S'abandonner
Harlow
Une fois descendue de la voiture, je lisse, dans un geste machinal, un pli imaginaire de ma jupe crayon, puis j'enfile mon manteau en laine, le froid commençant à s'installer à Atlanta. Mes pas me guident devant les doubles portes de l'immeuble de Foster Financial.
Le blanc du hall agresse toujours mes rétines quand j'y pénètre, et m'amuse toujours en imaginant Isaac au milieu de tout cette peinture immaculée.
Plus que deux jours et les travaux de rénovation vont commencer.
Je m'approche du comptoir où la même réceptionniste que la fois précédente m'accueille d'un sourire commercial qui n'atteint pas ses yeux, dévoilant des dents aussi blanches que le décor dans lequel elle travaille.
— Bonjour, je n'ai pas rendez-vous, mais il faut absolument que je rencontre Isaac...
— Ça ne va pas être possible madame Jenkins, son planning est très chargé, me coupe-t-elle.
Tu crois que je fais quoi moi ? que je tricote en attendant Ulysse ?
— Je n'en doute pas... Isaac est un homme très demandé, elle hausse si haut les sourcils que je m'étonne qu'ils ne touchent pas l'arête de ses cheveux, mais c'est vraiment très important.
— Je suis vraiment navrée madame Jenkins, mais je ne vais pas pouvoir accéder à votre demande.
— Cela ne prendra pas longtemps, j'en ai pour quelques minutes...
Ouh la menteuse.
— Inutile d'insister, m'interrompt-elle à nouveau, nous avons des directives très précises.
— Bien.
La manière frontale ne fonctionne pas avec les têtes de mules, prenons un chemin détourné en agitant une carotte.
Sceptique, elle me regarde avec méfiance, et elle a raison. Je fouille dans mon sac, sort mon IPhone et m'apprête à composer directement le numéro de celui que je suis venue voir.
J'ai autre chose à faire de ma journée que de corroborer le minimum d'autorité, que s'octroie une employée jalouse de chaque cliente qui se présente pour rencontrer Foster junior.
— Qui appelez-vous ?
Celui qui te paie.
— Hades directement.
Elle blêmit malgré la tonne de fond de teint dont elle est tartinée.
— Attendez, je vais informer Jenny de votre présence.
Je souris intérieurement.
— Parfait. Précisez-lui que je ne vais pas monopoliser trop longtemps le temps si précieux de son patron.
J'écoute d'une oreille discrète ce que le Cerbère de garde raconte à sa collègue tout en checkant mes mails. Je lis celui de ma tante qui m'informe que tout est validé et que les travaux commencent bien après-demain. En retour, je l'informe où je suis, en lui précisant que dès que j'ai terminé j'arrive à l'agence et nous pourrons revoir si tout est bien calé. Je suis une maniaque dans le travail et je l'assume. Je verrouille mon mobile quand l'employée du mois s'adresse à moi.
— Monsieur Foster va vous recevoir.
— Très bien, merci pour votre collaboration.
Sans plus attendre, je pivote sur moi même pour marcher jusqu'aux ascenseurs. Je pénètre dans la cabine, et avant que les portes ne se referment, j'ai le temps d'apercevoir Isobel et le père d'Isaac sortir de l'autre élévateur. La mine rejouie de ma tante, et la paume de la main d'Henry effleurant la courbe de ses reins, me laisse sans voix. Mais je n'ai pas le temps d'examiner plus en détail leur gestuelle car les portes se referment.
Vingt étages plus haut, un :
— Bonjour Harlow, me cueille d'une voix chaude dès l'ouverture des portes métalliques.
Isaac se tient droit, son regard à la couleur orageuse perfore le mien, les mains dans les poches de son costume bleu marine, à la coupe parfaite, porté sur une chemise blanche, sans cravate, dont les deux premiers boutons sont ouverts. Ses cheveux sont en batailles, conséquence des passages réguliers de ses doigts, le chaume de barbe qu'il arbore fait ressortir ses lèvres pleines, et me donne envie d'y passer ma main pour en sentir la rugosité. Isaac a toujours dégagé cette dangerosité qui soit vous repousse, soit vous donne envie de plonger. Et je suis dans le deuxième cas depuis ... toujours.
— Harlow ?
Honteuse de m'être fait prendre en plein matage, je me recompose une prestance.
— Désolée. Bonjour Isaac.
— Pas de problème, H, j'ai toujours apprécié la façon particulière que tu as de me mater.
Je lève les yeux au plafond.
— Ah bon ! et de quelle manière je te mate ?
