Chapitre 1 : Ce ne sont que cinq mecs


Roxane

Je prends une grande inspiration avant de poser la bandoulière de mon sac sur l'épaule, de quitter ma petite voiture et d'en claquer la porte.

Ce ne sont que cinq mecs, des humains, des gens normaux, me répété-je.

Cinq mecs qui vont être focalisés sur moi et avec lesquels je vais travailler plusieurs semaines, s'ils m'engagent. Mes joues se gonflent d'air à nouveau tandis que j'essuie mes mains moites sur mon jean. Je marche quelques mètres et ose un coup d'œil à travers la vitre du café où le rendez-vous a été organisé. Je les aperçois dans le fond, ce qui me provoque une bouffée de chaleur désagréable.

Allez, ce sera juste bizarre les premières minutes.

Je franchis l'entrée, salue la serveuse, puis me dirige vers la table où les cinq paires d'yeux du groupe Meet Me Halfway me fixent. Le rouge monte à mes joues brûlantes. Je m'arrête à un mètre d'eux, vaincue par le stress.

— Salut ! Ben alors, viens t'asseoir ! On ne mord pas.

Très drôle.

Je regarde celui qui a pris la parole. Des cheveux bruns en bataille, des iris marrons pétillants de malice, un visage arrondi et un sourire enfantin, je reconnais le benjamin : Nolan, le bassiste.

Je lui souris et prends place sur la chaise en bout de table, face à lui.

— Salut, lancé-je à tous.

Je commande un soda à la serveuse et me tourne vers eux, les lèvres pincées en attendant qu'ils prennent la parole et ne me dévisagent plus.

— Je suis Bastien ! C'est moi qui t'ai écrit, m'informe-t-il en souriant.

Il me serre la main et je hoche la tête. Du haut de ses vingt-cinq ans, Bastien semble être le plus mature. Ses cheveux noirs aux boucles serrées encadrent son visage carré jusque sous sa mâchoire et cachent son front. Son regard ténébreux lui donne quelques années de plus et le charme d'un homme posé qui sait ce qu'il veut et où il va.

J'échange une brève poignée de mains avec les autres avant de les observer brièvement.

Il y a plusieurs jours, le chanteur m'a contacté afin de me proposer de gérer leurs réseaux sociaux, grâce à un peu de publicité que j'ai fait dans la région. J'en ai profité pour lui apprendre que j'étais aussi photographe en ayant une idée derrière la tête. Il m'a demandé de lui envoyer mon travail et le lendemain, il m'a proposé un contrat complètement fou et excitant : suivre le groupe des « Meet Me Halfway » en concert pendant l'été et m'occuper de leur communication. C'est ce que j'espérais – le genre de contrat que je n'aurais pas pensé obtenir avant deux ou trois ans. À partir de là, je suis allée me renseigner sur le groupe dont j'avais déjà entendu le nom et suis restée scotchée.

Sur Youtube, ils ont posté des vidéos qui atteignent les cinquante mille vues, que ce soit lors de représentations ou de répétitions, il y a aussi des vlogs pendant l'enregistrement de leur premier album. Un chiffre impressionnant pour un groupe suisse. Leurs réseaux sociaux sont actifs de manière aléatoire, donc très mal gérés. Ils font souvent des concerts dans des bars et événements. Je suis même tombée sur un compte de fan.

Tour à tour, Bastien me présente ses amis et commence par Romain. Immense, un visage ciselé, une beauté angélique et des bras tatoués. D'après ma petite enquête, il est l'un des deux fondateurs du groupe. Il joue du piano et fait les chœurs.

Du gel maintient en l'air les cheveux blonds coupés courts et lisses d'Adrien. C'est le guitariste, qui prête sa voix de temps en temps, avec un beau timbre. Il n'est pas très grand – comme Nolan –, mais possède des yeux bleu océan dans lesquels toute femme doit se noyer. Il joue avec son anneau au labret décalé.

— Est-ce que notre cahier des charges joue pour toi ? m'interroge Bastien.

Je l'ai étudié attentivement toute la soirée d'hier.

— Oui, tout est bon. Votre site pourrait être mieux construit, plus rapide et attirer plus de personnes avec des informations pertinentes. Il me faudrait votre accès ainsi que ceux de vos réseaux.

— Ah ! Bien sûr, affirme Nolan. C'est surtout moi qui poste dessus.

— Merci.

La serveuse nous amène nos commandes, puis nous enchaînons.

