons ressenti avant toi. Et nous avons tous trouvé notre propre chemin pour transformer cette peur en force. Prends tout le temps qu'il te faut, Clara.

Je le regarde, nos visages n'étant séparés que de quelques centimètres. Il est si proche que je peux sentir son souffle sur ma peau, et cette proximité, loin d'être intimidante, m'apaise étrangement. Il se relève avec une certaine lenteur, comme s'il se retirait à contrecœur de cette bulle de complicité fragile que nous venions de créer. Puis, sans un mot de plus, il sort de la pièce, me laissant seule avec mes pensées.

Je m'allonge sur le lit, la couverture rugueuse grattant légèrement ma peau, mais je suis trop épuisée pour m'en soucier. Je ferme les yeux, espérant que le sommeil m'emportera rapidement, mais c'est une illusion.

Chaque fois que je ferme les paupières, des images surgissent : mes parents, le regard vide après l'opération, Ella allongée sur une table chirurgicale, un implant insidieux glissant dans son cerveau. Mon cœur bat la chamade, et je me tourne sur le côté, essayant de chasser ces visions. Je repense à la Clara que j'étais il y a seulement quelques jours. Une adolescente effrayée par la perspective d'une chirurgie, mais encore capable de rire, de plaisanter avec Ella, de rêver d'un avenir différent, même si c'était en secret. Et maintenant, il me semble que ce monde appartient à une autre vie, une vie que je ne pourrais plus jamais retrouver.

Incapable de dormir, je décide de me lever pour trouver Léo. Je sors de la pièce, mon cœur battant plus fort à chaque pas. La lumière vient d'une autre pièce plus loin dans le couloir. En m'approchant, j'aperçois Léo. Je me dirige vers lui, la lumière tamisée de la pièce projetant des ombres dansantes sur les murs dénudés. Son lit est simple, presque spartiate, un matelas usé posé directement sur le sol. Il est allongé sur le dos, les bras croisés derrière sa tête, les yeux fixés au plafond. Quand je pénètre dans la pièce, il tourne lentement la tête vers moi, son regard se faisant plus attentif.

— Clara, murmure-t-il, s'asseyant légèrement pour me faire signe de m'approcher. Tu ne devrais pas être ici à cette heure-ci.

— Je n'arrive pas à dormir, dis-je enfin, ma voix tremblante d'émotions que je peine à contenir. Je... je pensais que je pourrais parler un peu plus avec toi.

Léo soupire, s'asseyant complètement et balayant les draps du lit d'un geste vague. Il me fait signe de m'asseoir sur le bord du matelas, et je le fais, mes mouvements hésitants. Ses mains se tendent vers moi, et il les pose doucement sur les miennes.

— C'est beaucoup à assimiler, Clara. Je comprends pourquoi tu es bouleversée, dit-il d'une voix douce, presque rassurante. Parfois, parler de ce qu'on ressent peut aider à alléger le poids.

Je hoche la tête, cherchant mes mots. Tout semble si confus, un tourbillon de pensées et de sentiments qui me dépasse.

— Je suis terrifiée, Léo. Tout ce que je croyais savoir sur mon monde est en train de s'effondrer. Mes parents... je comprends maintenant pourquoi ils sont devenus ce qu'ils sont. C'est comme si tout ce que je connaissais était une illusion. Et Ella... je ne veux pas qu'elle subisse ça.

— Tu as raison d'avoir peur, Clara. La peur est une réaction humaine, et c'est ce qui nous pousse à nous battre contre l'injustice, dit-il, ses yeux se remplissant d'une sincérité profonde. Mais il faut se souvenir que cette peur peut aussi être une force. Elle peut nous guider, nous motiver à changer les choses.

Je regarde nos mains entrelacées, cherchant du réconfort dans ce contact simple. Une larme échappe à mon œil, roulant sur ma joue. Je l'essuie rapidement, ne voulant pas montrer ma vulnérabilité. Léo semble comprendre et, sans un mot, me prend dans ses bras.

Un bâillement m'échappe, et Léo, avec un sourire fatigué mais doux, me dit :

— Tu peux dormir ici, si tu en as besoin.

Il m'invite à m'allonger à ses côtés, et je n'hésite pas. Le matelas est rudimentaire, mais je me sens étonnamment apaisée. Léo se recule légèrement, me laissant assez d'espace pour trouver une position confortable. Son odeur, celle du feu de bois et des herbes séchées, emplit l'air autour de moi. J'attrape sa main, et il me laisse faire, l'enroulant autour de la mienne comme pour me protéger du monde extérieur. Dans cette position, je me sens étrangement en sécurité. Sa présence, bien que discrète, est un baume pour mon âme agitée. 

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top