La basse cour
Harlow
— Maman ! c'est moi.
Je marche en direction du salon, tout en appelant ma mère mais c'est le silence qui me répond. Je fixe l'heure sur la pendule de la cuisine.
— Maman, je réitère.
Toujours rien.
— Peut-être aurais-je plus de chance à l'étage.
Je monte les marches du grand escalier en marbre blanc et prends la direction du couloir qui mène aux chambres. Je repère la porte entrouverte de la suite parentale et en m'approchant je distingue des voix dont le son étouffé ne me permets pas de reconnaître à qui elles appartiennent, ni de quelle teneur est la conversation. Je me poste de façon à ne pas être vue, puis je tends l'oreille.
Ma mère est debout devant la fenêtre, elle triture son collier de perles comme elle a l'habitude dès que quelque chose ne va pas, son portable dans une main qui est sur haut parleur, je distingue à présent le timbre de mon père. Je comprends un mot sur deux, mais pas besoin de notice explicative. Ils sont en train de se disputer. Je m'apprête à frapper, l'heure avance et je ne souhaite pas me pointer chez Isaac en retard, quand les mots prononcés par John stoppe mon poing.
— Faith et moi allons partir, Amanda...
Le reste de sa phrase n'est qu'un méli mélo de mots. Mon cerveau a arrêté de fonctionner à l'entente de Faith et partir. Ma rationalité, si tant est que j'en ai encore à son encontre, vient de se faire la malle.
Encore une fois, je me sens trahie.
Encore une fois, cette salope façonne son monde à sa manière.
Encore une fois, elle me prive d'une personne que j'aime.
A croire que cette garce ne vit que pour ça. La jalousie qu'elle me porte compose son ADN.
Pourquoi ne m'a-t-il pas confié sa décision quand nous nous sommes vus ?
Par lâcheté certainement. Encore.
Parce que je suis persuadée qu'il l'avait prise bien avant de tout me dire. On ne décide pas du jour au lendemain de foutre le camp, sans rien préparer, pas dans cette situation.
— Tu n'es qu'un imbécile John.
L'intonation de ma mère me ramène dans cette réalité que je souhaiterais être chimérique.
A présent elle fait les cent pas, traçant des sillons dans la moquette épaisse, à l'aide de ses talons.
— Pourquoi ? Parce que je vis enfin !
J'entends le ricanement d'Amanda.
— Cette garce t'a mangé le cerveau en plus d'autre chose...
— Ne parle pas de la mère de mon fils comme ça.
Coup de poignard. Plus puissant, plus létal.
Je penche la tête, et l'image qui apparaît de ma mère m'assène un second coup, ou troisième je ne sais plus.
Maintenant assise sur le lit, une main sur la bouche, essayant vainement de camoufler les sanglots qui menacent de trahir la fierté qu'elle s'obstine à contrôler, l'autre tenant le téléphone. Elle tremble.
Mon père continue de déblatérer, indifférent au silence qui lui répond. Je prends une grande inspiration et entre dans la chambre, ma mère ne m'a pas remarquée, si bien qu'elle sursaute quand je me place devant elle. Sans attendre son approbation, je lui enlève le portable des mains et appuie pour couper la communication.
— Harlow !
— Quoi ?
— Ton père et moi, nous étions...
— En pleine altercation, oui.
— Donne-moi ce téléphone, je dois le rappeler, il ne va pas comprendre.
— Non. Et puis je pense qu'il s'en fout. Il a dit le plus important. Le reste se règlera avec l'aide de vos avocats.
Amanda se fige.
La tristesse qui passe dans son regard m'attendrit une seconde, avant de me souvenir qu'elle aussi m'a tenue à l'écart. Qu'elle aussi, elle n'a rien entrepris pour sauver sa fille qui se noyait après mon départ précipité d'Atlanta. A aucun moment elle n'a pris la décision de tout m'avouer. Elle a préféré poursuivre sa vie de bourgeoise sans histoire, cachant sous les épais tapis perçant sa réalité toute autre.
Alors je la harponne de mon regard le plus dur et tranche :
— Maintenant nous devons y aller. Papa attendra.
— Il doit passer et...
