Réveil tendu

                                                 
Isaac

L'eau chaude coule en pluie sur mes épaules endolories par les tractions que je me suis infligées ce matin après le départ précipité de Harlow.

Tout avait pourtant bien commencé.

Me réveiller à ses côtés a été le plus doux des réveils auquel j'ai eu droit depuis des années. Je ne passe jamais une nuit complète avec une fille, on baise, je prends une douche et basta. Mais ouvrir les yeux, et tomber dans ses orbes, aussi vert que les mers du sud, sur son air apaisé, encore endormi m'ont immédiatement emporté vers une destination dont je savais que je refuserai de revenir.

Déjà cette nuit, la sentir contre moi, prendre mon temps, malgré la frénésie de la posséder qui m'a envahie dès que je l'ai vue dans sa ridicule tenue de sport, a été un supplice auquel j'ai dû m'accrocher pour ne pas tout foutre en l'air.

Et putain ça en valait le coup.

Je ne suis pas le genre de mec à faire dans le romantisme, je donne à ma partenaire, je ne suis pas égoïste, ni avare de mes talents, mais en aucun cas je ne vais au-delà. Mais redécouvrir toutes les sensations que j'ai perdues après le départ de ma princesse ont ravivé en moi des émotions que je croyais à jamais parties avec elle.

A l'époque nous ne sommes jamais allés plus loin que des préliminaires, sa peau je ne la découvrait que par petit bout, ses désirs, je les devinais au son de ses soupirs, ses envies je ne les appréhendais qu'à travers les mots qu'elle voulait bien prononcer. Harlow a été la première à me faire découvrir le verbe aimer. A penser à l'autre avant soi, à prendre soin de quelqu'un, même si je le faisais depuis des années, ma propension à la protéger s'est accentuée au fil des ans. Elle était devenue mon monde, la fille pour qui je pouvais tout donner du moment que je l'avais elle. Celle qui d'un simple regard, d'un simple geste pouvait me mettre à genoux. Et puis tout est parti à volo.

Le chantage, la trahison, le sacrifice ont mis fin à cette bulle dans laquelle on aimait se réfugier. Et quand je pense aux paroles que Harlow a prononcées en m'avouant que ce fameux soir, celui où je n'avais pas le choix que de la sacrifier elle, elle avait décidé de se donner à moi... mes poings se serrent et me démangent de frapper celle par qui tout a commencé.

Il paraît que la vengeance est un plat qui se mange froid... moi c'est tout un menu que je leur réserve...

Mon regard, aux pupilles assombries par les souvenirs qui remontent à la surface, se reflète dans le miroir de ma salle de bain. Encore dégoulinant, une serviette autour des hanches, je prends le temps de m'observer. Et le mec que je vois en face n'est pas tout à fait familier mais pas tout à fait inconnu non plus. Une étrange lueur brille au fond de mes iris, un sourire étire la commissure de mes lèvres et pour une fois je me sens bien. Détendu.

Évidemment avec la nuit que tu as passé.

Je ne tiens pas compte de la petite voix qui cherche les emmerdes, et je sors de la pièce afin de me préparer pour ma journée de travail. C'est peut-être le week-end mais des dossiers attendent d'être traités. Et ce n'est pas mon père qui va s'en occuper, car il est pris par ses responsabilités de chef de famille. Ma mère a organisé un barbecue en invitant tout le voisinage, sauf les Jenkins of course, pour fêter l'arrivée du printemps. Comme si les gens en avaient quelque chose à foutre des bourgeons... mais comme chez Kim l'apparence fait foi, rien de mieux que quelques morceaux de viandes, des grands crus et de délicieux desserts, pour entretenir un semblant de vie maritale auprès de la communauté bourgeoise aux commérages aussi incisifs qu'un scalpel, qui n'existe plus que sur le papier.

Je pénètre dans mon dressing, mon choix se porte sur une tenue casual quand mon téléphone annonce un message.

Princesse :

Je crois que j'aurais dû refuser la proposition de mon père.

Je souris comme un con. Bien sûr que Harlow aurait dû envoyer se faire foutre ce lâche. J'avais un autre programme en tête, qui n'impliquait en aucun cas de sortir de cet appartement. J'ai insisté pour l'accompagner mais elle a refusé tout net, prétextant qu'elle devait s'y rendre seule. Je n'ai pas validé sa théorie car si comme je le crains, il va lui avouer ce qu'il cache désespérément depuis des années, ma princesse va revenir complètement anéantie et moi avec, car il est certain qu'elle va m'envoyer valser au même titre que ses parents.