Isaac avance d'un pas, toujours avec cette indolence qui lui est propre, si bien que la pointe de nos chaussures se touche quand il s'arrête.
— Comme si j'étais une friandise.... que tu te refuses de manger... parce qu'elle contient trop de sucre... mais tu la désires quand même... parce que tu imagines le plaisir que ça doit être de la dévorer... et la jouissance que cela te procurera...
Je déglutis, je rougis aussi.
Nous ne sommes plus qu'à un souffle l'un de l'autre. Isaac ramène une mèche de cheveux derrière mon oreille, envoyant directement des fourmillements dans tout mon corps.
— Je n'ai jamais fait de régime Hades, susurré-je au creux de son oreille.
Je le sens frissonner à son tour.
Nos regards percent celui de l'autre, seulement des bruits venant du couloir nous forcent à reculer et à reprendre nos esprits.
— Viens.
Isaac se place à mes côtés, nos bras se frôlent alimentant ce feu qui crépite entre nous. Je fais un signe de main à Jenny en passant devant son desk. Arrivés sur le seuil de la porte de son bureau, Isaac se décale afin que je pénètre en premier dans la pièce, puis j'entends le battant se refermer derrière moi.
— Tu souhaites me voir H ?
Je dépose mon sac sur le canapé, maintenant que je suis sûre qu'il ne chope pas de nanas dessus, j'en profite pour me délester de mon manteau sous les prunelles brûlantes du directeur des lieux.
— Oui, mais ce n'est pas facile de franchir les eaux du Styx.
Isaac rigole.
— Je donnerais des instructions pour que ça ne soit plus le cas. Ça tombe bien moi aussi j'avais besoin de te rencontrer.
— C'est à ton tour de mater Isaac, fais-je en le dévisageant..
Une moue adorable illumine son visage et fait fondre un peu plus la glace qui entourait mon organe vital.
— Je ne vais pas te mentir, depuis que mes yeux ce sont posés sur ta silhouette, je n'ai qu'une putain d'envie c'est de découvrir ce que tu caches sous ce tailleur.
Ces mots ont un pouvoir que je pensais révolu, mais apparemment pas, puisque l'envie soudaine d'accéder à son souhait se fait tenace.
— Je ne suis pas venue pour ça Isaac, dis-je en me ressaisissant.
Ma conscience est écroulée de rire.
Il m'observe la tête penchée sur un côté, son index caressant sa lèvres inférieure comme s'il avait à résoudre une équation à double inconnues, et moi je ne rêve que d'une chose c'est de remplacer ce doigt.
On a établi que tu n'es pas venue pour montrer tes sous-vêtements au beau gosse.
— Peut-être pas aujourd'hui princesse, affirme-t-il en me rejoignant, mais un jour c'est sur...
— C'est une menace Isaac ?
On sourit tous les deux, car nous revient en mémoire ce fameux jour où je je lui avais sorti exactement la même réplique, quand il m'avait surprise dans le couloir qui menait aux vestiaires du stade, et qu'il avait failli m'embrasser.
— Non, une promesse, princesse.
Le temps paraît s'arrêter, mais Isaac se reprend le premier.
— Tu veux boire quelque chose ?
— Si tu me dis que tu as du bubble tea, je ne te croirais pas.
— Non pas ici, rit-il, mais je peux envoyer Jenny en chercher un, si tu veux.
— Pas la peine de déranger ton assistante pour un caprice. Je présume qu'elle a du travail, tu ne dois pas être un patron sympa.
— Je sais me montrer reconnaissant.
Isaac me fait un clin d'œil, et malheureusement des images de lui et sa secrétaire à genoux sous le bureau éclatent mes rétines.
Je croise mes bras sous ma poitrine en signe de barrière de protection, sauf que, Isaac étant Isaac, mon geste détourne ses yeux des miens pour les poser là où il ne devraient pas.
— Excuse-moi Harlow, fait-il confus.
— Tu fais ce que tu veux de ton organe reproducteur Isaac.
Issac part dans un grand éclat de rire qui me contamine.
— Ah ma princesse, tu m'as manqué.
Son regard se fait plus pressant, et moi je me fige.
A qui la faute ? ai-je envie de le blesser.
— Bon, tu ne m'as toujours pas répondu.
Sentant le malaise, le changement de sujet est le bienvenu.
— Un café, s'il te plait.
— Mauvaise nuit ?
— On peut dire ça oui.
— Alors on était deux.