A ce stade je m'en balance. J'ai mal, je ne réfléchis plus, l'unique chose qui me maintient encore debout, est que je vais retrouver Isaac. Tout le reste peut aller se balader en enfer.
— Et ben il repassera.
Je lui ai promis de passer du temps avec elle, ma mère dans tout son égoïsme n'a pas trouvé louche que je lui propose un dîner en tête après celui qu'elle avait organisé ici et qui a tourné au fiasco. Je n'ai pas trouvé une autre solution pour la motiver et parfaire notre plan à Isaac et moi.
— Je t'attends à la voiture.
Je ne lui donne pas la possibilité d'argumenter sinon on sera encore là à Noël.
Hades :
Mes parents sont là. Tu en es où ?
Je rédige ma réponse quand la porte passager s'ouvre sur une Amanda aussi fraîche qu'après sa séance chez son chirurgien esthétique.
Moi :
Prête à démarrer. Un imprévu mais je t'en parle à mon arrivée.
— Tu ne m'as pas précisé où tu m'emmènes.
Je lui jette un coup d'œil en souriant.
— Un endroit inédit.
Amanda fronce les sourcils, certainement pour chercher quel restaurant s'est ouvert sans qu'elle n'en ai entendu parler.
Celui-là n'est pas dans le dico mondain, maman.
Le reste du trajet se passe dans le calme. Ma mère triture son portable comme une adolescente qui attend des nouvelles de son petit ami après leur premier rencard, et moi je jubile intérieurement. Pas tres fairplay après ce que j'ai entendu.
Parce que tant d'années de non-dit, de cachotteries, de vengeance et de trahisons, Isaac et moi allons enfin pouvoir vivre notre amour au grand jour sans craindre d'autres menaces...
— On y est, fais-je une fois la voiture garée.
— Evidemment.
— Quoi ? questionné-je avec un air dubitatif.
— Un restaurant dans ton quartier de...
— Ne termine pas ta phrase maman.
Enervée par ses a priori de membre du country club, je sors de mon véhicule sans attendre.
— Et tu as raison, fais-je en me retournant afin de vérifier qu'elle me suive et pouvoir verrouiller la voiture, on ne va pas dans un restaurant de mon quartier de bohême sans cervelle, mais chez Isaac.
Je dois la tirer par le bras, car elle reste plantée en plein milieu de la chaussée.
— Tu... tu plaisantes Harlow.
Comme ce n'est pas une question, je me contente d'avancer jusqu'à l'entrée de l'immeuble. Isaac m'a donné un double des clés...
— Relax princesse, a-t-il précisé en voyant ma mine interrogative et en devinant mon stress. Ce sera plus simple, mais rien ne t'oblige à t'en servir... tu peux continuer à sonner et j'en profiterais pour te mater quand tu sors de l'ascenseur, ça me va aussi.
Son sourire de sale gosse m'a fait fondre et je lui ai pris le trousseau des mains en le gratifiant d'un baiser sensuel.
— Ok, pas d'ascenseur alors...
— Harlow tu m'écoutes ?
— Non.
Arrivée à son étage, je n'attends pas et je frappe contre le battant, pas encore disposée à faire comme si c'était chez moi.
La porte s'ouvre sur un Isaac heureux de me voir. Ses yeux vagabondent entre mon visage et le trousseau de clés que je tiens dans une main. Un sourire contris de ma part lui répond. Il lève ses beaux yeux au plafond et il fonce sur moi en prenant mon visage en coupe et puis ses lèvres s'abattent sur les miennes. Je passe mes bras autour de son cou, il raffermit sa prise, le temps s'arrête et le monde ne tourne plus. Tout est parfait, jusqu'au moment où un raclement de gorge fait éclater notre bulle.
Ma mère.
— Je suis navrée de devoir vous interrompre...
Son visage reflète tout sauf de la culpabilité.
— Mais j'aimerais que l'on m'explique ce que je fais ici.
Isaac se recule sans toutefois me lâcher, il entoure ma taille d'un bras et de l'autre, il tend la main à Amanda. Ma mère hésite puis finalement lui rend le geste.
— Bonjour Amanda.
— Bonjour Isaac.
Ce moment a quelque chose de spécial, j'ai l'impression d'évoluer dans une dimension parallèle.
