Il n'a pas le droit !
Harlow
Il fallait que je mette fin à cette entrevue avec Isaac. Émotionnellement, replonger dans ce passé que j'ai mis tant de temps à enfermer dans un coin de ma tête, m'a poussée trop loin dans mes ressentiments, enrobant mon amertume d'un parfum de doute.
Je suis encore énervée, et totalement déconcertée de m'être confiée si facilement à Isaac au bout de tant d'années à le maudire, quand je pénètre chez moi des minutes plus tard.
J'ai finalement rappelé James durant le trajet, pour le prévenir que je ne repasserai pas par le bar. Il n'a pas eu l'air étonné plus que ça, m'a simplement demandé si quelque chose était arrivé, car il trouvait ma voix enrouée – Comme si tu avais pleuré–.
Prévenant est son second prénom, se moque ma conscience.
Je lui ai soutenu que ce n'était pas le cas, la fatigue en était certainement à l'origine, et j'ai mis fin à la conversation précipitamment en sentant que James se retenait de me pousser à parler afin que je lui confie la véritable raison.
Je dépose mon sac et la chemise qui contient tous les documents signés sur la commode de l'entrée en jetant mon trousseau de clés, j'enlève mes escarpins tout en avançant, les abandonnant sur le parquet du salon, du coin de l'oeil j'avise la couverture en cachemire roulée en boule sur la canapé, mais je refuse de m'attarder dessus et poursuis mon chemin en me dirigeant directement vers ma chambre, afin de passer une tenue pour la nuit et d'enfin retrouver mon lit. Après un passage éclair par la salle de bain. Mais évidemment, des réminiscences de ce matin où un Isaac tout endormi et tatoué dormait sur mon canapé se bousculent le premier rôle avec ma conversation à cœur ouvert de tout à l'heure.
Allongée sous mes draps, le regard rivé au plafond, mon cerveau refuse de me laisser un quelconque repos pour plonger dans les bras de Morphée. Des bribes de souvenirs insistent pour se mélanger à des extraits de mon présent.
Je râle toute seule dans la pénombre de ma chambre.
— Tu n'es qu'une imbécile Harlow.
Ma volonté de le voir souffrir était enveloppée d'une telle suffisance de ma part, que je ne me suis pas rendu compte sur le moment que lui donner le motif de mon départ précipité, ainsi que la décision que j'avais prise en voulant m'offrir à lui de lui, a entrouvert la porte à son instinct de chasseur.
Isaac ne va plus me lâcher.
A ses risques et périls, car la réalité va être cruelle s'il insiste, mais ce n'est qu'un retour de bâton face à sa trahison, ses secrets, et ses mensonges.
Lui révéler l'existence de Dan, sans toutefois lui confier que lui aussi m'a trahie, va me galvaniser, me donner le pouvoir d'enfoncer la lame de la vengeance plus profondément dans son coeur, et il va enfin toucher du doigt ma souffrance, ce que j'ai pu ressentir quand j'ai aperçu une fille dans sa chambre alors que je l'avais attendu bien sagement, et ce qu'il a perdu en agissant ainsi.
Ou pas. Ce n'est sûrement que sa fierté qui a parlé.
Je ne pense pas.
Sa réaction était réelle. Il ne trichait pas. Je connais assez Isaac pour l'affirmer. Et pourtant, il n'a pas le droit de réagir comme il l'a fait. C'est lui et ses manipulations qui ont tout foutu en l'air. Lui et cette obsession de vouloir à tout pris me préserver d'un soi- disant complot orchestré par sa mère, qui j'en suis certaine, n'a lieu que dans sa tête. Kim la peut-être menacé de bousiller ma réputation si l'on persistait à sortir ensemble, mais je crois pas qu'elle aurait pu aller plus loin. C'est lui qui sautait une nana dans sa chambre ce soir-là.
Je me tourne sur le côté, enfouissant mon visage dans l'oreiller, pour enfin essayer d'attraper ce sommeil qui tarde à venir.
Des heures plus tard, j'ai toujours les yeux grands ouverts et la tête en ébullition. Résignée à passer la nuit éveillée, je pousse la couette des pieds, me lève en saisissant un gilet en cachemire qui m'arrive mi-cuisse, puis je descends afin d'atteindre la cuisine, non s'en jeter un regard au canapé.
Reprend toi meuf, Isaac ne s'est pas téléporté comme par magie.
Je secoue la tête, et avance jusqu'à atteindre mon but. Une fois ma tasse en main de lait chaud à la cannelle, je vais m'installer sur mon fauteuil RAR de Eames, cadeau de mes parents à mon aménagement. Mes yeux se perdent au-delà de la baie vitrée, le ciel d'encre constellé d'étoiles qui entoure l'astre nocturne diffusant son éclat sur la ville.
C'est une nuit de pleine lune. Je ricane le nez dans mon mug, en me remémorant les paroles de Kendra un après-midi que nous étions dans les gradins du stade du lycée attendant le début de mon entraînement.
— Ce soir c'est pleine lune meuf.
— Génial ! je vois que tu as étudié le calendrier lunaire, fais-je en rigolant.
