Sorry
Harlow
Le tintement de la cloche fait relever la tête de Kendra en train d'arranger des objets sur une étagère, quand je passe la porte de sa boutique de décoration.
A ses yeux fatigués, j'en déduis qu'elle n'a pas l'air mieux que moi.
— Tu m'as l'air épuisée ma chérie, m'apostrophe-t-elle en venant vers moi.
Kendra et moi nous prenons dans les bras pour nous saluer.
— Parce que je le suis. Je sors d'une réunion importante et ma nuit a été courte...
Son sourire à la façon du chat du Cheshire m'indique que j'ai suscité sa curiosité. Mais je vais crever dans l'œuf tous ses espoirs.
— Et surtout, continué-je, je ne m'attendais pas à trouver Isaac sur mon canapé au réveil... tu imagines le choc ! Heureusement que je ne suis pas cardiaque.
Kendra grimace.
— Je suis désolée H, mais tu connais Foster, quand il veut quelque chose...
— ... Et que tu es bourrée, rien ne lui résiste...
Je laisse planer la fin de ma phrase.
Mon amie se crispe et se justifie :
— Ecoute Harlow, j'ai confiance en Tyler, mais James c'était la première fois que je le voyais. Même si ça a matché entre vous, je m'en serais voulu toute ma vie s'il t'était arrivé malheur.
— Comme un accident de planche de surf ?
Kendra ouvre de grands yeux alors que je m'esclaffe comme une baleine.
— Rien oublie, dis-je une fois calmée. Et merci quand même, fais-je en la prenant dans les bras.
— De rien ma pétasse. Et oh non, je suis curieuse de savoir... Harlow Jenkins qui fait de l'humour après une soirée arrosée, c'est une première.
Je lui tire la langue, puis je lui relate mon début de matinée, ma conversation avec Isaac et sa réflexion sur James. Je passe sous silence qu'il a failli m'embrasser avant de se rétracter.
— Tu savais que James était ébéniste ?
Comment passer du coq à l'âne !
K fait non de la tête et lève un sourcil attendant la suite.
On se dirige vers l'arrière boutique, où je m'affale sur le fauteuil, de style année cinquante, en déposant les poches qui contiennent notre repas sur la table basse, avant de reprendre :
— Il fait partie de l'équipe d'artisans sélectionnés pour effectuer les rénovations de chez Foster.
— Je vais préparer des pop corn, l'ambiance va-être sympa.
Je lui donne une tape sur le bras.
— Ben quoi ?
— Ben quoi ? punaise Kendra, je me suis retrouvée avec les deux en réunion ce matin qui jouaient à qui a la plus grosse... la surprise a été de taille.
Kendra éclate de rire.
— Cool si mon aventure te fait mourir de rire.
Elle s'esclaffe de plus belle.
— Tu te rends compte du vocabulaire que tu emploies ? Taille, aventure... placé hors contexte... ça peut prêter à confusion.
Je la regarde comme si une corne lui avait poussé au milieu du front, puis je ris à mon tour.
— Mais qui ne rêverait pas d'être entre eux deux ma chérie ? continue-t-elle une fois que nous sommes calmées.
— Heu... moi.
Kendra balaye ma réplique d'un coup de main, l'air de dire, on y croit, puis elle sort les plats préparés de leurs emballages.
— Hum, je crève la dalle.
— On parle de nourriture ou d'autre chose ?
— De nourriture H... j'ai encore des courbatures d'avoir trop lever les jambes et les fesses en feu, alors...
— C'est bon Kendra, épargne moi les détails de tes parties de jambes en l'air justement.
On éclate de rire en mordant chacune dans notre part de pizza.
— Pourtant ça ne te ferait pas de mal. Depuis quand tu n'as pas vu une queue ? une vraie je veux dire, pas celle en plastique de monsieur Dick.
Monsieur Dick est très serviable et toujours opérationnel, merci.
— Depuis Dan, avoué-je à demi-mot.
