Life is the Joke
Harlow
Quelle était la probabilité, pour que mon premier jour de travail tourne au fiasco ?
Infime.
Proche de zéro.
Et pourtant ! C'est bien réel.
Quand Isobel, ma tante préférée et adorée, est venue passer quelques jours à San Francisco pour une visite des locaux de son nouveau bébé, il y a de ça un mois, je ne me doutais pas une seconde de ce qu'elle mijotait en douce.
Sinon les adjectifs, préférée et adorée, ne lui seraient plus associés.
J'ai quitté Atlanta, fui, serait le terme exact, une fois mon diplôme de senior year en poche.
Le timing a été parfait.
Une trahison vs un nouveau départ. Mon choix a été vite fait, et même si un poignard me transperçait le cœur.
Cinq années d'études passées à La California Architecture School.
Cinq années à faire comme si tout allait bien.
J'avais besoin de souffler. De pouvoir respirer un autre air que celui de mes parents, dont la culpabilité et l'acrimonie envers la famille Foster commençaient sérieusement à me taper sur le système.
Au bout de vingt-trois ans, j'estime que j'ai gagné ma place au paradis. Et celle-ci, se trouvait justement à San Francisco, où un cabinet concurrent de celui de ma tante m'a proposée un poste des la fin de mes études. Que j'ai accepté, sans leur laisser le choix. Je sais, c'est moche. Mais j'ai dit que j'avais besoin de m'éloigner de tout ce qui porte le nom de Foster ou Jenkins. Et plus cela durait, plus ça me convenait. Et un en particulier, le plus terrible de tous. Isaac. Mon pire ennemi. Mon cauchemar vivant. Mais aussi le mec le plus canon de la ville. Le plus protecteur. Mais le plus fourbe quand même.
Et j'étais loin de m'imaginer, quand j'ai accepté sa proposition de la rejoindre chez Architectural Concept et de revenir dans ma ville natale après six années d'exil, de ce qui m'attendait. Ah, elle a bien géré le truc. Elle a tellement enrobé sa demande de miel, que je n'ai rien vu venir.
— Tu es la seule ma chérie en qui j'ai entièrement confiance et qui mettra toujours tes ressentiments de côté pour ne garder que ton professionnalisme...
ou encore,
— Tu es la meilleure pour cette affaire, tes compétences vont être reconnues...
J'aurais dû tilter au tu mettras toujours tes ressentiments de côté. J'aurais dû. Mais sur le moment, je n'ai retenu que la super promotion qu'elle m'octroie. Mon ambition a parlé pour moi, et puis je n'avais aucune attache à Frisco.
Mais à l'heure actuelle je me mettrai de baffes.
Isobel n'a pas joué franc jeu sur ce coup. Elle sait que je sais.
D'ailleurs, elle est dans ses petits souliers depuis qu'elle m'a annoncé la super nouvelle. Foster Financial a fait un appel d'offre pour rénover ses locaux, avec les normes actuelles soucieuses de l'environnement et par un heureux hasard, ou pas dans mon cas, c'est le cabinet d'architecture de ma tante qui a remporté le marché.
D'où mon état actuel qui me donne presque envie, presque, de tout faire capoter.
CQFD.
Après tout, qu'est-ce qui m'empêche de le faire ?
Ta conscience professionnelle peut-être ? Ou le fait que Isobel soit celle qui t'a toujours soutenue et aimée comme sa propre fille ? Ou, non attends ! Le beau gosse avec qui tu vas devoir collaborer plutôt ?
J'ignore cette petite voix dans ma tête pour me concentrer sur les derniers préparatifs.
Et c'est pas simple quand on connait mon passif avec Mister Connard Foster. Je vais devoir faire preuve d'une grande sagesse si je ne veux pas le balancer par la fenêtre de son bureau.
J'en suis à dresser une liste mentale de toutes les solutions qui s'offrent à moi pour annuler ce rendez-vous, quand mon téléphone vibre sur mon bureau. Le prénom de ma meilleure amie s'affiche sur l'écran. Sans attendre je décroche.
— Hey !
— Salut.
— Cache ta joie de m'entendre ma chérie, bougonne-t-elle.
— Salut ! Fais-je plus énergique.
— Pas la peine non plus d'imiter Nancy Kalawey.
