J'y vais ou pas ?

  Harlow

La nuit a été courte.

Pas parce que j'ai mis le plan de Kendra à exécution, mais bien parce que j'ai tergiversé sur la demande d' Isaac.

Un coup je me suis tournée sur le côté gauche : j'y vais

Un coup je me suis tournée sur le côté droit : j'y vais pas.

Quand j'en ai eu assez d'avoir le mal de mer, je me suis mise sur le dos.

Oh et puis flûte, qu'est-ce que je risque à m'y rendre et à l'écouter ? Je suppose qu'il veut me parler, pas me tuer et éparpiller mes morceaux dans toute la ville.

La question suivante a été: dois-je emporter les lettres avec moi ?

— Arrête de cogiter, j'entends ton cerveau hurler qu'il en a marre.

Kendra se retourne en râlant.

— Tu dors pas toi ?

— Plus maintenant non.

— T'étais pas obligée de venir me rejoindre dans mon lit.

Madame a débarqué dans la chambre de la suite au petit matin, parce qu'elle ne pouvait pas attendre de me raconter sa nuit avec Tyler... et son... cadeau.

— En tant que meilleure amie, je me devais de te faire vivre un moment de baise par procuration...

— Pas nécessairement non... apprendre que Tyler s'est fait faire un piercing sur...

— Sa bite Harlow. Répète après moi.

Je lui balance un coup d'oreiller qui la fait grogner encore plus, et cela se termine par des plumes qui volent dans la chambre. Essoufflées, mortes de rire, nous sommes allongées face à face.

— Ou mieux, essaye.

— Quoi ? avec Tyler ?

Kendra me regarde avec des yeux comme des soucoupes.

— Noooon. Enfin je ne suis pas jalouse... et puis avec toi ma belle... je partagerais tout, fait-elle en se rapprochant de moi.

Je recule en riant.

— Assouvis ton fantasme à trois avec une autre.

— Dommage. Mais je présume qu'avoir la langue percée est un bon début... il parait que pour les cuni c'est...

Je la musèle, mais cette folle me lèche la paume.

— Berk, je m'esclaffe.

Une fois que nous sommes calmées, le silence revient. Tellement que je pense que Kendra s'est rendormie.

— Tu vas y aller Harlow.

Ah ben non !

— Je sais.

Voilà comment à l'heure du rendez-vous, je suis assise sur l'un des bancs qui font face à l'entrée du parking de notre lycée. Je triture mes doigts, regarde si je n'ai pas loupé de messages d'Isaac quand un moteur détourne mon attention. Je fixe la voiture, essayant de reconnaître qui est au volant, commence à paniquer quand celle-ci fonce dans ma direction puis s'arrête pile devant moi en faisant crisser les pneus. J'allais insulter le chauffard, après avoir récupéré mon cœur au fond de mes tennis, quand la vitre du côté passager descend me permettant d'identifier le conducteur.

— Tu n'écoutes jamais les consignes Harlow ?

Non mais je rêve. Ce malade a failli me faire avoir une crise cardiaque et le seul truc qu'il trouve à me dire c'est, que je ne respecte pas les consignes ?

— Non mais qu'est-ce qui ne tourne pas rond chez toi Foster ?

Il hausse les épaules, sans vraiment savoir où je veux en venir.

— Un excuse moi de t'avoir fait peur et failli t'écraser serait un bon début...

Isaac lève ses lunettes de soleil pour le mettre sur son front avec une expression sur son visage qui dit : de suite les grands mots.

— Je suis désolé d'avoir fait sursauter ton petit cœur fragile.

La moue qu'il fait... ses fossettes.

Craquant.

— Ensuite, un bonjour Harlow, est aussi une bonne entrée en matière entre personnes civilisées, tu sais.

— Salut princesse.

Je râle pour la forme.

— Excuses acceptées Hades.

Isaac ouvre la portière côté passager de l'intérieur et m'invite à monter avec un sourire soulagé.

— Ça n'empêche que tu n'as pas respecté...

— Ouais bon, on va pas y passer la journée... si ? et puis j'étais à l'entrée du parking pas en plein milieu d'un couloir bondé, me renfrogné-je, sur le siège en croisant les bras. D'ailleurs pourquoi tu m'as demandé de t'attendre ici et pas devant l'hôtel ?

Il lève un sourcil.

— Peut-être parce qu'il appartient à mon père et que ce n'est pas ouf qu'il nous surprenne ensemble.

A mon tour d'être étonnée. Je ne savais pas que le palace appartenait à la famille Foster.

— Et hier soir, tu n'as pas eu peur qu'il nous surprenne ensemble ? mimé-je les guillemets.

