Chapitre 2 : On a bossé pour en arriver là


Tristan

Nous entrons tous dans le van et Adrien démarre le moteur avant de rejoindre la circulation.

— Alors, comment avez-vous trouvé Roxane ? nous interroge Nolan.

— Elle est chouette, débute Adrien.

Romain hausse les épaules et moi aussi. Ça me soûle qu'une meuf nous suive partout. Je tolère Meryl, car c'est la femme de Bastien et je la connais depuis un bail, mais je n'ai aucune envie d'avoir une autre nana dans les pattes qui va sûrement plus nous faire chier qu'autre chose.

— Elle a un petit accent, non ? demande Bastien.

— Oui, confirme Nolan. Mais je n'arrive pas à définir d'où il vient.

Adrien pense qu'on va bien s'entendre avec elle. Je m'en fous complètement, l'essentiel c'est qu'elle fasse bien son job et ne nous mette pas de bâton dans les roues. Nous avons regardé son travail et je ne peux que l'admettre : elle est douée. J'aime beaucoup ses photos d'un concert, mais également les portraits et les clichés équestres. Certes... ça nous sera très bénéfique d'avoir des photos et vidéos professionnelles en permanence. Je laisse échapper un soupir.

— Bastien, je te dépose ou tu viens un moment à la maison ?

Il fixe l'heure sur la radio.

— Désolé les gars, mais Meryl m'attend.

Il accompagne sa réplique d'un petit sourire coquin et je ne veux absolument pas connaître le programme de leur soirée. Rien que de penser à leur amour, qui n'a fait que se bonifier avec le temps, me dégoûte.

Une de perdue, dix de retrouvées. Moi, je dirais plutôt : une de perdue, un cœur fracassé et des mois de déprime assurés !

Nolan lui pince l'épaule en le taquinant. Je baisse légèrement la vitre pour fumer une cigarette, malgré le regard agacé de Bastien. Romain, Adrien et moi avons cette addiction et ça nous a souvent valu des sermons des deux autres.

La vieille maison familiale d'Adrien se dévoile devant nous, après avoir laissé le chanteur au pied de son immeuble neuf. Parfois, j'envie son isolement. Depuis mon emménagement ici, il y a huit mois, les boules quies sont devenues mes nouvelles meilleures amies pour pouvoir dormir le matin. Nolan est souvent debout à sept heures, ce mec peut pioncer cinq heures et être plus en forme que nous tous réunis.

Rageant.

Il arrive aussi qu'Adrien rentre au milieu de la nuit après des soirées avec d'autres potes, ou après avoir passé du bon temps avec une femme. Chaque marche de l'escalier grince à son passage, comme des freins en fin de vie. Ça me gonfle, mais je refuse de vivre dans la villa de mes parents, c'est insupportable de ne plus les y voir.

Nous nous installons au salon pendant que Nolan se met aux fourneaux. Les placards commencent à claquer, l'eau coule du robinet, puis je l'entends sortir son mixeur. Il adore cuisiner. Les mets de notre benjamin sont toujours très bons, même s'il y a quelques loupés. Dans ces cas-là, nous avons intérêt à ne pas commenter. La dernière fois que nous l'avons fait, il était tellement vexé qu'il a fallu du temps avant qu'il s'y remette, au grand dam d'Adrien, Romain et de notre ancien colocataire – Luc – parti il y a peu pour vivre avec sa copine.

— Dans deux semaines, les mecs, c'est l'Irréversible festival ! s'excite Romain en sautant par-dessus le dossier du canapé.

Il atterrit à mes côtés, décollant mes fesses du coussin.

— Le début de la tournée ! s'époumone Nolan depuis la cuisine.

J'acquiesce avec un grand sourire, trouvant un peu de bonne humeur. La musique est bien ce qui m'a évité de sombrer ces derniers mois. Je me suis accroché à elle comme si c'était la dernière corde qui me retenait de chuter dans le vide.

— Ce que j'ai hâte, continue Adrien, rêveur, en jouant avec son piercing.

Pour moi aussi, participer à la tournée des festivals me paraît dingue. Dix-huit concerts en cinq mois : une délicieuse folie.

Notre premier album « Start », terminé il y a quelques semaines, sort le jour de notre premier festival. Je suis curieux de voir son démarrage. Je crains aussi que ça fasse un flop, mais je crois en nos chansons pop rock.

