Chapitre 3 : Tout ça pour un clip de trois minutes et des poussières
Tristan
Nous nous rendons sur l'Eggishorn où une magnifique vue sur le glacier d'Aletsch servira d'arrière-plan pour le clip. Je suis autant anxieux qu'excité. Je m'arrête devant l'immeuble de Roxane, Nolan coulisse la porte du véhicule.
— Salut ! Mets tes affaires dans le coffre, lui indique-t-il.
— Coucou, d'acc !
Elle s'exécute puis prend place à côté du bassiste.
— Bonjour, tout le monde, débute-t-elle, un peu gênée.
Je démarre, quitte Monthey et entre sur l'autoroute sous un beau soleil et un ciel dégagé.
— Vous n'avez pas votre matériel ? nous interroge-t-elle.
Ben non, sinon, on aurait la remorque avec nous...
— C'est l'équipe de production qui se charge de tout amener, explique Bastien.
Un silence s'installe, je n'ai aucune envie de parler, alors j'allume la radio. Le bitume défile sous les roues, personne ne prend la parole jusqu'à arriver à notre destination. Je sens la nervosité de chaque membre du groupe et je ne suis pas en reste.
Nous arrivons au pied des remontées mécaniques et je coupe le moteur. Romain, Adrien, Roxane et moi nous en grillons une. Je ne pensais pas qu'elle était du genre à fumer. Je l'observe en rejetant un nuage. Elle n'est pas très grande, un peu plus d'un mètre soixante, elle a une taille fine, des cuisses musclées. Des cheveux châtains bouclés et une frange encadrent son visage aux pommettes hautes et frôlent ses épaules. Rien qui ne la démarque vraiment.
Je jette mon mégot à la poubelle, nous faisons la queue et entrons dans la télécabine. Les portes se ferment, elle s'élance dans le vide avant d'être tirée par son câble.
— Désolé pour l'ambiance, débute Nolan en venant aux côtés de Roxane, les mains dans les poches.
Je lève les yeux au ciel. On ne lui doit rien.
— Ce n'est pas grave, je me doute que ce qui vous attend est un peu déstabilisant.
— Je dirais effrayant.
Ils rient de bon cœur avec Adrien.
— Vous n'aurez pas à jouer la comédie, juste faire une représentation. Ça va être fun !
— On verra ça, soupire le guitariste.
Je navigue sur mon natel en scrutant Romain du coin de l'œil. Il observe Roxane avec un sourire qu'elle lui rend. Je ne serais pas surpris qu'il tente de la mettre dans son lit. Je détourne mon attention pour me focaliser sur les reliefs et la beauté des lieux, où pierres, arbres et végétation diverse se mélangent avant de disparaître au fur et à mesure que nous prenons de l'altitude.
Roxane prend une courte vidéo de la splendide vue qui se dévoile à nous et la poste en story. Je regarde notre compte sur mon écran : elle a ajouté le texte « Quelque chose se prépare... » avec une musique digne d'un moment crucial dans un film.
— Tu as travaillé sur notre site ? interroge Adrien.
— Oui ! J'ai terminé.
— Déjà ? s'étonne Nolan.
Elle acquiesce, ses traits sont tirés, elle n'a sûrement pas beaucoup dormi. Nous entrons dans la télécabine suivante et atteignons l'Eggishorn où toute l'équipe de tournage nous accueille sur une zone qui a été privatisée et sécurisée. Les instruments sont posés sur une plateforme en bois. L'étendue de glace entourée de sommets est exceptionnelle et impressionnante, son poids avoisine les dix milliards de tonnes.
Nous allons économiser sur le montage et les techniciens sont réduits au minimum. Les gérants des remontées mécaniques ont offert les trajets et le transport du matériel, le clip sera bénéfique pour faire connaître la station, mais malgré tout, nous avons sorti une énorme somme, sans assurance de ce que ce clip nous apportera.
Je me retourne vers les maquilleuses et coiffeuses qui nous kidnappent et nous installent sur des sièges à l'intérieur d'une tente. Mal à l'aise, ma jambe tressaute et je peine à avaler ma salive en voyant la quantité de produits disposés sur la table. Nolan et moi passons en premier entre leurs mains. Elles mettent en place mes cheveux avec du gel et finissent par me peinturlurer le visage de fond de teint.
Comment font les nanas pour supporter cette chose sur la peau ?
Heureusement que je me suis rasé ce matin, ça m'épargne certainement une torture. Elles nous libèrent et nous retrouvons Roxane, l'œil vissé à son appareil.
— Tu vas pouvoir nous faire de belles photos, débute Nolan alors que les trois autres membres disparaissent à leur tour.
Elle est là pour ça...
Les lèvres de Roxane s'étirent en un sourire qui monte jusqu'aux oreilles.
— Oh, oui ! En plus, le soleil n'est levé que depuis quelques heures. La lumière est excellente et j'évite les ombres dures avec un éclairage du soleil au-dessus.
