Prologue - PREMIERE PARTIE
"Le souvenir, c'est la présence invisible"
Victor Hugo
19 Juin 2015 (Jour J)
Musique : Céline Dion - Vole
C'est malheureusement la première fois que je dois me rendre à un enterrement. Et le destin m'amène à celui de ma mère. Je suis encore sous le choc. Affligée. Et cela, depuis l'appel de mon père, pour m'annoncer que ma mère s'était envolée parmi les anges, il y a trois jours. J'avais perdu une partie de moi. Brisée. Perdue. Cette moitié qui m'abandonnait pour briller à travers les étoiles.
— Giulia, je suis désolé..., me dit-il.
Je sens dans sa voix quelque chose de différent. Il est triste. Il me parle doucement comme pour protéger mon cœur de cette nouvelle qui va me détruire et il le sait. Malheureusement rien ne pourra me préserver de cette perte. Je ne serai jamais plus comme avant. Je ne le savais pas encore, mais les quatre mots prononcés par mon paternel me laisseront à jamais différente, comme si je venais de tomber sur le sol et que mon corps se trouvait ébréché de part et d'autre.
Je comprends, j'encaisse.
Mais je ne réalise pas.
Des larmes coulent sur mes joues. Je sens en moi un gouffre naître et anéantir la totalité du bonheur qui m'habite. Un néant abyssal se crée et détruit celle que j'étais encore hier. Moi aussi, je suis morte avec elle. Je ne ressens plus que la douleur de sa perte qui me consume.
Stop, finalement je ne suis pas prête pour ça. Pas aujourd'hui.
Un cri sort de ma gorge, il m'arrache les entrailles. Je hurle à m'en casser la voix. Des pas approchent en courant. Je les entends claquer sur le sol puis deux bras m'enlacent tellement fort que j'en suffoque presque.
Comment a-t-elle pu me faire ça ? Pourquoi nous abandonne t-elle alors que nous sommes si jeunes, mon frère et moi ? De nombreuses questions m'arrivent encore, mais sans avoir de réponse réelle. Je ne suis pas prête, non, arrêtez tout. Je ne réalise pas que tout est terminé. Je ne la verrai plus sourire. Elle s'est éteinte en même temps que la lumière de vie qui me restait. Je n'entendrai plus sa voix. Cette voix douce et mélodieuse qui nous rassurait quand notre monde ne tournait pas rond. Elle était si belle, si vivante... Elle aura baissé les armes face à toute la souffrance qui émanait de son corps durant cette année. Ma mère me laisse là, seule, dans un monde qui n'est plus le mien sans elle.
Ce matin, je ne suis pas très en forme. C'est normal me direz-vous, je viens de perdre la personne qui m'a donné la vie. J'ai le cœur serré et les larmes prêtes à couler sur mon visage. Le réveil sonne. J'ouvre les yeux difficilement, sans vraiment vouloir bouger de sous mes draps. Mon regard se plante sur le plafond de ma chambre et les mêmes images défilent. Les souvenirs de mon enfance, ces années de bonheur où j'étais totalement comblée, ces années insouciantes où le mot "mort" ne résonnait pas dans ma tête. Je soupire à l'idée de devoir me préparer pour le plus horrible jour de ma vie. J'ai cette impression de me réveiller d'un terrible cauchemar qui me hante depuis des jours.
