Chapitre 4 : Je vais la trucider
Tristan
J'écarte mon duvet, m'assieds sur le bord du lit et grimace. Des courbatures endolorissent mon corps. Un peu de lumière passe à travers les trous des volets et éclaire faiblement la pièce. Mes yeux sont attirés par les cartons posés dans un coin de la chambre, je clos les paupières. Quatre ans de vie commune, de souvenirs et d'épreuves affrontées ensemble réduits en cendres en une phrase.
« Je ne veux plus continuer. »
Je déglutis ; j'ai cette horrible sensation qu'elle continue à garder des morceaux de mon cœur en otage. Ce souvenir tourne en boucle dans mes cauchemars, mais ces dernières semaines, ils me noient moins souvent. Je me frotte les yeux en espérant la chasser de mes pensées. Je regarde à nouveau cet empilement avec amertume. Ils sont devant mon nez depuis huit mois. Il faudrait vraiment que je range mes dernières affaires, maintenant que j'ai brûlé tout ce qui la concernait. Je crois qu'au fond de moi, je persiste à imaginer qu'elle reviendra. Qu'un jour, elle regrettera et me demandera que l'on reprenne notre histoire. Je lui dirai oui sans hésiter alors qu'elle m'a mis les deux genoux à terre. En même temps, je sais aussi que ça n'arrivera pas et que je dois fermer ce livre à jamais.
Je soupire en me levant et enfile le premier t-shirt et training qui me tombent sous la main. En bâillant, je rejoins la cuisine et me sers un café, puis m'assieds à la table de la terrasse avec une clope.
Les souvenirs de la journée d'hier remplacent ceux que je préférerais oublier. J'ai hâte de voir le résultat final. Je parcours le profil Instagram du groupe pour ouvrir les stories actives et avale de travers ma boisson. Je reviens en arrière, augmente le son et réalise que mes yeux n'ont pas besoin de lunettes. C'est bien une vidéo de nous dans la voiture en train de ronfler avec comme texte « On a bossé dur pour notre premier clip. » J'ai la bouche grande ouverte et je crois bien que je suis celui dont la gorge vibre le plus fort. Je vais la trucider. Cette collaboration commence très mal. Je termine cul sec ma boisson et dépose la tasse dans le lave-vaisselle tandis que j'entends Romain descendre les escaliers. Adrien et Nolan sont partis travailler avant que je ne me réveille.
— T'as vu la story ? demandé-je en colère.
— Ouais, j'ai trop ri.
— Tu déconnes ? Ça nous met la honte !
— Mais non, c'est marrant. Faut montrer de l'authenticité, à ce qui paraît. Technique de marketing.
— Depuis quand tu t'y connais dans ce domaine ?
— C'est de la logique. Eh fais gaffe, ne m'insulte pas.
J'arque un sourcil tout en lui souriant avec arrogance, il me propose de boire un deuxième café avec lui et ce n'est pas de refus.
Nolan nous rejoint à son retour du boulot et dîne avec nous. Il trouve que cette story ne fait pas de mal, mais il veut se venger de Roxane et ses yeux pétillent de malice.
— Je suis partant pour t'aider, ris-je.
Notre bassiste est un roi quand il s'agit d'emmerder.
— L'occasion finira bien par se présenter !
— C'est à quelle heure le souper avec les sponsors ? interroge Romain qui change brutalement de sujet.
— On te l'a dit au moins dix fois, marmonne Nolan.
— Départ à dix-huit heures trente d'ici, répété-je en m'allumant une clope. Et habille-toi élégamment !
— Ouais.
Nolan soupire et débarrasse son assiette.
— Un problème ? lui demande Romain sur un ton défiant.
— Non, aucun.
Je sais que Nolan en a marre de la nonchalance de Romain, mais il n'est pas du genre à déclencher une dispute et préfère faire profil bas. Notre pianiste l'impressionne un peu et ce dernier en a conscience. Je n'aime pas ce déséquilibre entre eux, mais je ne vois pas comment y remédier. Nolan est un mec génial, de confiance et mature malgré ses vingt ans. Son professionnalisme m'a constamment épaté. Au contraire, Romain a toujours été comme ça : un « je m'en fous de tout et des conséquences ». Ça nous a valu de mauvaises expériences quand nous étions adolescents. Mais lorsqu'il s'agit du groupe, il reste sérieux et est un pianiste talentueux.