Je ris à l'évocation de cette bécasse, à la voix tellement aiguë, qu'à plusieurs reprises les jours de matchs où l'on entonnait l'hymne national, elle a failli nous crever les tympans et qui pensait naïvement qu'être le plan cul régulier d'un certain Isaac Foster lui donnait tous les droits. Surtout celui d'essayer de me voler la place de capitaine des cheerleaders. Mais elle a vite compris quand elle s'est retrouvée avec une jambe cassée qu'il ne fallait pas me chercher. La lanière de mon sac de cours s'est retrouvée malencontreusement sur son passage. Et comme cette fille ne savait pas marcher avec des talons... ben ils ont fait le reste. Donc on peut affirmer que je n'y suis pour rien à sa maladresse. Kendra a tellement rigolé cette fois-là, que j'ai cru qu'elle allait faire pipi dans sa culotte. Et moi je me suis liquéfiée sur place, quand Isaac en passant à mes côtés m'a murmuré : merci de ton aide, accompagné d'un sourire enjôleur. Je l'ai regardé s'éloigner sans savoir quoi répondre. C'est la première fois qu'il s'adressait à moi sans méchanceté depuis que l'on se connaissait.
— T'es toujours là ?
— Oui, oui. Je repensais à la fois où...
— Cette pétasse s'est rétamée dans le couloir.
On rit à ce souvenir, puis Kendra reprend.
— Bon et sinon, comment se sent ma meilleure amie à quelques heures de sa rencontre avec le diable en personne ?
— Comme une idiote, une fille naïve dont on se serait servi...
— N'importe quoi Harlow. Tu es la meilleure dans ton domaine. Et Isobel le sait.
— Sûrement, mais la trahison a du mal à passer tu vois !
— Elle ne t'a pas trahie... souffle-t-elle exaspérée, je l'imagine très bien lever les yeux au ciel, elle a seulement arrangé la situation à son avantage...
— Et ce n'est pas pareil ?
— Ben non !
Je coince mon IPhone entre mon épaule et ma joue pour continuer de ranger les dossiers dans ma sacoche d'une marque de luxe.
— On ne va pas revenir là-dessus, dis-je, contrariée de remettre cette conversation sur le tapis. Je vais devoir y aller K.
— Ok, ok. De toute façon, je n'ai pas assez de temps pour te faire entendre raison. A la base, je t'appelle pour te proposer de sortir ce soir afin de... décompresser, tu vois... alcool, mec, sexe...
Je ris.
— Je vois bien oui. Et il va m'en falloir de l'alcool... pour décompresser.
— On commence par l'alcool et on voit où ça nous même.
— Ça marche. On se retrouve dans notre bar favori ?
— Oui. Et tu vas tout déchirer ma chérie. Et peut-être que... elle hésite.
— Vas-y, balance.
Kendra n'a aucun filtre.
— Peut-être que Isaac Foster voudra que tu déchires autre chose...
Je reste sous le choc de ce qu'elle insinue. Elle était là pendant toutes ses années où Isaac m'en a fait voir et après d'ailleurs.
— Non mais ça va pas ! Je m'insurge.
— Tu sais entre la haine et l'a...
— A ce soir, la coupé-je pour raccrocher, sans lui laisser le temps de placer une autre ineptie.
Les bureaux de Foster Financial sont situés en plein Downtown dans le quartier financier à quelques pas du quartier historique. Évidemment, c'est l'une des tours les plus hautes. Il fallait bien ça pour que la famille Foster puisse y rentrer avec leurs egos surdimensionnés, et montrer au commun des mortels, dont je fais partie, pas que ma famille n'ait pas les moyens, mais rien de comparable, qui dirige cette ville.
Je sors du Marta nom du métro qui traverse la ville, je me dirige vers les portes à double tambours afin de pénétrer dans l'édifice en saluant le vigile au passage, puis une fois à l'intérieur, je repère le comptoir d'accueil d'un blanc immaculé. Quand je m'approche, une des quatre clones, c'est flippant, toutes blondes coiffées d'un chignon, en tailleurs aussi virginal que les murs, relève les yeux de son ordinateur... blanc.
Ils ont quoi ici avec cette couleur ? Je pouffe intérieurement, quand je réalise les teintes que j'ai sélectionnées pour les murs, et plus encore quand je regarde ma robe... noire.