— Non, il n'était pas présent dans l'établissement, sinon je n'aurais pas pris le risque.

Mais quel connard.

Je boude comme une gamine, mais je sens le regard du conducteur sur moi, alors je pivote ma tête, Isaac se retient de rire, puis il explose, et ce son si rare, me fait sourire.

— Toujours aussi susceptible à ce que je vois.

Mon majeur lui répond. Il rit.

— Mais j'aime toujours autant.

Sur ses paroles énigmatiques, il démarre sans plus me porter attention. Le paysage défile, les rues sont animées à cette heure-ci, encore plus avec le soleil de Juin qui brille et réchauffe l'atmosphère.

— On va où...

Ma phrase reste en suspens quand je reconnais la direction de Olympic Park.

Il doit sentir mon trouble, car il se justifie.

— C'était soit ici, soit au stade.

A mon tour de ne rien comprendre.

— J'ai pensé que t'emmener dans un lieu où quelque chose de marquant, t'es, ou plutôt, nous, se reprend-il, est arrivé pour remettre les compteurs à zéro est une bonne idée, mais si tu préfères on va dans un café et...

Mon cerveau carbure à mille à l'heure, mais le manque de sommeil le fait tourner dans le vide.

— Le terrain parce que c'est là où pour la première fois...

— Tu m'as visée intentionnellement.

— Je dirais plutôt que j'ai voulu attirer ton attention Harlow.

— Alors toi, quand tu veux séduire une meuf ,tu lui balances un ballon de foot dans la tronche ? fais-je estomaquée.

— Qui a parlé de séduction Perséphone ?

Je le fusille de mon regard le plus noir.

Issac me regarde du coin de l'œil, toutes fossettes dehors.

— Tu marches pas... tu cours Jenkins.

J'ignore sa remarque.

— Et je suppose que le parc ,c'est parce que tu m'as fait profiter de tes talents de plaqueur ?

A peine ai-je terminé ma phrase que je me rends compte de mon idiotie.

— Excuse- moi Isaac, je n'aurais pas dû me moquer de toi... pas après m'avoir évité des ennuis, et purgé une peine de prison à cause de moi.

Je tire sur un fil invisible de mon jean, mes cheveux faisant écran entre Isaac et moi. Je sens ses doigts remettre des mèches derrière mon oreille, mais je n'ai pas le courage de relever la tête. J'entends le bruit d'une ceinture que l'on détache, et ce n'est seulement à ce moment précis que je réalise que nous sommes arrivés. Isaac se penche dans ma direction, il saisit mon menton entre son index et son pouce, et je suis obligée de plonger mes iris dans les siens.

— Tu n'as pas à t'en vouloir Harlow, dit-il d'une voix douce. Je l'ai fait en pleine conscience des risques que j'encourais... je n'en étais pas à ma première infraction de toute façon.

— Peut-être, mais, je t'en serais éternellement reconnaissante.

Lèvres charnues qui s'étirent, yeux de braises, et doigts qui abandonnent ma mâchoire pour caresser ma joue et terminer leur course dans mes cheveux en les tirant légèrement m'obligeant à pencher ma tête en arrière.

— Attention Harlow, c'est un jeu dangereux d'avouer une chose pareille.

Voix grave.

Eraillée.

— Je pourrais en profiter...

— Je n'en doute pas une seconde.

Son visage est proche du mien, trop, il resserre sa prise dans mes cheveux, me faisant frissonner, nos souffles se mélangent, je tremble presque, je suis fébrile de ce qui va inévitablement arriver. Mais j'ai pleinement conscience que je le veux. Trop de mois à me demander ce que cela faisait d'embrasser Isaac Foster.

Alors, qui de lui ou de moi avance en premier pour que nos lèvres entrent en contact ? je suis incapable de le savoir. Toute rationalité m'a quittée à partir du moment où le baiser devient réel. Un tsunami. Je suis emportée par une vague géante. Les lèvres d'Isaac prennent possession des miennes, c'est tendre, maladroit, sensuel quand il mord ma lèvre inférieure, puis la lèche pour en atténuer la douleur. Ma respiration s'accélère, mon cœur bat à tout rompre dans ma poitrine, une de ses mains agrippe ma hanche, il accentue la profondeur de notre étreinte, en ajoutant la langue, le froid de son piercing ajoute une touche de sensualité qui me fait frissonner, une danse lascive, je m'enhardis en passant mes bras autour de son cou, mes doigts tirent sur ses cheveux, un râle passe la frontière de sa bouche. Le baiser devient plus sauvage, nos respirations s'accélèrent... l'air commence à me manquer, mais rien ne me fera stopper... Isaac prend la décision pour moi. Aussi essoufflé que je le suis, il pose son front contre le mien, il n'a toujours pas relâché son étreinte.