Je passe mon après-midi au lit à regarder une série sur mon ordinateur avant de partir à la douche, sans grande motivation. Une fois sec, rasé et parfumé, j'enfile un polo blanc, un pantalon chino beige et des baskets noires, puis complète ma tenue avec un blouson de la même couleur que ces dernières. Ce soir, a lieu le repas de remerciements de nos sponsors, quelques entreprises de la région. Nous avons invité Roxane afin de pouvoir la leur présenter, leur montrer qu'on continue d'évoluer et d'agrandir notre équipe de professionnels.
Je rejoins les gars dans l'entrée où je constate que tout le monde a respecté le code vestimentaire. Nous prenons le van, récupérons Bastien au passage et roulons jusqu'au centre-ville.
Nous entrons dans un restaurant chic. Le chanteur nous annonce auprès du chef de rang qui nous conduit à une imposante table ronde. Nous sommes les premiers. Nous nous asseyons et quelques minutes plus tard, Roxane arrive. Mes yeux s'agrandissent tant je suis étonné de la voir habillée si élégamment. Jean, basket et sweat sont remplacés par une robe de cocktail rouge, serrée à la taille par une ceinture dorée détaillant la courbe de ses hanches. Un col en V met en valeur sa petite poitrine, sans vulgarité, et des escarpins lui font gagner quelques centimètres. Une modeste pochette blanche sous le bras, elle s'avance jusqu'à nous. Ses cheveux châtains bouclés descendent jusqu'aux épaules et sa frange masque son front. Ça lui donne un petit côté années nonante. Son visage arbore un teint lisse. Deux traits noirs accentuent ses yeux noisette.
Bon...elle est... séduisante.
— Bonsoir, débute-t-elle.
— Bonsoir traîtresse, répond Nolan.
Elle devient toute rouge en s'asseyant, mais ne cache pas son sourire.
— Tu nous as fait un vilain tour, remarque Bastien sans animosité.
Nolan l'a mis au courant de notre plan.
— Il ne faut pas le prendre comme ça, c'est l'envers du décor. Les abonnés adorent ça. D'ailleurs, cette story a fait exploser les vues, se justifie-t-elle.
— Alors je suppose que c'était un mal pour un bien, conclus-je.
— Totalement.
Notre premier sponsor apparaît et nous nous levons tous par respect. Il nous remercie et chacun s'assied sur son siège, puis les trois autres se joignent à nous.
— Que dites-vous d'un Fendant pour l'apéritif ? proposé-je.
Tout le monde est partant. Je passe la commande puis le sommelier nous tend les cartes. Dès que le vin est servi et les menus choisis, Bastien débute :
— Nous tenions à marquer le coup pour vous remercier de nous soutenir avec autant de passion.
Il leur présente Roxane, puis détaille le tournage d'hier et les événements prévus ces prochaines semaines. Nous les invitons également au premier festival qui a lieu dans notre ville de résidence.
— Le clip sera mis en ligne la veille de notre premier festival, conclut-il.
Nos quatre partenaires sont enthousiastes. Le premier a un magasin de vente et réparation de vélos, le second un magasin de sport, le troisième une fiduciaire et le dernier une entreprise de construction. Ils posent quelques questions et ça fait plaisir de voir leur intérêt. Nous précisons que nous avons fait apparaître, dans le clip, leur logo à la fin.
Nous sommes interrompus par le serveur qui débarrasse nos verres vides. Ils s'intéressent à présent à l'expérience de Roxane et il y en a même deux qui connaissent ses parents.
— Je me réjouis de les suivre et de pouvoir les mettre en avant sur les réseaux, affirme-t-elle en souriant.
Bastien détaille quelques chiffres et ce que nous espérons comme ventes le premier mois. Nous avons également prévu des interviews radio, un passage à la télévision suisse et sur une chaîne valaisanne. Des publicités sortiront dans les journaux locaux. Une chose est certaine, tout est mis en place pour qu'on ait la chance de percer. Il ne nous reste plus qu'à tout donner à chaque concert et à ne pas nous planter, mais surtout : profiter à fond des moments sur scène où nous pourrons retrouver notre public.
La soirée s'éternise et nous développons une belle complicité avec ces hommes et cette femme qui croient en nous depuis nos débuts.
— À votre premier festival, dans cinq jours ! nous encourage le patron de la fiduciaire.
Pantalon de sport
Repas du midi en Suisse
Repas du soir en Suisse
Vin du Valais
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