Il est temps de m'habiller. Traînant les pieds sur le lino de ma chambre, je vais dans la salle de bain, au bord des larmes, mais avec un sentiment d'irréalité face à l'horreur que produit cette perte. J'observe mon visage dans le miroir, mon teint est blafard, mes yeux sont rouges et gonflés par les larmes qui ont coulé depuis trois jours. Je ne me reconnais pas. Ça ne peut pas être moi. Je secoue la tête comme pour m'enlever cette image de mon esprit. J'enlève mon pyjama, me retrouvant nue, j'entre sous la douche. Je ferme les yeux pour profiter de la sérénité, sous cette eau chaude qui me caresse le corps. A cet instant, je ne pense plus à rien. J'essaye de faire abstraction de cette tristesse qui me détruit à petit feu. J'essaye de reposer mon âme. Une éternité semble s'être écoulée, à la sensation de l'eau froide qui commence à arriver, je me savonne rapidement et me rince. Je coupe l'eau et me précipite à l'extérieur de la cabine. Emmitouflée sous une épaisse serviette grise, il est temps que je sorte pour me préparer. L'heure approche... Je quitte la salle de bain pour aller vers ma chambre. Je prépare, sur mon lit, les vêtements que je dois porter. Je caresse le tissu de ma robe. C'est une robe courte, noire, avec de la dentelle aux épaules. Le tissu glisse sous mes doigts à m'en donner la gerbe. Moi qui adore cette couleur, ne portant pratiquement que ça tous les jours, aujourd'hui, je la trouve vraiment terne. Une certitude : ces vêtements brûleront à la fin de cette journée. Je ne pourrai plus porter ce genre d'habits sur moi. Pas avec autant de souvenirs que je souhaite oublier. Ce n'est pas moi, ce n'est pas la vie que j'aurai aimé. Je ne me voyais pas à quinze ans me sentir seule. Depuis petite, je m'imaginais grandir et suivre les pas de ma mère. Nous avions de nombreux points communs : le shopping, les sorties entre filles et danser... Je l'admirais dans son rôle de maman, je disais toujours que je serais comme elle. Une maman travailleuse, pleine de vie et présente pour les siens. Je m'imaginais me confier à elle sur les doutes de la vie, l'avoir auprès de moi pour les jours les plus importants. Plus tard, j'aurais pensé que le dimanche, je me rendrais chez mes parents avec mes enfants, ma mère s'imaginait, elle aussi, les garder le mardi soir pour profiter à fond de ses petits-enfants le mercredi . Tellement de suppositions qu'on aimait faire ensemble mais, aujourd'hui, je réalise que tout ceci ne serait plus qu'un simple rêve.
Ma mère arrive dans ma chambre, et me secoue un peu pour me réveiller.
— Allez, ma petite marmotte, on se réveille, aujourd'hui est un grand jour.
— Mmmmh...
Réalisant que nous sommes le jour j, je me lève d'un coup, debout sur mon lit et crie à travers ma chambre.
— Ouiiiiiiii, c'est mon a-nni-ver-sai-reeeeeeee !
— Oui, ma chérie, joyeux anniversaire !
Ma mère m'enlace dans ses bras et m'embrasse sur le front. Elle me sourit et sort de la chambre en m'invitant à descendre déjeuner. Courant presque dans les escaliers, je manque de m'étaler sur le sol. Mon père rouspète qu'il faut que j'arrête de courir dans les escaliers. Je souris. Tout le monde s'est levé pour moi ce matin. Je sens une odeur de chocolat chaud et de croissants sortant du four. J'en salive d'avance. Arrivée dans la salle à manger, une jolie table est dressée et des cadeaux posés à ma place habituelle.
— C'est pour moi tout ça ?
Mes parents acquiescent d'un signe de tête tout en souriant et je sautille de joie. Mon père s'approche et m'embrasse sur la joue, suivi de mon petit frère âgé de dix-huit mois.
— Bon anniversaire Giulia !
— Bombanisaire Lia ! crie mon frère avec un grand sourire.
Je lui fais un câlin et lui ébouriffe les cheveux, puis je retrouve maman dans la cuisine.
— Maman, crois-tu que tu pourras me faire un petit-déjeuner d'anniversaire même quand je serai maman, moi aussi ?
— Bien-sûr ma chérie, et ce jusqu'à la fin de ma vie.
Ravie par cette réponse, je m'installe à table avec les trois personnes qui me sont chères et avant de dévorer notre festin matinal, j'annonce heureuse plus que jamais :
— A mes dix ans et à nos nombreux futurs petits-déjeuners.
Perdue dans mes souvenirs d'enfance, je comprends aujourd'hui que je n'avais pas réalisé qu'un jour elle pouvait partir. J'avais l'insouciance de croire que son sourire était éternel. Mais aujourd'hui, je prends conscience que je ne le verrai plus. Je n'aurai, à présent, plus aucun nouveau souvenir avec elle. Le dernier, j'allais le vivre dans quelques heures. Je constate amèrement, à cet instant, que je n'ai pas su savourer ces simples moments de bonheur à quatre. Mais qui aurait pu en avoir conscience ?
Un bruit sourd me parvient. Dans un sursaut, je me remets à ce que j'étais en train de faire. J'entends mon père se faire couler un café. L'odeur de torréfaction de cette boisson m'arrive aux narines, me filant la nausée. Je secoue ma tête, j'inspire profondément et enfile mes sous-vêtements. J'observe ma silhouette filiforme dans le miroir de ma chambre. J'ai encore perdu du poids. Je me sens creusée par la tristesse. Je passe ma robe par la tête, et je renifle bruyamment tout en me demandant. Pourquoi moi ? Je me coiffe les cheveux, les tresse et je m'autorise pour une fois à rester naturelle. Pas de maquillage pour moi aujourd'hui, je n'ai pas le coeur à être jolie en ce jour.
