Point de vue de Joy

Je rentre de l'école. Mamie est venue me chercher aujourd'hui. J'ouvre la porte, je n'entends rien pourtant maman est là. Elle n'est pas allée travailler, elle ne sentait pas bien. Je dépose mes affaires dans ma chambre puis vais me chercher un verre d'eau dans la cuisine. En passant, je la vois. Elle est assise dans le divan, le regard dans le vague. Cela fait longtemps que je ne l'ai plus vue comme ça. Depuis que mes parents se sont séparés en fait. D'ailleurs, cela fait quelques jours que je n'ai pas vu Lucas. C'est vraiment étrange.

- Salut maman

.... pas de réponse, je vais réessayer. Je m'éclaircis la gorge.

- Salut maman

Je la vois sursauter puis tourner la tête vers moi. Elle a les yeux rouges comme si elle avait pleuré.

- Oh salut ma puce, désolée, je ne t'avais pas entendue.

- J'ai vu ça. Tu es sûre que ça va?

- Oui pourquoi?

- Je te connais, tu n'es pas dans ton état normal.

- J'ai besoin d'un gros câlin. Tu crois que quelqu'un dans la pièce pourrait m'en faire un? me demande-t-elle, un petit sourire aux lèvres.

Je me dépêche de la rejoindre. J'ai toujours adoré ces moments rien qu'à nous. Nous nous installons dans le divan, ma tête reposant sur sa poitrine. Elle me caresse les cheveux. Je sais que quelque chose la préoccupe. Je n'aime pas la voir comme ça.

- Dis-moi ce qui ne va pas.

- Ce sont des problèmes d'adultes ma chérie, je ne vais pas t'embêter avec ça.

- Tu ne m'ennuies pas du tout puisque je te le demande. Je vois bien que tu vas mal depuis quelques jours. En plus, tu as pleuré, tes yeux sont rouges. Et surtout ne me dis pas que tu as encore lu une histoire triste, je ne te croirais pas deux fois de suite.

Je la sens se crisper. Sa main ne bouge plus dans mes cheveux. C'est tout juste si je la sens encore respirer.

- C'est à cause de Lucas?

- Qu'est-ce qui te fait dire ça?

- On ne le vois plus alors qu'il passait pratiquement tous les jours. Et tu ne reçois plus de message de sa part.

- Comment le sais-tu?

- Quand tu reçois un de ses messages, ton sourire pourrait illuminer une ville entière. Et là, quand tu reçois quelque chose, tu regardes ton smartphone comme s'il avait la peste.

- Tu es très observatrice ma belle. Je ne pensais pas que j'étais si facile à décrypter.

- Tu es ma maman et je t'aime, donc je te connais. Allez, dis-moi.

- Même si c'est au sujet de papa? Je ne voudrais pas te mettre entre nous, ce n'est pas ta place.

Je la vois sur le point de pleurer de nouveau, puis elle inspire et expire comme quand elle doit faire face à une situation trop lourde à supporter ou trop stressante. Je ressers mes bras autour d'elle. J'aime papa mais franchement, je n'apprécie pas du tout ce qu'il fait à maman. Je ne sais pas exactement ce qu'il s'est passé, ni la vraie raison de leur séparation mais je sais que maman était dévastée. C'est bien pour ça que je suis allée passer quelques jours chez mamie. Si elles croient que je les ai crues, elles se trompent autant l'une que l'autre. Étrangement il n'y a que papa qui la mette dans un état pareil. Je me demande ce qu'il a encore pu inventer. Après quelques minutes de réflexion, je réponds à sa question.

- J'aime papa. Il est génial avec moi. Mais je sais aussi qu'il n'y a que lui pour te mettre dans un tel état. Parle-moi. Tu es toujours là quand j'en ai besoin, c'est à mon tour maintenant.

Elle soupire. Puis, comme si elle n'en pouvait plus, elle commence à me raconter pour la demande en mariage de papa, pour le fait qu'il veut revenir ici avec nous, pour tous ces cadeaux qu'il lui fait pour qu'elle craque. Et aussi son petit laïus sur moi et que ce serait dans mon intérêt qu'ils se remettent ensemble. Je n'en crois pas mes oreilles.

- Et tu lui as dit quoi?

- Que ces arguments étaient valables, que je devais réfléchir.

- Mais réfléchir à quoi? Il n'a jamais voulu t'épouser quand vous étiez ensemble et il se décide maintenant?

- Je ne sais pas ce que je dois faire Joy. Comprends-moi. Une infime partie de moi a toujours voulu être avec lui

Je la regarde éberluée. J'ai l'impression que c'est surtout pour moi qu'elle hésite mais peut-être que je me trompe. Je la coupe directement.

- Et Lucas? Il ne compte pas? Tu as l'air tellement heureuse depuis que vous êtes ensemble.

- Bien sûr qu'il compte, même énormément, me dit-elle sur le point de craquer.

- Je suis persuadée que ce qui te fais le plus réfléchir c'est mon bonheur.

- Évidemment! Comment pourrait-il en être autrement? Tu es plus importante que n'importe quoi ou n'importe qui. Tu seras toujours ma priorité.

Je vois qu'elle regarde ailleurs, elle essaie d'essuyer discrètement les larmes qui ont commencé à couler.

- Et si je n'étais pas heureuse à nous trois? Et si je ne voulais pas que tu te remettes avec papa?

Elle me regarde bouche bée. Pendant un instant elle ne sait plus quoi dire.

- Tu ne préfèrerais pas que nous soyons réunis? Comme avant?