— Vous allez le savoir très vite.
De plus en plus intriguée, elle triture son collier de perles comme elle en a pris l'habitude dès qu'elle est nerveuse ou contrariée. Des exclamations se font entendre venant de l'intérieur, et sont regard horrifié me fait comprendre qu'elle a reconnu à qui les voix appartiennent.
— C'est une plaisanterie Harlow ?
— Pas vraiment non.
Prenant les devants, Isaac ouvre la porte en grand afin de nous laisser entrer.
— Maman, s'il te plait... il est temps que toute cette animosité entre vous s'arrête...
Mon ton implorant la touche, je le distingue à sa façon de me regarder.
— Maman...
— Faites le pour nous Amanda, m'interrompt Isaac en s'approchant, enveloppant ses deux mains dans les siennes dans un geste de soutien mais aussi d'imploration.
S'il enclenche le mode gendre idéal couplé au mode charmeur, ma mère est cuite.
— Imaginez si la situation avait été inversée ? que vous ne puissiez pas vivre avec l'homme de votre vie, parce que vos parents respectifs ne le tolèrent pas ? à cause d'un malentendu. Et tout ça pour une histoire vieille de plus de vingt ans...
Je suis hypnotisée par mon mec. Je dois ressembler à une groupie devant son cruch mais je m'en tape.
J'admire Isaac. Il me semble que cela a toujours été le cas, à l'époque hors de question que je me l'avoue, mais maintenant c'est différent. C'est un battant, il persévère pour arriver à ses fins... toujours.
— Il n'y a pas que ça Isaac et tu le sais très bien, soupire ma mère d'un air las.
Retour à la réalité
— Oui, et Harlow et moi vous donnons la possibilité de tout régler en une seule fois. Cracher votre rancœur et mettre à terre Kim... car vous savez qu'elle n'aura plus rien contre nous, maintenant que Harlow est au courant pour... je perçois son hésitation, alors je l'encourage d'un mouvement de tête, Faith et Gavin,
En prononçant les derniers mots, Isaac me couvre d'un regard qui me fait tomber un peu plus amoureuse de lui.
Je souris afin de le rassurer, mais au fond de moi c'est une bataille sans nom qui fait rage.
Je sais qu'il a gagné, que ses paroles ont atteint sa cible quand, les yeux de ma mère font des aller retour entre Isaac et moi, et ensuite, quand elle avance d'un pas et franchi le seuil en inspirant.
— Tu as prévu une trousse de secours ? questionne-t-elle en le dévisageant par-dessus son épaule.
Isaac et moi nous regardons complètement perdus.
— Parce que mes ongles ou mon poings risque de rencontrer malencontreusement le visage de ta mère.
— Va pour transformer mon appartement en basse-cour et combats clandestins.
Nous éclatons de rire mais ils s'éteignent vite quand nous pénétrons dans le salon et que Kim le dragon nous mitraille de ses yeux, ma mère et moi.
— Prête ? me murmure Isaac à l'oreille, alors qu'il se poste à ma droite.
— Avec toi à mes côtés ? toujours.
Il me fixe étrangement, puis un sourire vient étirer ses lèvres laissant entrevoir sa dentition à la blancheur et à l'alignement parfait. Le bout de sa langue et le métal brillant de son piercing me font de l'œil, et ravive une partie de mon anatomie quand il la mord, devinant mes pensées lubriques qui n'ont pas lieu d'être.
— D'abord les explications... et ensuite je soulage cette tension entre tes jambes.
Je respire fort.
— Arrête Isaac, fais-je pas du tout convaincante.
— Je présume que tu ne nous as pas demandé de venir pour assister à ce spectacle pathétique Isaac ?
Seau d'eau glacée.
Hoquet de stupeur.
Isaac se détourne de moi, crucifie sa mère d'un seul regard.
— Non, n'ai crainte, Kim.
Kim le dragon a l'air d'attendre des explications, seulement Isaac se contente d'entrelacer nos doigts.
Le silence est pesant. Des coups d'œil sont jetés à droite à gauche.
Une pression sur mes phalanges m'avertit qu'Isaac va balancer une bombe.
— Harlow est au courant... de tout...
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