Putain de destin.

Putain de famille dysfonctionnelle.

D'un autre côté, je sens un soulagement m'envahir. Elle va enfin connaître toute la vérité...

De moi :

Pourquoi tu affirmes ça, princesse ?

Princesse :

Parce que tes bras me manquent déjà... je sais c'est complètement barré... mais...

Je souris.

De moi :

Reviens. Mes bras sont toujours disponibles... et une autre partie de mon corps aussi. Le réveil a été tendu...

Je suis irrécupérable, mais j'aime la provoquer, car Harlow rentre toujours dans mon jeu.

Je passe un polo, et un jean en attendant de recevoir sa réponse.

Les points apparaissent et disparaissent, signe qu'elle est en train de réfléchir à une répartie et non à simplement aligner des mots.

Princesse :

C'est bon à savoir... moi il a été mouillé...

Je mords mon point de frustration. Ce matin quand nous nous sommes réveillés, j'avais l'intention de prendre directement mon petit déjeuner au lit, Harlow aurait sustenté toutes mes envies...mais ce connard qui lui sert de père, John, ne m'en a pas donné le temps. A peine a-t-elle lu le message qu'elle sautait hors du lit pour aller se préparer. Toutes mes tentatives ont été vaines, j'ai presque réussi en l'accompagnant sous la douche, mais là aussi il a fallu que John ramène sa fraise en la harcelant d'appels. J'ai tenté de lui dire que hier soir c'est lui qui n'a pas pris ses appels, mais Harlow a tenu bon en affirmant que si elle agissait pareil rien n'avancerait. Elle n'a pas tort, mais putain, sur le moment j'ai maudit Jenkins sur des générations.

De moi :

Rentre et on rectifie le problème. Ton père peut attendre... après tout ça fait presque dix ans, alors un jour de plus ou de moins.

C'est vrai quoi, pourquoi aujourd'hui ? il a eu une apparition divine dans la nuit qui l'a menacé de terminer en enfer s' il ne révélait pas tous ses secrets ?

Princesse :

Il arrive, on se voit plus tard.

Je t'embrasse.

De moi :

Comme tu veux Harlow.

Je t'embrasse aussi.

Je passe mes doigts dans ma tignasse d'énervement, récupère ma montre puis je sors de la chambre pour aller boire un café. Assis sur un des tabourets du comptoir, je lis les mails que j'ai reçus, je réponds aux plus urgents, en avalant ma seconde tasse de nectar noir de la matinée.

Quand j'arrive dans les locaux de Foster Financial quelques heures plus tard, tout est silencieux. J'apprécie ce moment où la fourmilière est sur arrêt, les téléphones ne sonnent pas, le caquètement des pintades du standard sont sur off. Je suis seul, au calme, pas besoin de faire semblant d'être poli et courtois. J'ai ma tête des mauvais jours, une envie démesurée de retrouver Harlow et de la déshabiller, après l'avoir consolée, et pas forcément dans cet ordre d'ailleurs.

La matinée passe à pas de tortue. J'ai beau m'intéresser aux placements financiers de certains clients, rien n'arrive à attirer mon attention.

En gros ,je fais de la merde.

Las de perdre mon temps, j'envoie un sms à Alan afin que l'on se rejoigne dans notre bar habituel. Peut-être que sa compagnie m'aidera à penser à autre chose qu'à ma princesse et à la révélation de son père.

Sauf qu'évidemment rien ne tourne dans mon sens aujourd'hui. Mon pote m'informe qu'il est chez ses parents pour un repas de famille.

Alan vient d'une famille aimante et soudée, tout le contraire de la mienne. Sa sœur est la prunelle de ses yeux, je n'y ai jamais touché par respect pour lui, pourtant elle m'a toujours fait comprendre que je lui plaisais. Agé de cinq ans de plus que nous, elle était prête à me faire découvrir les affres du plaisir dans le sexe. Je n'ai jamais craqué, comme je n'ai jamais rien avoué à son frère sur les intentions de Clara. Cela l'aurait blessé, et je ne suis pas sûr qu'il m'aurait cru. Il est calé sur mon cursus en ce qui concerne les filles. Pour lui elle est asexuée... s' il savait qu'elle connaît les vestiaires du stade de l'université mieux que les personnes qui y font le ménage...

Souvent je me suis réfugié chez eux, de toute manière mes parents ne se rendaient compte de rien, pour y dormir après des fêtes arrosées, ou tout simplement pour passer du temps avec mon ami.