On dirait Perséphone en visite au paradis.
— Bienvenue chez Foster Financial.
— Merci.
Du coup je reviens sur terre.
— J'ai rendez-vous avec Isaac Foster.
— Votre nom ?
Tiens, le sourire commercial et l'amabilité se sont tirés.
— Harlow Jenkins, fais-je avec un large sourire.
Clone numéro un, tape sur les touches de son ordinateur, puis informe à l'aide de son micro sans fil, la collaboratrice qui va prendre le relais.
— Jenny vous attend au vingtième étage.
— Je vous remercie... Samantha, lis-je sur son badge, je ne manquerai pas d'informer Isaac, elle devient aussi blanche que son tailleur, de l'amabilité et de vos sourires lumineux dont vous avez fait preuve à mon encontre. Sur ce, je vous souhaite une bonne journée.
Je tourne les talons sous son air offusqué et me dirige d'un pas conquérant vers les ascenseurs.
Et de deux. Sauf que le clone qui se dirige vers mois, sur des talons aussi haut que le building dans lequel elle travaille porte un tailleur pantalon... noir.
On est bien dans l'antre du diable.
— Isaac va vous recevoir.
— J'espère bien.
— Pardon ? S'étonne-t-elle, en essayant de lever un sourcil.
Diminue le botox meuf si tu veux y arriver.
— Rien.
— Isaac est un homme très occupé...
A vous sauter je suppose ? Je garde pour moi cette remarque.
— Et il n'a pas vraiment apprécié qu'on lui impose votre visite.
Ok Barbie, on va remettre les points sur les deux b qui te servent d'obus.
Elle commence à faire demi tour, je lui emboîte le pas tout en l'interpellant.
— Jenny, c'est ça ?
Elle hausse le menton.
— Rappelez-moi votre poste ici ?
— Je... heu...
— C'est bien ce qu'il me semblait, la contourné-je en la bousculant. Alors maintenant que les choses ont été remises à leurs places, contentez-vous de me conduire à Hadès et tout ira bien pour votre matricule.
La stupeur dessine son visage au surnom de son patron.
Et oui connasse on a un passif lui et moi.
Le couloir me parait interminable, ce qui est une bonne chose en soi, vu l'enthousiasme que je mets à suivre Jenny.
— Voilà. Bon courage.
Décidément. Elles n'ont pas dû faire le stage où tu fais un câlin à un arbre pour retrouver ta bonne humeur, ni celui sur la communication.
Elle détale comme si la porte contre laquelle je m'apprête à toquer, allait s'ouvrir et l'engloutir.
— Entre.
Allez c'est parti Harlow. Ce n'est pas comme si tu ne le connaissais pas, et que tu ne savais pas de quoi il est capable.
Je lisse le bas de ma robe, prends une grande inspiration et ouvre le battant. Je tombe immédiatement sur deux orbes gris, que je n'avais pas revus depuis six ans, qui me dévisagent. Plus précisément, qui me détaillent tellement du regard, qu'une drôle de sensation que je n'avais pas ressentie depuis... des années... remonte le long de ma colonne vertébrale pour s'échouer sur ma nuque.
— Je n'ai pas toute la journée mademoiselle Jenkins.
Ce goujat se permet d'être impatient alors que c'est lui qui prend le temps de me déshabiller d'un regard obscène.
Comment redescendre d'un coup. Je peux entendre le bruit que je fais en touchant le sol.
Sa voix rauque, aussi chargée de sex appeal soit-elle, n'existe que pour lancer du venin.
Je referme la porte derrière moi, puis ma raison revient au galop, m'aidant à me rappeler au passage pourquoi je suis ici.
— Moi non plus monsieur Foster, je n'ai pas toute la journée...et pour rappel, le mademoiselle est caduque au profils du madame depuis 2012, alors si vous avez terminé votre... inspection... je propose que l'on se mette au travail.
J'ignore sa main tendue quand je suis à sa hauteur, je ne veux rien laisser paraître, ma peau a déjà réagi, hors de question que ma tête en fasse de même. Je me dirige, sans attendre son invitation, jusqu'au coin salon, où je prends place sur un des deux canapés en cuir. En priant intérieurement pour qu'aucun fluide corporel ne tache ma robe de marque.
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