Kendra me donne un coup d'épaule.
— Si je dois étudier un calendrier, crois moi ce ne sera pas celui-ci.
Son clin d'œil, assortie d'une moue sexy, accentue mon hilarité.
— C'est certain ,je te vois plus approfondir celui des pompiers.
— Approfondir, c'est le mot.
Nos rires redoublent et une fois que nous sommes calmées, je reprends mon interrogation :
— Donc la pleine lune ? reprends-je en tournant la tête vers elle.
— Les bitchpanters vont prendre cher...
C'est comme ça que l'on nomme les filles qui collent aux basques des sportifs. Un surnom que nous avons trouvé, elle et moi.
Ne voyant toujours pas où elle ne voulait en venir, elle précise :
— Le soir de pleine lune décuple la libido H.
Je souris en me remémorant cette journée-là.
Effectivement le soir quand nous nous sommes rendues au bowling où l'on travaillait toutes les deux, l'ambiance était électrique. Plus que d'habitude. Je me souviens que ce soir-là, Isaac est reparti avec une fille de ma classe qui lui courait après depuis des semaines, non sans me lancer un regard provoquant au passage, Alan avec des jumelles, réputées pour leurs jeux d'actrices porno, plus que pour leurs performances en cours. D'ailleurs, c'est le lendemain que mon tourmenteur est venu me trouver dans le couloir des vestiaires alors que je venais de terminer mon entraînement.
Encore une fois, la nostalgie s'empare de moi. J'ai beau refouler en bloc toute cette histoire de protection, une petite voix s'amuse à me la renvoyer.
Lasse de me ressasser tout ça et gagnée par le sommeil, je finis ma boisson lactée, et vais m'allonger sur le canapé, enroulée de plaid qui traine dessus. Mauvaise idée. Car le tissu porte les effluves du parfum d'Isaac. Un subtil mélange aux notes de lavande, de cuir et de tabac. Le même qu'il y a des années.
Je m'emmitoufle plus confortablement, je me tourne sur un côté, les mains calées sous ma tête et petit à petit je plonge dans un sommeil sans rêve.
Le soleil qui perce à travers la baie dont je n'ai pas descendu les stores sonne la fin de ma nuit. Je grogne en me redressant tout en me maudissant d'avoir oublié ce détail.
D'humeur maussade, sans vraiment savoir quelle en est la cause, enfin je suppose que, manque de sommeil, plus cerveau chauffé à bloc sont un bon début d'explication.
Je m'empare de mon téléphone resté sur la table basse, pour constater que j'ai deux appels en absence, un de mon père et un message de ma meilleure amie, et une batterie presque vide.
En regardant l'heure, je suis surprise de voir qu'il a essayé de me joindre il y a une heure. Il était cinq heures du mat. Quant à Kendra, c'était hier soir. Je la soupçonne d'être au courant de ma petite visite chez Foster.
Cette fille a un sixième sens.
Je mets l'appareil en charge, décide d'abord d'aller me préparer, avant de leur répondre.
Sous la douche, l'eau chaude qui glisse sur ma peau, détend mon corps endolori par mon manque de sommeil, mais surtout par l'inconfort du canapé.
Isaac avait raison. C'est une torture de dormir la dessus.
Et comme si prononcer son nom, même en pensée, déclenche le bouton play, me ramène inlassablement à notre confrontation d'hier soir, aux questions qui sont restées sans réponses, et aux doutes qui grignotent petit à petit toutes mes certitudes à son encontre.
Et si finalement il avait raison ? s' il cherchait vraiment à me protéger d'une menace avec plus d'importance que celle que je lui accorde ?
Et si je ne m'étais pas enfuie à l'autre bout du pays ? Que se serait-il passé ?
Et si au lieu de me pointer chez lui j'avais attendu ?
Ben tu n'aurais jamais su pour la nana qui te fliquait derrière les rideaux.
D'ailleurs, il ne m'a pas donné le nom de la fille chez lui ce soir-là. Pourquoi ? est-ce que je la connais ?
Et si.
Et si.
Et si.
Je tape du plat de la main contre le carrelage de la douche en poussant un cri de frustration.
Trop de questions.
Trop de cases vides sur le questionnaire qu'est ma vie.
Je termine de me laver en faisant rougir ma peau, et avec une seule idée dans mon crâne, celle d'aller directement chez Foster pour obtenir ce qui me manque.
— Tu vas cracher le morceau Isaac.
Je ne m'appelle pas Harlow Jenkins si je n'y arrive pas.
Forte de cette détermination, je quitte ma maison une heure plus tard en réfléchissant à ma ligne d'attaque, quand la sonnerie de mon portable perturbe ma réflexion. Mon paternel. Encore. Je renvois son appel sur messagerie tout en l'informant par sms que je le contacterai plus tard, en espérant que cela suffise et mette fin à son harcèlement matinal. Si c'était vraiment urgent ou que cela concerne ma mère il n'aurait pas hésité à laisser un vocal. Je récupère ma voiture garée dans une rue plus loin, puis je m'insère dans les embouteillages matinaux en direction de la tour de Foster Financial.
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