Dépité et comme un chien errant, je quitte le bâtiment en fin de journée. Finalement après m'être motivé j'ai réussi à me mettre à jour sur les dossiers en attente. J'ai envoyé mes analyses, et mes propositions par mails à mon père, et maintenant, il est temps que je rentre.

Je n'ai aucune nouvelle de ma princesse, et ce n'est pas pour me rassurer. Je décide de faire le premier pas.

De Moi :

Tout va bien princesse ?

Je serai chez moi d'ici 1 h. Je passe d'abord chez l'italien.

Autant mettre toutes les chances de mon côté avant de me faire éjecter de la vie d'Harlow, car c'est le risque que j'encours, après qu'elle aura appris le sale petit secret de son paternel. Je connais ses goûts en matière de nourriture transalpine, espérons que cela suffise.

Une fois la commande passée, je prends la route de Virginia Highland afin de rentrer au penthouse, et quelle n'est pas ma surprise quand je découvre la fille qui fait battre mon cœur assise sur les marches, ses bras encerclant ses genoux et la tête posée dessus complètement indifférente à la pluie qui ruisselle sur elle. Ses vêtements sont trempés. Elle a dû passer chez elle avant son rendez-vous car ils sont différents de ceux qu'elle portait quand elle a quitté ma maison ce matin.

Information importante.

Ferme là.

Parce qu'évidemment la journée n'était pas assez pourrie, il fallait qu'il se mette à pleuvoir. Atlanta et son climat subtropical.

Je l'appelle doucement pour ne pas l'effrayer, je ne suis pas certain qu'elle m'ait entendu avec le déluge qui s'abat sur la ville, mais quand elle lève son visage et que nos regards se percutent c'est comme si j'avais reçu un uppercut dans le ventre. Ses yeux si magnifiques sont baignés de larmes. Ils sont brillants de chagrin et putain ça me donne des envies de meurtres. Je m'approche lentement, et une fois arrivé à sa hauteur je m'accroupis en posant mes mains sur ses cuisses. Elle tressaille, je la sens se raidir, mais Harlow ne me repousse pas, et la douleur qui inonde son visage vaut tous les mots de la terre. Nos front se touchent, je peux sentir son souffle sur mes lèvres.

Je suis trempé en quelques secondes, mon polo colle à ma peau, mon pantalon également. Je passe une main dans ma tignasse pour les remettre en arrière.

— Viens, fais-je en me relevant tout en lui tendant la main.

Elle la fixe un temps qui me paraît infini puis finit par la saisir.

Nous prenons l'ascenseur dans un silence de cathédrale, je regarde en biais à plusieurs reprises vers elle, mais elle se contente de fixer le tableau de commande, comme si elle n'osait plus croiser mon regard ou qu'elle espère se volatiliser. Quand les portes s'ouvrent j'ai l'impression de respirer à nouveau, moi Isaac Foster je suis désemparé face à son attitude. Je ne sais pas comment agir alors je fais confiance à mon instinct, ça m'a plutôt bien réussi jusqu'à aujourd'hui. Je la guide jusqu'à la porte d'entrée, je ne la lâche pas, même quand je dois insérer la clef dans la serrure, car j'ai peur que si je le fais, elle détale comme un lapin ou qu'elle s'effondre. Voir ma Harlow dans cet état me donne envie de faire demi-tour et d'aller régler son compte à son père, à ma mère et à Faith.

— Installe toi, je reviens princesse.

Je me dépêche d'aller lui chercher de quoi se sécher et se changer en repoussant le désir qui se manifeste en l'imaginant dans un de mes t-shirts sans rien dessous. Ou presque. Nue ou en dentelle, la tentation est la même. Je passe un bas de survêtement et un sweat puis me dépêche de regagner la pièce principale.

Quand je reviens au salon, Harlow n'a toujours pas bougé.

— Je te ramène de quoi te changer si tu veux, tu vas attraper la mort... pas que cela me dérange de te soigner et rester avec toi au lit mais...

— Merci, me répond-elle d'un voix éraillée d'avoir trop pleurer, ou crier, indifférente à mon trait d'humour.

Harlow se débarrasse de ses fringues humides sans prendre la peine de se cacher. Je détourne les yeux, pas par politesse, mais pour éviter de lui sauter dessus comme un connard mort de faim.

Elle persiste à fuir mon regard, alors je me poste devant elle, et quand qu'elle a terminé en soulevant son menton de mon index je lui impose :

— Regarde moi Harlow.

Mes doigts effleurent sa joue, et enfin ses iris perforent les miens...

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