Il prend une inspiration. Recule.

Le froid m'envahit.

— Putain ! ça fait des années que je me retiens de prendre cette bouche.

Et moi ça fait des années que j'en rêve, mais ce n'est pas ce que je lui dis.

— Et tu ne pouvais pas te retenir quelques années de plus ? fais-je ironique.

Isaac émet un grognement digne d'un homme des cavernes.

— Si j'aurais pu, mais est-ce que cela serait raisonnable de te priver de mes talents plus longtemps ?

Abasourdi par tant de culot, je lui donne une tape sur l'épaule en ricanant. Lui éclate de rire en repositionnant ses wayfarer sur son nez.

— Aller viens Jenkins, on n'est pas venu ici pour rester dans la bagnole, précise-t-il en ouvrant sa portière. A moins que...

— T'es infernal.

J'en fais de même, et l'air doux de cette fin de matinée apporte une note de bonne humeur à mon moral sans dessus dessous.

Je rejoins mon tourmenteur en faisant le tour de la voiture, me plante devant lui et l'observe en train de tirer sur sa clope.

Plus sexy y'a pas.

Cheveux en bataille, lèvres gonflées de notre baiser, cigarette au coin des lèvres et la fumée qui lui fait plisser les yeux alors qu'il m'étudie sans une once de respectabilité, me donne la chair de poule et l'envie de le plaquer contre la portière.

On se calme.

— Bon on y va ?

— A vos ordres, reine de mes fantasmes.

Je lève les yeux au ciel en acceptant d'entrelacer mes doigts aux siens. Deux fois en vingt-quatre heures qu'il a ce geste envers moi.

Une demi-heure plus tard, Isaac et moi sommes assis face à face dans l'herbe à l'ombre d'un saule pleureur. Ni lui ni moi ne prenons la parole. Moi parce que je suis encore gênée par notre rapprochement et lui... ben aucune idée.

Un raclement de gorge me sort de la contemplation de mes chaussures.

— Harlow, je n'avais pas prévu de t'embrasser si rapidement, du moins pas avant de t'avoir donné un maximum d'explications quant à mon comportement de ces dernières années, mais la tentation était trop grande.

Et tu as bien fait.

Le seul moyen de se délivrer d'une tentation, c'est d'y céder. Merci Oscar Wilde.

— Par où commencer ?

Cette réflexion est plus pour lui-même, mais j'y réponds.

— Par le début ça me parait bien.

Issac secoue la tête en souriant.

— Harlow Jenkins, tu me rends dingue depuis ton entrée en maternelle. Déjà à cette époque, je te trouvais craquante.

— Et tu as eu une drôle de façon de me le montrer, je l'interromps

— Je sais, mais j'étais encore sous l'influence de ma mère... Elle a duré des années, mais c'est terminé.

— Pourquoi maintenant ?

— Mon séjour derrière les barreaux m'a pas mal permis de réfléchir à tout ce bordel. Une épine est venue contrarier mon plan initial, mais c'est terminé.

— Une épine, répété-je en fronçant les sourcils.

Il se contente de hausser la tête sans en dire plus.

— Et aussi, le fait que j'ai obtenu mon diplôme, que mes parts de la société Foster Financial m'ont été versées et du coup que je suis indépendant à tout point de vue... mais aussi que j'en ai marre de faire semblant...

Isaac me scrute, étudiant ma réaction à sa dernière remarque.

— C'est-à-dire ? ne puis-je m'empêcher de demander.

— Je vais vraiment finir par croire que ta pompom girl intérieure à pris le dessus sur ton intelligence.

— Ma pompom girl intérieure lève un majeur très haut à l'intention du quarterback en manque de neurones.

Il éclate de rire, et sans pouvoir me retenir, j'en fais autant.

Une fois que l'on est calmé Isaac reprend :

— Faire comme si... tu ne m'attirais pas, donner le change en faisant semblant de ne rien ressentir pour toi, alors que ce n'est pas le cas, planifier ma vie en fonction du passé de mes parents et passer à côté de toi.

Il attend sûrement une réaction de ma part. Mais je suis abasourdie par ce que vient de m'avouer le garçon qui tourmente mes jours, et harcèle mes nuits depuis des décennies.

Isaac se rapproche, nos genoux se touchent à présent, ce qui soyons clair ne m'aide pas à y voir plus clair, ou à retrouver la parole.

