Paracétamol


Harlow

Arrivée à l'étage de la salle de conférence, ma sacoche dans une main, un gobelet de café dans l'autre, je suis la vitrine de la parfaite working girl, si l'on ajoute le tailleur pantalon, les talons vertigineux et le chignon strict.

Je salue poliment l'assistante de ma tante Isobel, puis la remercie quand elle m'ouvre la double porte afin que je pénètre dans la pièce. Je ne suis pas en retard, et pourtant tout le monde est déjà installé autour de la table ovale, le rétroprojecteur est allumé, apparemment ils n'attendent plus que moi. Je fais un signe de tête en guise de bonjour, sans fixer quelqu'un en particulier, et je m'assois à la seule place encore disponible en faisant abstraction de la personne assise à côté de moi. Je sors les documents qui vont m'être utiles pour la présentation, allume mon ordinateur, puis quand c'est fait je dirige mon regard vers ma tante.

— Bien ! Puisque tout le monde est là, je pense que nous allons pouvoir commencer. Merci à vous tous de vous être libérés si rapidement en ayant trouver un créneau dans vos planning surchargés. Je vais commencer, puis ma nièce Harlow prendra le relais afin de vous montrer en détail le plans et le cahier des charges.

Tous acquiescent formant un brouhaha qui réveille ma migraine.

Je me masse les tempes, et apparaît comme par magie dans mon champ de vision un comprimé de paracétamol. Je tourne mon visage vers la main, vierge de tous tatouages, pourquoi je pense à ça maintenant moi, et remonte pour voir à qui elle appartient. Et là, quelle n'est pas ma stupeur de croiser le regard rieur de James. Ma bouche s'ouvre d'étonnement, à l'instar de mon cerveau qui me balance en rafale tout un tas de questions.

— Qu'est-ce... enfin... je ne savais pas que... on en a pas parlé... si ?

Bravo Harlow. Il va penser que tu es encore sous l'emprise de l'alcool.

Son sourire s'élargit, affichant sa dentition digne d'une pub pour dentifrice. Il ne revient pas sur mon incapacité à faire une phrase correcte. Il me fait un clin d'œil tout en penchant son visage vers mon oreille.

— Je t'ai affirmé hier soir Harlow que j'étais un mec plein de surprises...

Son souffle chaud amorce un début de frisson sur ma nuque, vite avorté lorsqu'il recule pour reprendre sa place et se concentrer sur Isobel qui a commencé les prérogatives du chantier.

Il serait temps d'en faire de même miss.

— Merci James, dis-je en saisissant le cachet et le verre d'eau qu'il me tend.

Je décide de suivre ma voix intérieure. J'avale le comprimé puis j'essaye de me concentrer. Pas facile avec le clic, clic, clic, d'un stylo dont on sort et rentre la mine sans relâche, ce bruit met mes nerfs à rude épreuve, alors je lève la tête avec l'intention de fusiller du regard le stressé de service, quand ils tombent sur un Isaac à la mine patibulaire. Je me fige, en le découvrant là, ses prunelles assassines dirigées vers mon voisin de droite.

Qu'est-ce qu'il fout ici ?

Peut-être comme toi ? Réunion de chantier.

Il aurait pu me prévenir ce matin.

Lui aussi est un mec plein de surprises.

Cette fois-ci, je laisse de côté le sarcasme de ma conscience pour étudier le spécimen qui n'a toujours pas lâché des yeux K... James.

Bien droit dans son costume bleu marine faisant ressortir la couleur de ses iris, aucune trace de fatigue ne marque son visage, une chemise blanche impeccable, dont le premier bouton du col ouvert laisse apercevoir un peu d'encre noire, toujours cette barbe de trois jours qui dessine sa mâchoire, ses lèvres... j'arrête là avant de saliver et remonte mon regard pour percuter le sien. Et malheureusement cela ne m'aide pas à ignorer ce qui a failli arriver ce matin dans ma cuisine.

— Harlow ?

Un coup de coude de mon voisin me reconnecte à l'instant présent et m'oblige à détourner les yeux d'un Hadès à l'expression d'un bouledogue.

Décidément, il aime jouer les chevaliers... un chevalier sur une planche de surf ! pas commun.

Je glousse intérieurement en repensant aux mots d'Isaac, à propos de James et de sa planche, ce matin quand il m'a avoué m'avoir ramenée.

— Oui ? excuse- moi Isobel, je révisais mes notes...

Un ricanement de l'autre côté de la table me fait fusiller Isaac de mon regard le plus sombre.