Pendant qu'il demande à Jenny de nous apporter notre caféine, j'en profite pour me poster devant la fenêtre. La vue y est à couper le souffle. Il domine le quartier historique, centre névralgique des affaires, où le parc olympique du Centenaire avec en son centre la pièce maîtresse de ce lieu si emblématique, la Fontaine aux anneaux, apporte un coin de verdure. Je sais pour y avoir assisté, que des concerts à l'heure du déjeuner y sont donnés. Je continue d'observer le mouvement des passants dans la rue, quand je sens la présence d'Isaac dans mon dos. Je ne bouge pas, ce qui n'est pas son cas, puisque son souffle chaud balaie ma nuque laissée libre par ma queue de cheval haute.
— Il faut que l'on parle H. Hier soir... ce que tu m'as avoué... m'a mis un genou à terre.
Maintenant ce sont ses mains qui agrippent mes hanches.
Ma tête tourne.
Je devrais lui ordonner de retirer ses doigts qui compriment ma peau d'une douce tourture. Mais je suis toujours immobile, incapable de me retourner et encore moins de parler.
— Harlow, regarde-moi.
Trois coups frappés contre le battant, me laissent un peu de répit.
— Entre.
Le bruit des talons de son assistante perce le silence tendu qui règne dans le bureau. Je suis toujours concentrée sur la vue, et Isaac ne m'a pas lâchée pour autant.
— Merci, se contente-t-il de dire sans se détourner de moi.
La porte se referme et cette fois-ci, il n'hésite pas à me faire pivoter pour lui faire face.
Nos regards se perforent.
— Que veux-tu que je te dise Isaac ? fais-je en me détachant. Tu as un genou à terre ? moi, ce sont les deux qui ont touché le sol, quand j'ai aperçu une silhouette féminine dans ta chambre ce soir là, alors que je t'attendais comme une imbécile... alors je ne pense pas que tu ais à m'en vouloir d'avoir donné à un homme, qui me respectait...
Ma conscience éclate de rire à la mention de Dan et respect dans la même phrase, mais je la claquemure,
— ... Ce que tu aurais dû avoir si tu n'avais pas tout foutu en l'air.
Un Isaac muet et contrarié, nous entraîne vers le coin salon, où nous attendent deux tasses de café fumantes, ainsi qu'une corbeille remplie de viennoiseries françaises. Il me tend une brioche et j'en profite pour m'asseoir. Isaac est toujours debout, me domine, son regard se fait perçant. Tout un tas d'émotions passent dans ses yeux.
Du regret.
De la colère.
J'avale une première gorgée, mais voyant qu'il reste toujours mutique, je prends une grande inspiration, et je me lance.
— Qui était la fille avec toi et pour laquelle tu m'as posé un lapin Isaac ?
Je suis venue jusqu'ici pour avoir des réponses, autant commencer par le principal. Car tout découle de ce rendez-vous manqué délibérément.
— Je ne peux toujours pas te donner cette information, H, argue-t-il en serrant la mâchoire.
Je repose un peu trop brusquement la tasse sur la table en verre.
— Très bien, abdiqué-je en me levant.
Un fois debout, Isaac me saisit le poignet, ce qui m'oblige à stopper mon envie de décamper.
— Crois moi, Harlow, si je t'affirme que j'en meurs d'envie... j'en ai plus que marre de garder toutes ces conneries pour moi... mais encore une fois, je vais me répéter... ce n'est pas à moi de le faire.
— Mais merde Isaac ! fulminé-je, c'est à qui alors ? donne ce fichu nom pour que je puisse enfin avoir des réponses. Moi aussi, j'en ai ma claque de subir les répercussion d'une bêtise effectuée il y a des décennies.
— Il ne s'agit plus de cette vengeance là ma princesse...
— Encore mieux ! je m'exclame en levant les bras au ciel. Et de quoi est-il question maintenant ? D'adultère ? d'enfant caché ? Tu peux m'avouer si tu as eu un gosse avec cette nana... il y a prescription. Et sinon, Kim a l'imagination fertile alors je m'attends à tout.
Isaac se crispe et blêmi.
— Alors Hades ?
Mes cils se gorgent de larmes, de colère, de déception, de fatigue. Isaac se rapproche, me prend dans ses bras, d'instinct, de besoin, je me love contre son torse ferme, entourant sa taille de mes bras. Mon front s'échoue contre ses pectoraux. Isaac plonge son nez dans mes cheveux, respire fort, resserre sa prise, mes joues baignées de larmes mouillant sa chemise, mais il ne bouge pas.
— Si tu savais comme je m'en veux, princesse.
Son timbre est étouffé car son visage repose sur mon crâne.
— De quoi, sangloté-je.
