Chapitre 4
Je gribouille dans mes carnets jusqu'à ce que la nuit tombe, mais lorsque je me glisse dans mon lit, l'idée de la Friche me traverse à nouveau l'esprit. Au bout de quelques heures, je renonce à trouver le sommeil. Une impulsion soudaine me pousse à me lever. Je n'ai jamais été impulsive, mais l'idée de rester ici, à attendre mon destin, me donne la nausée.
Sans réfléchir davantage, je décide de faire ce que je n'aurais jamais osé faire auparavant. J'enfile des vêtements sombres, une veste, attrape une lampe que je glisse dans mon sac avant d'enfiler mes chaussures. J'ouvre lentement la porte, je respire un grand coup avant de quitter mon appartement.
Les rues sont étrangement calmes à cette heure, les VigilEyes au repos, leurs lumières clignotantes s'atténuant au loin. Je prends des détours, marchant dans l'ombre pour éviter toute détection. Mon cœur bat à tout rompre dans ma poitrine, mais je continue d'avancer. Je me dirige vers la limite de la ville, là où commencent les terres abandonnées, la Friche.
Le paysage change à mesure que je m'éloigne des blocs stériles et impeccables de Clarity. Les bâtiments en ruine, envahis par la végétation, apparaissent bientôt autour de moi, témoins d'un passé révolu. L'air y est plus lourd, plus sauvage. Je ressens une forme de liberté dans cet endroit, même si une part de moi ne peut s'empêcher d'être terrifiée. Les rumeurs sur les dangers de la Friche me reviennent en tête, mais je ne peux pas faire demi-tour maintenant.
Je m'aventure prudemment entre les décombres, le coeur battant. Soudain, un bruit de pas me fait sursauter. Je tends l'oreille, essayant de localiser la source. Une silhouette émerge soudainement de l'ombre, Ses traits marqués, sa barbe naissante et ses cicatrices visibles détonnent fortement avec la perfection stérile que je connais. C'est un jeune homme, peut-être un peu plus vieux que moi, avec une allure athlétique et une présence qui dégage une force tranquille. Ses yeux bleus brillent d'une intensité sauvage, contrastant avec la pâleur de la lune.
— Eh bien, qu'avons-nous là ? murmure-t-il, sa voix grave et légèrement rauque. Une visiteuse nocturne.
Je recule instinctivement, mais il lève une main en signe de non-agression.
— Je ne veux pas te faire de mal, rassure-t-il avec un sourire qui, malgré sa brutalité apparente, est chaleureux. Je m'appelle Leo.
Je le fixe, hésitant à croire que cet homme, si éloigné du stéréotype des citoyens parfaits que je connais, pourrait être la légende vivante que j'ai entendue dans les murmures des rues. Leo semble émaner une confiance et une assurance qui contrastent vivement avec ma propre anxiété. Je prends une grande inspiration, cherchant à calmer les battements précipités de mon cœur.
— Clara, dis-je finalement. Je... je ne devrais pas être ici. Je cherche juste un endroit pour réfléchir.
— Oh, ne t'inquiète pas pour ça, dit-il en faisant un geste large vers les environs. Viens, suis-moi.
Je lui emboîte le pas, restant sur mes gardes mais curieuse de savoir ce que je vais découvrir.
— Tu sais, la liberté a un prix, explique Leo en jetant un coup d'œil en arrière pour vérifier que je suis toujours avec lui. Les gens qui vivent ici ont choisi de préserver leur essence, leur individualité. Pas comme dans ton monde parfait où tout est contrôlé.
— Pourquoi as-tu choisi de vivre ici ? demandai-je, plus pour briser le silence que par véritable curiosité.
— Pourquoi ? demande-t-il en répétant ma question, avant de sourire légèrement. Peut-être parce que je ne pouvais pas vivre dans un monde où tout est décidé pour moi, où chaque détail de ma vie est contrôlé. Ici, on a le choix, même si c'est risqué.
— Alors, c'est ça, la liberté ? demandai-je, ma voix à peine plus qu'un murmure. Le fait de pouvoir choisir même si cela signifie vivre avec des risques ?
— Exactement, dit Léo en se retournant vers moi. La liberté, c'est accepter les risques qui viennent avec la possibilité de vivre selon ses propres règles. Ici, nous faisons face à l'insécurité, mais au moins, nous vivons vraiment. On choisit ce que l'on est et ce que l'on veut être, et ça, c'est quelque chose que le Consortium de la Beauté ne pourra jamais nous enlever.
Nous arrivons dans un campement rudimentaire, où des feux de camp crépitent doucement. Des silhouettes se dessinent autour des flammes, des visages marqués par la lutte mais empreints de dignité. Il y a une femme avec des cheveux noirs bouclés, son regard déterminé fixé sur les flammes. Un jeune homme, assis avec une guitare usée, joue une mélodie douce qui résonne dans l'air nocturne. Les enfants courent autour du campement, leurs rires et leurs cris apportant une énergie vivante à cet endroit.
Il y a quelque chose de profondément humain dans cet endroit, quelque chose que je n'ai pas ressenti depuis longtemps. Leo m'invite à m'asseoir près du feu et me tend un bol de soupe que j'accepte avec gratitude. Les arômes simples mais réconfortants de la soupe évoquent des souvenirs de mon enfance, mais ici, ils sont mélangés à une sensation de liberté que je n'avais pas connue depuis longtemps.
Je prends une gorgée de soupe, son goût rustique me réconfortant dans cette nuit d'incertitude. Le feu crépite devant moi, projetant des lueurs dansantes sur les visages de ceux qui l'entourent. Léo se tourne vers moi et je sens mon coeur rater un battement.