Isobel nous fixe tour à tour, un rictus amusé aux lèvres.

— Je te proposais Harlow de prendre le relais, afin de présenter à... Isaac... je vais lui faire ravaler son sourire, tante ou pas, le plan définitif des rénovations.

Je me racle la gorge en me levant, puis expose un sourire de façade.

Allez ma grande, ce n'est pas ta première présentation de projet... non, mais avoir Foster dans la même pièce en sachant qu'il m'a vue en sous-vêtement, ça par contre ça l'est.

Je cale mon PowerPoint, puis je commente chaque photos tout en répondant aux questions des artisans. Je suis dans mon élément, il n'y a plus d'Isaac ou de James pour venir me perturber. Je suis concentrée sur mon travail. J'ai passé des heures sur ce projet et je suis fière du résultat. J'ai respecté le cahier des charges voulu par Foster Financial. D'ailleurs à peine ai-je terminé que celui pour qui j'ai bossé se lève en applaudissant.

Gênée, je tente un regard vers ma tante qui se joint à Isaac.

Bon ! pas d'aide de ce côté là.

— Merci, dis-je simplement.

— C'est exactement ce que je souhaitais pour l'entreprise Harlow, se justifie le directeur financier de chez Foster. Du bois, des teintes chaudes, du verre... Tu as su combler tous mes désirs...

Je dois virer au rouge pivoine. Sa phrase à double sens ne trompe personne. Surtout que les images d'un Isaac endormi sur mon canapé, cheveux en pétard et tatouage intrigant, et rapprochement dangereux dans ma cuisine, en profitent pour s'incruster dans mes rétines. Mes yeux se portent à ma droite pour constater que James me fixe intensément, et je pense que c'est à ce moment précis que James comprend que Isaac s'est joué de lui hier soir en lui affirmant être mon frère. En tout cas, sa mâchoire contractée, et la façon dont il serre le stylo me le laisse croire. Il doit certainement se demander comment Isaac et moi avons terminé la nuit, vu que c'est lui qui a insisté pour me raccompagner.

— Seulement professionnel, je me sens obligée de préciser à l'intention du surfeur/ébéniste.

Car James travaille le bois en plus d'être un surfeur reconnu.

Il doit être habile de ses mains.

Promis, je ne bois plus jamais. Mon cerveau doit être encore irrigué par l'alcool.

Ou tes hormones chauffées par Isaac.

Je claque mentalement la porte de cette saleté.

— Pour le moment.

Isaac sourit de toutes ses dents en me voyant fulminer.

— Bon les jeunes, on va arrêter là le combat de coq et repasser en mode adultes et responsables, nous reprend Isobel d'un ton qui ne mérite pas contestation.

Isaac la regarde comme s'il la voyait pour la première fois.

— Harlow, si tu as terminé, je lui confirme que oui, une collation nous attend dans la pièce à côté. Messieurs, si vous voulez bien me suivre.

Isaac me jette un dernier regard et finit par lui emboîter le pas.

La majorité des artisans font de même, alors que je prends le temps de ranger mes dossiers dans ma sacoche avant de les rejoindre.

Je sens le regard brûlant de James dans mon dos.

— Ton frère, hein ?

— Ecoute James, fais-je en me retournant, et en m'appuyant contre la table, je ne sais pas à quel jeu s'adonne Isaac, ni ce qu'il attend de moi, mais je peux t'assurer qu'il n'est pas mon frère... ni mon...

— Ca je l'ai bien compris Harlow.

James se rapproche dangereusement.

— Moi, j'ai très bien capté à quoi il joue, et ce qu'il attend de toi...

Je suis distraite par ses doigts qui saisissent une mèche de cheveux pour jouer avec.

— Parce que c'est la même chose que moi Harlow.

Il dépose un baiser sur mon front puis, sans rien ajouter, il tourne les talons et part retrouver les autres.

Troublée par les mots de James, et l'attitude non équivoque de Isaac, je récupère mes affaires et décide de ne pas rester.

Je me suis excusée auprès de ma tante et des professionnels du bâtiment en prétextant du travail pour m'éclipser.

Je ne suis pas quelqu'un qui fuit habituellement, ah bon ?  se régale ma conscience, mais aujourd'hui, je ne me sens pas d'affronter le regard scrutateur de James plus longtemps, ni les sous entendus graveleux d'Isaac. Pas alors que je ne suis pas en possession de tous mes moyens, au lendemain d'une cuite mémorable et après ce qui a failli arriver contre mon plan de travail plus tôt dans la matinée.

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