Une fois habillée et coiffée, nous partons. Mon père nous emmène à la chapelle Saint Pierre, là où je vais dire un dernier "au revoir" à celle à qui je dois tout. Je monte dans la voiture nonchalamment, le regard vide, sans dire un mot. Le bruit du moteur et les paysages par la fenêtre me laissent un goût amer le temps du trajet. Je contemple, à travers la vitre, le décor qu'offre la mer, à perte de vue. Lorsque nous arrivons sur le parking, mes larmes commencent déjà à monter. J'ai des sueurs froides, mes mains sont moites, mon palpitant devient de plus en plus rapide et j'ai le souffle court. Je sens la crise d'angoisse arriver. Dans un murmure, je prononce ces quelques mots :
— Non, pas maintenant, ce n'est pas le moment !
Je respire profondément. Plusieurs fois. Je commence à compter dans ma tête, les yeux fermés et une main sur mon cœur, pour essayer de diminuer ma tachycardie. Un, deux... j'inspire, trois, quatre, j'expire... cinq, six, inspiration, sept, huit, expiration. Je retrouve mon calme mais pour combien de temps encore ?
Dans les petites rues que nous traversons, je regarde les différentes architectures. Cela peut me paraître magnifique mais une sensation glauque s'empare de mes pores, plus que de raison. Après quelques minutes à pied, nous arrivons devant l'endroit de ma propre perte. C'est une chapelle, tellement belle, avec de très grandes voûtes et une façade très occidentale. Les portes sont immenses, d'une couleur brune très ancienne. Lors de mon arrivée, je constate que de nombreuses personnes sont présentes pour elle. A part quelques-uns, je ne connais personne. Je me sens seule et abandonnée. Autant dire, qu'à peine arrivée, ma respiration s'est arrêtée. Certains font partie de ma famille, d'autres sont simplement des amis ou des collègues de travail. J'aperçois cette femme aussi petite que large qui arbore un air faussement triste. Elle décoche un sourire à un grand homme près d'elle. D'autres encore ont revêtu leurs plus beaux costumes ou robes de cérémonie. Ces inconnus rigolent, fument jusqu'à ce que mon regard croise le leur. Mes yeux pourraient à cet instant précis les tuer d'un simple clignement de paupières. J'avance à la suite de mon père. Quand les convives s'aperçoivent de notre présence, un silence de mort règne sur la place de la cathédrale. Ce dernier dit bonjour à pratiquement tout le monde. Ce que je ne fais pas. Je reste loin de toutes ces personnes. Je me sens tellement perdue dans tout ce cortège mortuaire.
L'heure de la cérémonie arrive, le corbillard fait son entrée et vient se garer juste devant moi. Je suffoque. J'ai mal, tellement mal. Elle est là, ma mère, dans ce coffre en bois qu'on ne peut plus ouvrir. Je suis mortifiée rien qu'en voyant ça... Je n'arrive pas à comprendre, je n'arrive plus à bouger et encore moins à savoir pourquoi je suis là. Ce n'est pas possible. Les mots résonnent dans ma tête comme une prière.
C'est seulement un cauchemar, allez Giulia, réveille-toi!
Mes mains sur les yeux, tout me semble irréel. Est-ce mon imagination qui me joue des tours ? Est-ce un mauvais rêve ? Seulement, en les ôtant, je me retrouve au même endroit, avec les mêmes personnes. Je regarde mes paumes, elles tremblent et je me rends compte que des larmes ont coulé sans que je m'en aperçoive. Putain, j'y suis encore ! Quelqu'un se rapproche de moi, me tire par le bras. Je suis déboussolée, je ne comprends pas. Je me retrouve seule. Cette sensation d'être entourée d'inconnus, alors que je veux être ailleurs, à ce moment-là. Je veux être près des seules personnes qu' il me reste, afin d'être réconfortée, et simplement leur tenir la main, pour comprendre qu'on ira bien, et que tout se passera du mieux possible. Je suis mal, terriblement mal. Ma tristesse se mélange à ma colère, je commence à bouillir. Je n'en peux plus. Mes larmes ne cessent de couler. Mon cœur se serre. Je ne suis pas à ma place. Ce n'est pas pour moi, pas aujourd'hui, pas maintenant. Elle est si jeune, ça ne peut pas être son heure. J'observe mon petit frère, âgé de huit ans de moins que moi, assis à mes côtés. Il ne comprend pas non plus la tournure que va prendre sa vie. Il n'y a aucune trace de tristesse dans ses yeux, il sourit. Je me demande même s'il réalise ce qui se passe ? A-t-il conscience qu'il ne la reverra plus ?