Kendra fait la moue.
— Oh ça va, il n'y a pas si longtemps non plus. Bon ok je te l'accorde monsieur dick a repris du service.
On s'esclaffe de nouveau.
— Et James ?
— On s'est vu trois heures, dont deux avec plus d'alcool dans le sang que de botox chez Kim Kardashian.
— Pas faux.
Je me souviens que j'ai clamé haut et fort étant adolescente, que je garderais ma première fois pour celui qui ferait battre mon cœur... ça a failli arriver... mais on sous-estime souvent le pouvoir qu'ont les hormones de vous faire changer d'avis en présence d'un homme avec des doigts magiques et des paroles aphrodisiaques.
— Ah ! Dan le gynécologue et sa fusée magique et... sa femme.
On rit encore.
Pour la petite histoire, j'ai rencontré Dan lors d'une soirée entre collègues, quand j'étais à San Francisco, dans un des bars les plus réputés de la ville. Il est arrivé tard et s'est présenté comme le cousin de mon assistante. La conversation est devenue fluide entre nous, les verres se sont enchaînés et une chose en entraînant une autre, j'ai terminé chez lui pour en prendre un dernier... sauf que je n'ai pas pris que ça.
Rho Harlow qui fait de l'humour potache maintenant.
Il a été parfait pour ma première fois. Au départ je ne voulais pas aller si loin, il n'a d'ailleurs pas insisté, à compris ma volonté de me réserver pour celui dont je tomberai amoureuse... sans mentionner que malheureusement je l'avais été de quelqu'un qui s'était joué de moi. Nous nous sommes contentés de préliminaires ce soir-là. Puis Dan a voulu me revoir, j'ai accepté, et petit à petit il a su se frayer un chemin jusqu'à mon cœur. Je n'étais pas amoureuse, mais j'étais bien avec lui. Nous abordions les sujets sans importance, mais ça nous convenait à tous les deux. Sans rentrer vraiment dans les détails de la vie de l'autre, il savait que j'étais architecte d'intérieur, d'où je venais, j'ai appris qu'il était médecin, voilà pour le plus important. Une sorte d'amitié améliorée. Sans prise de tête, on se voyait quand on pouvait, avec interdiction d'aller voir ailleurs, ma condition sine qua non.
Alors pourquoi ne pas me lancer ? Il faisait des miracles avec ses doigts et sa bouche.
— Un mec avec tant de talent ne se refuse pas Harlow, m'a affirmé Kendra, un jour que je l'avais au téléphone. Si tu connaissais le nombre de meufs qui n'ont jamais atteint un orgasme avec un cuni parce que leurs mecs n'ont jamais trouvé leur clito. J'ai lu une étude un jour...
J'ai rigolé en la traitant de folle.
Alors un soir j'ai craqué. Nous sommes allés jusqu'au bout. Dan a été patient, tendre, murmurant des phrases pour me rassurer... sauf que cette fois-là, un autre visage apparaissait derrière mes paupières closes... je l'ai vite chassé, mais ce sont des regrets qui les ont remplacés... et puis, les jours ont passé, j'essayais d'éloigner au maximum cette boule de culpabilité qui grossissait à chacune de nos retrouvailles. Et puis un matin tout a basculé.
J'attendais mon tour dans la salle d'attente de la clinique où j'avais rendez-vous avec mon gynécologue, quand mon regard s'est porté sur un couple enlacé un peu plus loin dans le couloir qui mène aux bureaux des différents médecins. Je n'ai pas eu le temps d'en découvrir un peu plus, car la secrétaire est venue me prévenir que c'était mon tour. Pourtant en me levant, mon sixième sens m'a fait relever les yeux... ils ont croisé ceux de mon copain qui n'était pas censé avoir sa langue dans la bouche d'une autre femme que moi. Dan a vite détourné le regard. Sous le choc, je suis passée à côté du couple sans faire de scandale, mais quand je me suis rendu compte que l'assistante me montrait le bureau d'où était sorti Dan et cette femme, mon sang n'a fait qu'un tour et je suis partie sans me retourner. Il n'a pas cherché à me rattraper, ni même à m'appeler.