— De tout. De ne pas avoir eu le courage suffisant d'envoyer Kim se faire foutre, d'avoir cru que je pouvais l'envoyer balader comme je te l'ai affirmé, d'avoir cédé à son chantage cruel, d'avoir attendu toutes ces années avant de t'avouer mes sentiments. Mais le pire de tout Harlow... c'est de t'avoir humiliée en t'abandonnant ce soir-là. J'étais conscient du mal que mon comportement allait te faire... mille fois j'ai failli venir te rejoindre et envoyer valser toutes les conséquences... et puis je pensais à toi et à ce que produirait mon comportement égoïste, alors je me ravisai en bouillonnant de rage envers...
— Qui ? insisté-je, dans une veine tentative qu'il craque.
Isaac secoue la tête de droite à gauche. Je soupire de lassitude.
Je relève ma tête l'obligeant à agir de même. Il essuie les larmes de ses pouces qui n'arrêtent pas de se déverser, nos regards ne se quittent pas, je devine son intention, quand ses pupilles, luisent d'une envie qui fait écho à la mienne, alternent entre mes yeux et ma bouche, mais je ne fais rien pour m'y soustraire, au contraire. Lentement j'approche mon visage et nos lèvres finissent par se rencontrer.
Enfin.
On souffle de soulagement.
Sans m'en rendre compte, j'attendais ce moment depuis des années. C'est doux, sensuel. Mes doigts s'accrochent à ses cheveux, un grognement de satisfaction passe ses lèvres, ses mains agrippent ma taille plus fermement, la chaleur qui s'en repend me donne le courage d'aller plus loin. les questions je me les poserai plus tard. A l'instant, je n'ai besoin que d'Isaac et ses bras réconfortants. J'entrouvre mes lèvres, donnant le signal à Isaac d'aller plus loin. Nos langues s'emmêlent, dansent, heureuses de se retrouver après toutes ces années à être séparées. Je m'abandonne. Et puis, tout s'accélère. Isaac passe ses mains sous ma jupe, remonte le long de mes cuisses, découvre mes bas, trace des cercles sur la bande de peau laissée nue par la soie, râle en empoignant mes fesses, me plaque contre son érection, il me soulève et d'autorité mes jambes ceinturent sa taille. Il nous porte jusque sur le canapé où il nous allonge sans jamais détacher nos lèvres. Ses doigts se font plus impérieux, je me cambre, recherche le soulagement en me frottant contre son érection.
— Doucement princesse...
C'est le déclic.
Qu'est-ce que je fabrique ?
Je le repousse afin de me redresser. Isaac s'exécute ne comprenant surement pas ce qu'il me prend.
— Désolée... ça n'aurait pas dû aller si loin...
— Pourquoi ?
— Parce que rien n'est réglé, parce que tu ne...
Isaac se lève du canapé, passe ses mains sur chevelure, avant de les croiser derrière sa nuque.
— Alors, si je suis ton raisonnement à la con, j'allais m'offusquer, mais il me fait taire d'un mouvement de main, tant que je ne t'aurais pas confesse qui était avec moi et pourquoi, je dois faire une croix sur ta bouche et ton corps ? C'est bien ça ?
Je me lève à mon tour en ajustant ma jupe et mon chemisier.
— Remarque, reprend-il je préfère ça, à l'inverse...
Je fronce les sourcils.
— Imagine que tu te donnes à moi pour avoir tes renseignements... Qu'est-ce que cela ferait de toi Harlow ?
Ma main part seule, sans l'autorisation de mon cerveau. Le bruit de la gifle perce le silence.
Quand Isaac est blessé, il mord. Et c'est exactement ce qu'il me démontre.
— Je crois que l'on n'a plus rien à se dire. Dorénavant, toi et moi, on se contentera de rapports strictement professionnels.
Sans attendre, je récupère mon sac et mon manteau, Isaac n'a toujours pas bougé, seuls ses yeux suivent mes mouvements. Je m'en veux de l'avoir frappé, mais ses mots sont trop cruels. Insinuer que je pourrais être une pute pour lui soutirer des informations me donne envie de vomir.
Les doigts sur la poignée, je me retourne une dernière fois, attendant un geste de sa part, mais Isaac reste statique, toujours en me dévisageant.
— Pardon, soufflé-je tout bas, en constatant les traces rouges sur sa joue, puis j'ouvre le battant et me précipite vers les escaliers.
Je ne sais pas de quoi j'ai l'air en passant devant le bureau de Jenny, mais quand je croise son regard, ainsi que le rictus qui ourle ses lèvres j'ai ma réponse.
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