— Et toi, Clara, pourquoi es-tu venue ici ? Qu'est-ce qui t'a poussé à quitter ce monde parfait pour venir chercher des réponses ici ?
Je prends une profonde inspiration, mes doigts jouant nerveusement avec le bol de soupe. Léo attend patiemment, ses yeux ancrés dans les miens, m'offrant un espace pour exprimer ce que je ressens au fond de moi.
— J'ai toujours senti que quelque chose clochait, dis-je finalement. Cette société où tout est décidé pour nous... je n'arrive plus à l'accepter. L'art est tout ce que j'ai pour exprimer ce que je suis mais mes parents ont cessé de le voir comme quelque chose de significatif. Ils m'ont appris que c'était juste un passe-temps, un divertissement. Je me suis toujours sentie différente, et maintenant, cette différence est devenue une cage dont je veux sortir.
— Je comprends, Clara. C'est un sentiment que beaucoup partagent, murmure-il.
Son regard se détourne lentement, cherchant quelque chose dans l'obscurité, puis il se tourne vers moi avec un sourire.
— Je crois que Mila et Darius ont remarqué que tu étais arrivée, dit-il en hochant la tête vers l'autre côté du campement.
Je suis sur le point de demander qui sont Mila et Darius lorsque deux nouvelles silhouettes se détachent dans la lueur vacillante du feu. Mila, une jeune femme à la chevelure noire et ondulée, avance avec une démarche gracieuse mais déterminée. Ses yeux, d'un marron profond, brillent d'une intelligence vive. Darius, un jeune homme à la carrure imposante mais au sourire doux, la suit de près. Leur présence est accueillante, mais je ne peux m'empêcher de ressentir un léger trac. Mila s'arrête à une distance respectueuse avant de tendre la main avec un sourire chaleureux.
— Bonjour, je m'appelle Mila, dit-elle d'une voix claire et amicale.
— Clara, répondis-je en lui serrant la main, un peu hésitante.
Sa poignée est ferme, mais ses mains sont douces. Je remarque un éclat d'enthousiasme dans ses yeux, comme si elle était réellement intéressée par ma présence ici.
Darius, dont les yeux sont d'un bleu clair et tranquille, sourit de manière réconfortante. Il se penche légèrement vers moi.
— Ravi de te rencontrer, Clara. J'espère que Leo t'a bien accueillie.
Il a une voix douce, presque mélodieuse, et son attitude dégage une chaleur rassurante. Je me sens un peu plus à l'aise en leur présence.
— Oui, Leo a été très accueillant, dis-je en cherchant mes mots. Je... je ne suis pas vraiment sûre de ce que je cherche, mais je sentais que je devais venir ici.
Mila s'assoit à côté de moi sur une couverture usée étendue sur le sol. Son regard est attentif, comme si elle cherchait à lire entre les lignes de mes paroles.
— C'est souvent comme ça, dit-elle doucement. La plupart des gens qui arrivent ici chercher quelque chose de plus sans savoir exactement quoi.
Darius prend place à côté d'elle, observant le feu avec un regard contemplatif avant de se tourner vers moi.
— Chacun de nous a sa propre histoire, ses propres raisons de rester ici. Moi, je suis venu ici parce que je ne pouvais plus supporter la pression de la perfection imposée par la société. Mila, elle, travaillait pour le Consortium mais elle cherchait un sens plus profond à sa vie. Et chacun de nous a trouvé une partie de ce qu'il cherchait en partageant cette existence dans la Friche.
Alors que nous parlons, un groupe d'enfants arrive en courant, leurs rires résonnant dans la nuit. Ils s'arrêtent en nous voyant, leurs yeux brillants de curiosité. L'un d'eux, un petit garçon avec des cheveux ébouriffés, s'approche timidement.
— Qui est-ce ? demande-t-il en me regardant fixement.
Mila se penche et lui adresse un sourire réconfortant.
— C'est Clara, une nouvelle amie. Elle est venue nous rendre visite.
Le garçon me regarde avec des yeux écarquillés.
— Vous venez de la ville ? demande-t-il, ses mots emplis d'une sincérité enfantine.
Je hoche la tête, un sourire s'étirant sur mes lèvres malgré l'émotion qui me serre la gorge.
— Oui, je viens de là-bas. Et vous, qu'est-ce qui vous a amenés ici ?
La fillette aux tresses noires se redresse et regarde les autres enfants, comme si elle cherchait la permission de parler.
— On est venus chercher un endroit où les gens nous voient pour ce que nous sommes vraiment, pas juste pour ce qu'ils veulent que nous soyons, explique-t-elle avec une sagesse surprenante pour son âge.
— C'est exactement ce que je cherche, murmuré-je, presque à moi-même.
Je regarde les enfants se disperser, leurs rires et leurs jeux reprenant leur place autour du campement. Nous restons un moment près du feu, les conversations et les rires des autres créant une ambiance chaleureuse et rassurante. Les premières lueurs de l'aube s'insinuent à travers les ruines de la Friche lorsque je me décide enfin à rentrer chez moi. Le chemin du retour me semble long, comme si la distance entre cet endroit et Harmonia Perfecta s'était étirée au cours de la nuit. Pourtant, en franchissant les frontières de la Friche, je me sens différente, plus éveillée, comme si une part de moi que j'avais étouffée depuis des années venait de renaître.
Je rentre chez moi sur la pointe des pieds, déjouant les systèmes de sécurité avec une aisance que je n'aurais jamais soupçonnée, le cœur battant encore au rythme des émotions que j'ai ressenties là-bas. Je me faufile dans ma chambre, faisant tout pour ne pas réveiller mes parents. Je m'effondre sur mon lit, épuisée, mais avec une nouvelle étincelle au fond de moi.
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