— Tu me montres à quel point je n'y connais rien, rit le bassiste.
Agacé, je m'éloigne pour fumer une cigarette et avoir la paix.
Vingt minutes plus tard, nous sommes tous prêts, habillés d'un t-shirt noir.
— Réunion ! hurle un homme à l'accent suisse allemand très prononcé.
C'est le réalisateur que nous avons engagé. Il nous explique le déroulement du tournage qui, en soi, reste assez simple : nous interprétons notre chanson d'une traite, si possible. Je sais déjà que ça va être difficile. Le réalisateur a un peu trop confiance en nous.
La version studio va être diffusée dans nos oreillettes pour que notre synchronisation soit impeccable. Le son d'origine sera ajouté en postproduction pour une qualité optimale. Des caméras et deux drones vont nous filmer afin d'avoir plusieurs angles de vues et des gros plans de chacun. Un premier clip en toute simplicité qui correspond totalement à notre style et surtout à notre budget.
— Tout le monde est O.K. ? Les questions, c'est maintenant ! Après, c'est trop tard.
Je retiens un rictus au vu de son ton très théâtral. Personne ne prend la parole alors nous nous mettons en place. Je m'assieds, ferme les yeux et inspire à fond. Aucune pensée parasite ne peut venir foutre le bordel dans ma tête. Ce qui va débuter est bien trop important. Je règle la hauteur des différents éléments de la batterie, puis nous faisons un soundcheck, autrement dit, la balance audio pour doser les niveaux sonores des instruments et des micros pour que ce ne soit pas désagréable pour l'équipe de tournage. Bastien échauffe brièvement sa voix, même si ce n'est pas utile, il préfère.
Dès que nous sommes prêts, le silence s'impose et seuls les bruits de la nature continuent. L'enregistrement commence. Je suis un peu en retrait et vois les dos et épaules crispées de mes amis. Tout mon corps est tendu à l'extrême. Adrien est le plus mal à l'aise, se trompe régulièrement, il s'énerve et interrompt le tournage. Je perds mes baguettes à deux reprises, dont une paire qui termine en bas dans les rochers. Romain se plante au piano et au lieu de continuer, il cogne les touches.
Ouais, on fait de notre mieux.
Au bout d'un long moment, nous parvenons finalement à nous lâcher. Notre musique vibre dans mes veines, dans mon cœur, dans mon âme. Tout s'efface autour de moi pour ne laisser place qu'à de la plénitude dans cet univers que nous avons créé.
Trois heures plus tard – avec une petite pause au milieu pour manger et nous réchauffer – c'est dans la boîte.
Tout ça pour un clip de trois minutes et des poussières.
On nous applaudit à l'unisson, mes joues s'empourprent légèrement. Nous enfilons nos pulls avec soulagement pendant que les techniciens remballent leur équipement. Nous prenons le temps de remercier chacun d'entre eux. Le plus pénible a été de tourner en t-shirt malgré le froid ; à la fin, on sentait que la concentration devenait difficile, mais nous y sommes arrivés.
Roxane prend une photo de toutes les personnes présentes, puis place l'appareil dans son sac et nous rejoignons la télécabine. La descente est animée. La pression relâchée, nos langues se délient sur cette première expérience, sur les points forts, et ce que nous voulons améliorer au prochain, en espérant qu'il y en aura. Roxane nous écoute attentivement jusqu'à ce que Nolan lui pose une question.
— Tu en as pensé quoi ?
— Le clip sera génial !
— Il disait par rapport à nous, précise Adrien.
Elle hausse les épaules avec nonchalance.
— Juste ça ? s'indigne Romain.
— Non, je rigole. J'ai bien vu que ça n'a pas été facile.
— On peut regarder quelques photos ? demande Adrien.
Elle secoue la tête en souriant.
— Vous les découvrirez dans quelques jours, quand elles seront traitées.
C'est stupide...
Les mecs insistent, mais elle ne flanche pas. Sur les derniers mètres du parking, de nombreux bâillements résonnent, y compris les miens.
— Vous voulez que je conduise ? propose Roxane.
Nous lançons tous un regard hésitant. Je ne sais pas comment elle roule et si elle plante le van, nous sommes sacrément dans la merde. Elle fronce les sourcils en croisant les bras.
— Tu as l'habitude des grosses voitures ? interrogé-je.
Elle arbore une moue si vexée que j'en rirais presque.
Presque...
— C'est une bagnole avec quatre roues, je devrais m'en sortir.
Les mecs pouffent, je plisse les paupières.
— O.K., abdiqué-je à contrecœur en lui tendant les clés.
Les gars la remercient et nous nous installons sur les sièges. Le véhicule démarre en douceur. Quand il s'engage sur l'autoroute, je laisse le sommeil m'emporter.
Un sommet des Alpes, en Suisse
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