— Je t'ai toujours dit de voir au-delà des apparences Harlow.

Maintenant ses mains se posent de chaque côté de mon visage, son pouce essuie une larme que je n'ai pas senti couler.

— Comment pouvais-je le deviner Isaac, me reprends-je en reculant.

— Tu aurais pu, j'ai semé pas mal d'indices.

Mes yeux s'écarquillent quand tout me revient en mémoire.

— Alan qui m'invite à la soirée ici, c'était sur ta proposition ?

— Oui.

— Qui ensuite s'arrange toujours pour être dans les parages pendant que tu étais...

J'ai toujours autant de mal à le prononcer tellement je me sens coupable.

— En taule princesse. Tu peux prononcer sans que cela jette un sort et m'y renvoie.

— Idiot. Et enfin les mecs qui revenaient avec un œil au beurre noir... c'était toi, dis-je soufflée.

Un simple hochement de tête.

— Mais... pourquoi ?

— Pour être franc, je m'en suis voulu pendant des années. J'essayais de me convaincre que cela était mal vis à vis de mes parents, que je les trahissais en voulant te protéger, toi, la fille de la pire ennemie de Kim Foster... mais je me suis vite rendu à l'évidence... l'attirance, les sentiments ne se commandent pas. Alors oui, pendant tout ce temps j'ai pris sur moi, me répétant sans cesse, que dans tes veines coule le sang d'une traite, pour m'aider à ne pas céder à mes pulsions de te courir après... la seule fois où j'ai failli craquer, c'est quand je t'ai attendue dans les vestiaires après ton entrainement. J'avais remarqué que tu m'évitais, mais aussi que tu me cherchais... ton comportement était totalement ambivalent et barré, mais j'ai voulu te provoquer, tombant dans mon propre jeu... et puis je me suis souvenu des menaces de ma mère et de...

— Quelles menaces ? le coupé-je.

Isaac détourne ses magnifiques iris qui prennent une teinte d'un ciel d'orage.

— De quoi te menace Kim Foster à mon sujet ou celui de mes parents, Isaac ?

A mon tour, j'encadre son visage pour le ramener vers moi.

— Rien d'important princesse.

Il ment.

Il me ment en me regardant droit dans les yeux.

— Je suis capable de me défendre seule Isaac.

— Je le sais Harlow... mais une force que je n'arrive pas à définir moi même me pousse depuis toujours à te protéger. C'est comme ça.

Ses lèvres effleurent les miennes, sûrement pour détourner mon attention, et clore la discussion, mais il n'approfondit pas, me laissant sur ma faim.

Vas-y prend moi pour une idiote. Je laisse passer pour cette fois. Il a compris que j'avais compris.

— J'ai faim, pas toi ?

— Si.

Je dois être rouge, Isaac a dû deviner mes pensées car il ajoute :

—Chaque chose en son temps, princesse. Pour le moment je parle de nourriture... mais ton tour viendra.

Cramoisie. Encore un peu et je m'enflamme.

Il m'aide à me relever en tendant une main, puis nous déambulons dans le parc jusqu'à un Food truck où nous achetons des tacos.

Nous parlons de sujets plus légers le reste de la journée, le chantage que fait sa mère ne revient pas sur le tapis, mais au moment de me ramener, je prends le risque de le provoquer.

— Tu m'as bien dit que tu ne voulais plus être sous l'influence de Kim ?

— Oui, et ?

— Alors tu ne vois pas d'inconvénient à me déposer devant chez moi ?

Étant donné que nous sommes voisins, je ne doute pas que Dragon Foster ne va rien rater.

Et puis, c'est aussi un test.

Mon ton mielleux ne lui échappe pas. Il se passe une main nerveuse dans sa tignasse déjà malmenée par le vent de la journée.

— Tu me rends dingue Jenkins.

— Et ce n'est que le début... Foster, susurré-je contre son oreille.

Je sens Isaac frémir, mais il se reprend très vite.

Un baiser sur sa joue, et je sors de la voiture en claquant la portière, un sourire fier sur mes lèvres. Isaac secoue la tête en riant et part se garer chez lui.

De retour chez moi, à l'abri dans ma chambre, je peux repenser à cette journée, et à mon voisin, sans être dérangé par mes parents. Je me fais la réflexion que finalement tout est simple avec Isaac. 

Comme si il n'y avait pas eu cette animosité entre nous depuis toutes ses années. 

Comme si nous n'avions pas été obligés de perpétuer les règles du jeu que nos parents respectifs nous avaient imposées d'autorité.

Comme une évidence. Notre complicité renaît alors que les cendres de notre passé sont encore braisillantes.



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