Cette cérémonie se déroule apparemment comme le veut la tradition, c'est une cérémonie d'un style catalan pour faire honneur aux origines de ma mère. Le prêtre lit les éloges funèbres, appelle les invités à lire des textes, d'autres chantent. La bénédiction du corps est proposée pendant que la musique résonne fort contre les parois de pierre de cet édifice. Je frissonne. Je sens l'ombre de la mort frôler ma nuque. Cette aura envahit tout mon être, comme un voile qui remplit mon cœur de noirceur. Je me sens différente à chaque parole prononcée. Tous ses mots sont superflus, inutiles, plus rien n'a d'importance. Le prêtre nous invite à bénir le cercueil avec de l'eau bénite. C'est futil, ma mère était un ange de son vivant, elle le sera dans sa mort. Ça y est, j'ai prononcé les mots, SA mort. Ai-je vraiment réalisé ? Non, je pense que je ne réaliserais jamais. Je suis le cortège, mais je n'y arrive pas. Je ne veux pas voir cette boite en bois où repose une partie de mon cœur. Je m'échappe de l'étreinte et je retourne m'assoir. Mon esprit se ferme, je suis vide.
Au bout d'un moment, je n'écoute plus, je suis tellement dévastée que ma tête et mes oreilles refusent de laisser entrer ces mots. Je repense à tous ces jolis moments passés avec ma mère, mon père et mon frère. Ces moments de famille ancrés dans mon cœur pour toujours. Ce bonheur à l'état pur. La cérémonie se termine, et comme me réveillant d'un cauchemar, je suis prise d'un sursaut.
***
Vole vole petite aile
Ma douce, mon hirondelle
Va-t'en loin, va t'en sereine
Qu'ici rien ne te retienne
Rejoins le ciel et l'éther
Laisse-nous, laisse la terre
Quitte, manteau de misère
Change d'univers
Vole, vole, petite sœur
Vole mon ange, ma douleur
Quitte ton corps et nous laisse
Qu'enfin ta souffrance cesse
Va rejoindre l'autre rive
Celle des fleurs et des rires
Celle que tu voulais tant
Ta vie d'enfant
Vole, vole, mon amour
Puisque le nôtre est trop lourd
Puisque rien ne te soulage...
***
Cette chanson, celle qui bondit à travers les murs voûtés de cette chapelle, n'arrive pas à me calmer. Je tremble. Je pleure. Cette fois, c'est la fin. J'ai envie d'hurler. D'oublier. Chaque personne présente passe devant moi en me répétant les mêmes mots, à chaque fois :
— Toutes mes condoléances Giulia... soyez forts... Je suis sûr qu'elle veillera sur vous tout au long de votre vie...
Je n'en peux plus de les entendre, ces affreux mots... Je n'écoute plus. Je n'ai qu'une envie, qu'on me foute la paix. Chaque phrase prononcée me coupe le souffle. Comme si on me réduisait à néant, j'ai l'impression de mourir à petit feu. Je me sens complètement vidée. Anéantie. Seule. Je cherche de l'aide dans les yeux de mon père mais ils sont vides également. Alors je ne peux plus faire autrement : accepter ce que je vis, me construire sans l'envie de vivre et me créer une carapace qui m'aidera à surmonter tous les démons qui se mettront à travers mon chemin. Puis chaque personne vient m'embrasser sur la joue, même celles que je ne connais pas. C'est un geste pathétique que je ne comprends même pas. Ils me donnent tous envie de vomir.
Les cloches de la chapelle sonnent si fort, c'en est trop, je ne supporte plus ma tristesse, c'est dur à encaisser et difficile à réaliser ce qui vient de se passer aujourd'hui. Je place mes mains sur mes oreilles. C'est terminé. Ce bruit est doux mais à la fois me fait tellement de peine que je ne peux empêcher, une fois de plus, mes larmes couler. Je sais qu'aujourd'hui, ma terre s'arrête de tourner, mon monde vient de s'écrouler, et qu'un jour, mon tout finira par me lâcher.
Enfin, c'est ce que je croyais...
Cet été là, je suis devenue l'ombre de moi-même.
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