- Franchement, non. Depuis que je suis en âge de comprendre les gens et ce qui m'entoure, je t'ai toujours vue t'occuper de nous. Tu étais présente, tu faisais ce qu'il fallait. Mais tu le faisais pour nous, pas pour toi. Tu te cachais, tu jouais un rôle. Il m'a fallu ta rencontre avec Lucas pour découvrir la vraie toi. Et tu veux que je te dise? Je préfère mille fois quand tu es avec Lucas que quand nous étions encore avec papa. Avec lui, tu t'éteignais à petit feu tandis que Lucas te fais revivre.

Je la vois s'écrouler dans le divan en pleure. Elle ne s'est jamais laissée aller comme ça devant moi. Mon coeur se serre, je ne supporte pas de la voir ainsi. Mes larmes se joignent aux siennes.

- Je t'aime maman mais je t'en prie, ne gâche pas ta vie pour moi. J'aime Lucas aussi. Je ne veux pas que tu le perdes à cause de moi.

- Si je le perds, ce sera de ma faute. Je crois d'ailleurs que c'est déjà fait, me dit-elle dans un sanglot déchirant.

- Il est au courant, c'est ça?

Je la vois opiner. Elle ne parvient pas à se reprendre. C'est pire que lors de sa rupture avec papa J'ai peur qu'elle se bloque et qu'elle ne sache plus respirer. Je dois faire quelque chose, d'urgence. J'attrape son téléphone et appuie sur la touche d'appel rapide. Il répond tout de suite.

- Auriane, je suis désolé...

- C'est Joy, lui dis-je complètement paniquée. Maman ne parvient plus à se reprendre, j'ai peur qu'elle s'arrête de respirer.

- J'arrive tout de suite, essaie de la calmer.

Je raccroche et retourne près d'elle. Je lui frotte le dos, lui murmure des paroles rassurantes. J'essaie de la faire respirer correctement mais rien n'y fait. J'entends la sonnette de l'entrée. Ouf il a fait vite. Je file ouvrir.

- Où est-elle?

- Dans le salon, aide-la je t'en prie.

- Ça va aller Joy, on va s'occuper d'elle.

Les yeux remplis de larmes, je le vois aller vers maman. Il essaie de lui parler mais elle ne se calme pas. Au contraire, c'est comme si son corps ne répondais plus, ses bras et ses jambes bougent toutes seules Je le vois prendre son téléphone et composer un numéro.

- J'ai besoin d'une ambulance, ma compagne fait une crise de sanglots, elle a des spasmes et respire de plus en plus difficilement. ...Rue des Alouettes, 63... oui c'est ça.

Je le vois sur le point de mettre un terme à l'appel quand d'un coup il reprend la parole

- Dépêchez-vous, elle vient de perdre connaissance!

Il se retourne vers moi et m'attrape la main. Il me tire vers eux, je suis tétanisée.

- Joy, les secours vont arrivés tu as bien fait de m'appeler. Tu vas rester avec moi. On va maintenir le contact avec ta maman. Nous allons lui parler sans arrêt. Ça va aller, les secours seront bientôt là.

- Maman, reste avec nous s'il te plaît. Je ne veux pas vivre sans toi. Je t'aime mamoune.

- Auriane, tu n'as pas intérêt à me laisser tomber, tu m'entends. Joy est ici, elle compte sur toi et moi aussi je compte sur toi, dit-il d'une voix cassée.

Je le regarde, il a les yeux humides, je vois bien qu'il se retient. Je n'aurais jamais cru ça possible. Ça ne fait que redoubler mes larmes. Nous continuons à parler à maman quand nous entendons sonner. Lucas va vite ouvrir. Les ambulanciers sont là et mettent déjà un masque à oxygène sur le visage de maman. J'ai peur, j'ai si peur. C'est un cauchemar. Je veux maman. Un ambulancier prend la parole.

- Il faut la transporter à l'hôpital le plus tôt possible. Il se retourne vers son collègue. Le brancard arrive?

- Oui il est là, lui répond le deuxième ambulancier.

Je les vois déposer maman sur le brancard. Lucas vient près de moi et me sert fort dans ses bras.

- Prends ton manteau, nous allons suivre l'ambulance. Puis en se tournant vers les soigneurs, vous allez à quel hôpital?

- Au Mémorial, c'est le plus près.

- Très bien, nous vous suivons.

Nous sortons, fermons la porte à clé et nous dirigeons vers la voiture de Lucas qui est heureusement garée tout près d'ici. Il ne m'a pas lâché la main un seul instant.

- J'ai peur Lucas. Je ne veux pas la perdre.

- Tu ne la perdras pas mon ange. Elle t'aime trop pour te laisser tomber comme ça.

- Elle t'aime aussi tu sais. On parlait justement de la situation quand elle a eu sa crise.

- Ce n'est pas de ta faute si elle est dans cet état.

- Je sais. Ma tête le sait mais mon coeur pas.

- On arrive, on aura tout le temps d'en reparler plus tard. Sache juste que j'aime ta maman autant qu'il est possible.

Nous entrons dans la clinique, direction les urgences. Nous savons seulement que l'équipe médicale s'occupe d'elle. Nous devons attendre dans la salle d'attente. Lucas s'assied. Je me dirige vers lui mais plutôt que de m'asseoir sur une chaise à côté de lui, je vais me mettre sur ces genoux. Il a l'air surpris mais ne dit rien. Au contraire, il referme ses bras autour de moi.

- Merci Lucas

- De quoi petit chat?

- D'être là pour maman, pour nous.

Il me fait un bisou sur le front. La soirée va être longue, très longue.

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Point de vue de Joy pour une fois. C'est pas mal de savoir ce qu'elle pense.
Auriane va-t-elle s'en sortir? Un lien fort s'est créé entre Joy et Lucas en tout cas mais cela va-t-il être suffisant?

Chapitre corrigé - 28/03/18