Ca ne pouvait pas recommencer.
Non seulement il voyait quelqu'un d'autre, mais en plus il allait être mon nouveau gynécologue. Hors de question.
Il a bien essayé de me joindre plus tard, et cela à plusieurs reprises me suppliant de lui pardonner, tout le bla-bla habituel, puis il a fini par tout avoué. Qu'il était marié, mais malheureux, mais malgré ça, il ne pourrait jamais quitter son épouse, car la clinique appartient à son beau père, et c'est une clause du contrat de leur mariage. Il divorce, il perd tout.
C'est comme ça que j'ai appris qu'il avait une double vie, bêtement.
Je n'ai répondu à aucun de ses messages après ça. J'ai effacé son numéro, je présume qu'il a dû passer à une autre... je n'étais pas triste que ce soit terminé avec lui, car comme je l'ai précisé je n'y tenais pas, J'étais surtout en colère de m'être fait avoir comme une gamine.
Encore une fois.
J'ai dû être une sacré garce dans une vie antérieure.
J'avais donné ce que je gardais précieusement à un connard qui n'en valait pas la peine. Combien de nanas avait-il eues avec ses belles paroles et son physique de gendre idéal ?
L'idée m'a traversé furtivement d'aller voir son épouse pour la prévenir du comportement de son mari, puis je me suis raisonnée... peut-être est-elle au courant ? Les couples libres ça existe.
Quelques jours après, je recevais la visite de ma tante adorée qui me proposait de rejoindre son agence.
— Hey ! t'es partie où ?
— A Frisco.
— Je vois.
La suite de notre repas improvisé dans l'arrière boutique de Kendra, se passe dans la bonne humeur et les gossips que ma meilleure amie se fait un plaisir de me raconter, sur certains de nos anciens camarades de classe.
Puis d'un coup, Kendra redevient sérieuse et me balance la bombe.
— J'ai couché avec Isaac.
La part de pizza dans laquelle je m'apprête à mordre reste en suspens devant ma bouche. Mes yeux doivent sortir de leurs orbites et pourtant, c'est comme si je l'avais compris depuis que je les ai surpris au Sunset hier soir.
— Je t'en prie, dis quelque chose H.
Je me racle la gorge.
— D'accord... et ?
— Tu ne m'en veux pas ?
Non.
Si.
Mais ce n'est pas ce que je lui réponds.
— Pourquoi je t'en voudrais ? on n'est pas ensemble lui et moi, et on ne l'a jamais vraiment été...
Je recale des souvenirs qui veulent m'envahir bien au fond de ma mémoire.
— Mais je m'en suis voulu Harlow.
Je lève un sourcil, attendant qu'elle développe.
— On était saouls tous les deux... on s'est retrouvé à une fête chez Alan, et ni lui ni moi n'allions bien après ton départ précipité...
Une boule obstrue ma trachée au souvenir de ce qui a causé mon départ précipité. Ou plutôt ma fuite.
— Une sorte de consolation mutuelle.
— Toi, je peux comprendre, et je me suis excusée pour avoir agi comme je l'ai fait... mais Isaac je ne vois pas pourquoi il l'a mal pris... certainement parce qu'il perdait son jouet, et en disparaissant, je mettais fin à son jeu malsain.
— ... Ou l'amour de sa vie...
Je reste sans voix en fixant Kendra.
— N'importe quoi.
Peut-être serait-il temps après toutes ces années que je lui raconte la véritable raison de mon départ. Kendra doit avoir un don d'ubiquité.
— Ne te sens pas obligée de tout me dire maintenant H. Je ne suis pas la première personne à qui tu dois des explications.
Ma main est toujours en suspension. Décidément je ne vais jamais arriver à manger cette part de pizza. Cependant, je suis stupéfaite par la réflexion de Kendra.
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