Chapitre 6 : Des crétins chanceux


Tristan

J'observe une dernière fois cette foule électrique, puis nous disparaissons dans les coulisses. Mon cœur bat si vite qu'il résonne dans ma tête. Mon corps me picote d'une délicieuse adrénaline. Le sang pulse toujours dans mes veines au rythme de ma batterie et l'excitation ne baisse pas d'un iota. J'essuie la sueur sur mon front avant de regarder les mecs. Nous nous sourions comme des débiles.

Des crétins chanceux.

En cercle, les uns contre les autres, essoufflés par notre prestation, Nolan prend la parole en plaquant ses cheveux.

— On l'a fait !

— Et on a géré ! continue Romain.

— Quel putain de concert !

— On a assuré, hein ? demande Adrien, indécis.

— Oh que oui, affirmé-je. Je crois qu'on n'aurait pas pu faire mieux.

On a tout donné, c'est certain.

— Je n'ai pas merdé ? nous interroge Bastien.

— Non, nickel. Aucune fausse note, confirme le guitariste.

Nous avons conscience que notre chanteur a subi la plus grande pression. Il sourit, rassuré et secoue ses mains. Meryl le rejoint et l'embrasse tandis qu'il la maintient contre lui, une paume sur sa joue. Je ne peux m'empêcher de penser qu'elle aurait dû être là et faire partie de cette aventure incroyable. Elle était la première à qui j'adorais tout raconter, me confier, tant partager. Nous devrions nous enlacer comme eux et elle me féliciterait avec son sourire magnifique.

Il faut vraiment que j'arrête...

— Et votre chorée, elle était démentielle ! nous complimente Meryl.

Romain et Bastien se regardent, fiers comme des coqs.

— On est qui ? hurle Nolan.

— Les Meet Me Halfway ! répondons-nous en chœur.

Nous rions, soulagés que ce premier concert se soit si bien déroulé. Je ne me suis jamais senti aussi vivant que pendant ce moment hors du temps. Il n'y avait que le public, notre musique et nous. Un échange pur, des émotions fortes comme sur des montagnes russes au-dessus de la mer.

L'organisateur nous rejoint et nous félicite, ce qui nous force à nous calmer, histoire de ne pas avoir l'air de gamins incapables de se gérer. Il espère que nous serons à l'affiche lors de la prochaine édition. Nous nous regardons, ébahis, prêts à exploser de joie, mais nous nous contenons encore. Nous échangeons quelques mots avec lui avant de ranger notre matériel dans la voiture et la remorque, aidés par Meryl qui connaît l'emplacement de chaque objet. Elle aussi est toute fébrile. Avec Bastien, ils formaient déjà un couple quand il nous a rejoints. À présent, ils fêtent leurs neuf ans ensemble. Meryl est notre première fan, celle qui est là depuis la création du groupe, qui nous a toujours encouragés, qui a assisté à nos échecs et à nos doutes... tout comme elle.

Bordel.

Je me pince l'arête du nez et évince ces pensées négatives. Une voix me fait revenir à la réalité.

— Bonsoir.

Nous nous retournons sur nos sponsors.

— Votre prestation a été excellente. Félicitations !

Nous échangeons des poignées de mains et les remercions d'être venus. Après leur départ, nous nous éclipsons chacun notre tour dans les toilettes pour nous rafraîchir et nous changer.

— J'ai proposé à Roxane de boire un verre avec nous, nous prévient Nolan.

— Ma parole, t'es déjà accro ou je rêve ? le taquine Adrien.

Notre benjamin grimace.

— Que dalle !

Nous ricanons en la rejoignant à l'endroit indiqué par message. Quelques personnes nous demandent des autographes et j'en suis étonné. C'est étrange, cette impression d'être... une star ? Je ne trouve pas que ce mot soit déjà approprié pour nous définir.

Quoi que...

Nous avons déjà acquis une belle communauté qui nous suit assidûment.

Nous retrouvons la photographe, accompagnée de deux filles. Elle a gardé son sac aussi grand qu'elle sur son dos.

— Je vous présente Salomé.

Une jolie brune à la peau dorée de la même taille que Roxane nous salue.

— Et Raphaëlle.

Elle est un petit peu plus grande que ses amies et ses iris sont bleus. Ses cheveux blonds sont aussi longs que ceux de Meryl, mais légèrement ondulés. Romain se racle la gorge, les yeux rivés sur le visage de Raphaëlle et je lui balance une tape dans le ventre.

— N'y pense même pas, menacé-je.

S'il commence à y avoir des histoires entre ces filles et nous, ça promet un bordel sans fin.

Nous nous présentons à notre tour, puis nous nous dispersons, à la recherche de quelque chose à nous mettre sous la dent. Une fois la chasse terminée, nous nous installons à une table. Je salive devant ma pizza et en croque une bouchée.

— Alors, qu'avez-vous pensé de notre concert ? demande Bastien.

— C'était incroyable ! s'enthousiasme Raphaëlle.

— J'ai adoré et je compte bien vous revoir en live, répond Salomé.

Nous nous tournons vers Roxane qui se fige, avale ce qu'elle mâchait et se lèche les lèvres lentement pour enlever la crème de sa tarte flambée.

— Vous m'avez stupéfaite.

Un petit soupir de soulagement m'échappe et je ne saurais dire pourquoi. Son avis devrait m'indifférer, mais mon égo espérait qu'elle ait aimé. Après tout, elle va assister à tous nos concerts. Ce serait dommage qu'elle n'apprécie pas notre musique.

Oh, et qu'est-ce que je m'en fous de toute façon. Elle est payée pour ça !

Nous finissons de manger en apprenant que les trois filles ont le même âge – vingt et un ans – et se connaissent depuis le bac à sable, comme Romain et moi. Salomé travaille en tant que fleuriste et Raphaëlle est peintre en bâtiment. Quant à Roxane, elle a fait une école de commerce avant d'être photographe à plein temps.

L'heure du prochain concert arrête notre discussion et nous nous approchons de la scène. La tête d'affiche promet d'envoyer du lourd. À nous d'en prendre de la graine.

***

Je laisse tomber mon sac sur le sol de ma chambre en rentrant. Je saisis un linge et file me doucher en atteignant la salle de bains de justesse avant Nolan qui râle.

Un soupir d'aise s'échappe de ma bouche au moment où l'eau bouillante coule sur ma peau. La soirée défile dans ma tête avec toutes ces sensations extraordinaires ressenties. D'autres fans nous ont encore accostés. J'ai adoré pouvoir discuter avec elles.

Je me rappelle de la première batterie que mes parents m'ont offerte à mes cinq ans, car maman en avait marre que je lui pique ses casseroles. Ces souvenirs me font sourire tout en ramenant avec eux la peine qu'ils n'aient pas pu être là ce soir. Je rince le savon, sors de la cabine et me sèche rapidement, agacé par Nolan qui tambourine à la porte.

Totalement claqué, mais heureux comme jamais, je m'étale sur mon lit et me tourne sur le dos en saisissant mon natel sur la table de chevet. L'écran affiche Instagram et je fais défiler le compte du groupe afin de regarder ce que Roxane a posté. Elle a vraiment mis en avant des super moments : notre arrivée au festival, l'entrée en scène, trois instants du concert et un extrait de la danse de Romain et Bastien. Je réponds aux nombreux messages que j'ai reçus sur mon Insta personnel qui n'est pas en mode privé : certains d'amis, d'autres d'inconnus, puis abandonne l'appareil en mode « Ne pas déranger ». Je m'endors avant même d'avoir posé la tête sur l'oreiller.


Serviette de bain

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