Même si le groupe n'a que cinq ans, nous sommes tous musiciens depuis notre enfance. On a bossé pour en arriver là et le travail va forcément payer. L'année prochaine, nous espérons pouvoir vivre de notre passion.

Mes pensées se tournent vers mes parents. Ils seraient tellement fiers, eux qui m'ont toujours encouragé. Je soupire et Romain me porte un léger coup d'épaule accompagné d'un sourire compatissant. Il est le seul à avoir été là, à avoir vu ma douleur, avant de m'aider à affronter tout ce qui s'en est suivi. Les autres ne faisaient pas encore partie du tableau, et heureusement.

Je lui rends son sourire avant de boire une gorgée de ma bière.

— Faut qu'on fasse une liste du matos pour être sûr de ne rien oublier, remarqué-je.

Adrien se lève et revient avec un cahier et un stylo puis commence à noter ce qu'on lui énonce en faisant une colonne par personne et son instrument, ainsi qu'une pour le groupe.

Quand Nolan nous appelle pour manger, la liste est déjà bien remplie ; nous y ajouterons certainement plusieurs éléments avant le premier concert. Ce serait tellement stupide d'arriver sur place en ayant oublié une prise, les médiators, une corde de rechange ou mes baguettes.

L'angoisse !

— Demain, on doit être en forme pour le tournage du clip.

— C'est clair, confirme Romain.

— Il sera diffusé sur YouTube et des extraits seront postés sur les réseaux... on doit assurer, souligné-je.

Ils hochent la tête, je l'ai peut-être trop répété ces derniers jours, mais la pression va être constante durant les prochaines semaines. Notre train ne peut pas dérailler.

— T'as commandé les t-shirts avec notre logo ? interroge Adrien.

J'avale de travers et tous les regards se portent sur moi.

— Tris, sérieux ? s'énerve la guitariste.

— Pardon, pardon. Je m'en occupe après.

Ils ronchonnent et je m'excuse à nouveau, puis les discussions vont bon train. À la fin du repas, Nolan prend la parole :

— Il faut qu'on mette l'annonce pour la chambre de libre.

— Comme tu nous le rappelles, tu peux la poster, se moque Adrien.

— Déjà que je vous fais à bouffer, je dois encore faire tout le reste. Vous êtes lourds !

— Tout le reste ? s'indigne Adrien. Comme quoi ?

Nolan quitte la table aussi vite qu'un courant d'air.

— Lâche ! hurle Adrien.

Je ricane tandis que nous terminons notre repas en discutant. Romain et moi débarrassons et mettons les assiettes dans le lave-vaisselle.

Dès que tout est nettoyé, nous sortons sur la terrasse pour fumer une clope. Les températures de ce mois de mai sont bien agréables, ça sent déjà l'été. J'aime l'hiver pour la neige, le ski – et l'after-ski –, mais l'été, entre la chaleur et les soirées dehors jusqu'à pas d'heure, c'est une autre ambiance.

Et surtout, il y a les festivals de musique.

— Tu bosses demain ? demandé-je.

J'expire la fumée en admirant les étoiles.

— Ouais.

— Quel chantier ?

— À Aigle, mais... Ils m'ont licencié. Je termine juste avant le premier concert.

Je souffle, agacé qu'il n'arrête pas de se faire virer, car il ne bosse pas.

— Bordel, qu'est-ce que t'as foutu ? Tu as besoin de garder un job tant qu'on ne gagne pas assez avec la musique. Tu me dois déjà pas mal de fric ! À jouer avec le feu, tu vas te brûler et méchamment.

— Ouais... Je trouverai quelque chose. T'es un veinard quand même.

Je me retourne vers lui, le regard noir. C'est mon meilleur pote, mais bon sang, ce qu'il peut être con parfois...

— S'cuse, tu sais que ce n'est pas ce que je voulais dire, bredouille-t-il.

— Je te connais, tu en pensais chaque mot.

J'inspire la fumée et la souffle au milieu de sa tronche avant d'écraser le mégot dans le cendrier et de monter dans ma chambre, énervé par ses paroles ignobles. Je commande les t-shirts, puis ne tarde pas à me coucher.

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