— Donc, si j'ai bien compris, vous n'avez pas signé dans une maison de disques ?

— Exact, confirme Romain. Nous ne sommes plus dans les années nonantes où elles payaient tout. Nous avons mis nos économies dans la production de l'album, les CD et leur distribution. Nous avons engagé un ancien ingénieur du son, Thierry, en tant que tour booker. Ensemble, nous avons pu organiser la tournée des festivals de musique en Suisse grâce à son réseau. Notre petit succès sur Youtube et quelques scènes ont appuyé notre crédibilité. Nous avons aussi obtenu un soutien de la commune et du canton. Des entreprises de la région nous aident un peu, souvent des amis de nos parents.

— Wow, c'est impressionnant.

Je n'ai pas affaire à un groupe d'amateurs.

— Merci ! répondent-ils en chœur, pas peu fiers.

— Et comme tu le sais déjà, nous allons tourner notre premier clip officiel. C'est aussi un grand investissement, ajoute Bastien, une pointe d'anxiété dans la voix.

— On est presque à sec, rit jaune Nolan, mais on donne tout pour cet été. C'est pour ça qu'on a besoin que notre communication soit à la hauteur. On n'a pas le temps de la gérer.

Je déglutis en réalisant l'importance de cette tournée pour ce groupe. Ou ça passe et leur carrière décolle, ou ça casse et ils perdent toutes leurs économies.

C'est chaud.

Je change complètement de sujet en remarquant une alliance grise à l'annulaire gauche de Bastien lorsqu'il saisit son verre.

— Tu es marié ? lui demandé-je, interloquée.

— Eh oui, répond-il fièrement en brandissant sa main.

— Un an qu'il s'est passé la corde au cou, ce fou ! ajoute Adrien.

Nous rions, je me détends de plus en plus. Cependant, il y en a un qui est resté dans le silence. Je porte mon attention sur Tristan, le batteur et deuxième fondateur. Grand, des cheveux bruns ondulés qui frôlent sa nuque et cachent ses oreilles, un visage allongé. Bastien se racle la gorge et Tristan semble revenir parmi nous. Il me scrute un instant et ses lèvres se pincent en un maigre sourire forcé. Je fronce les sourcils, car je suis intriguée par son attitude bien plus fermée comparé aux autres.

Je bois une gorgée, le temps de trouver une question pertinente à leur poser.

— Comment es-tu devenue photographe de concert ? m'interroge Adrien.

Ouf...

Il dissipe cette étrange ambiance qui venait de s'installer, ainsi que la conversation silencieuse insaisissable entre les membres.

— Ce n'est pas ma spécialité. En fait, j'en ai couvert qu'un, mais j'ai tellement adoré ! Je m'adapte à la demande. Vous m'offrez une belle opportunité de faire mes preuves.

— Nous ne te cachons pas que nous ne voulons pas perdre des jours à chercher quelqu'un. C'est un ami de Thierry qui a appuyé ton profil auprès de lui. Ton style photographique nous a plus, alors te voilà dans l'équipe ! détaille Bastien avec enthousiasme.

Et je ne l'en remercierai jamais assez. Dans cet univers, les relations et pistons sont un poids énorme.

Attends, minute.

— Alors, vous m'engagez ?

— Oui ! affirme Nolan avec entrain.

Intérieurement, j'exécute une danse de la joie, autant soulagée qu'excitée.

Je suis encore épatée que cette série de clichés d'un seul concert les a convaincus, même si c'est l'ensemble de mon travail qui leur a plu. J'avais un peu harcelé l'organisateur de ce festival pour couvrir la soirée. Un événement si proche, je n'allais pas laisser passer ça, et je rêvais de m'essayer à ce style de photographie. Il a fini par accepter, même si j'ai payé mes entrées, les boissons et les repas, mais ça m'était complètement égal. Je voulais pouvoir prendre des clichés sans avoir des têtes dans mon champ de vision et voir de quoi j'étais capable dans ces conditions difficiles. Un défi relevé haut la main.

C'est un petit aboutissement d'avoir un contrat avec les Meet Me Halfway. J'ai toujours voulu me faire engager pour accompagner un groupe en concerts et j'espère bien que ce sera un grand tremplin pour ma carrière.

— Mais je suppose que tu aurais préféré qu'on soit un groupe international, met en évidence Romain.

— Non, il ne faut pas avoir les yeux plus gros que le ventre. Je suis vraiment ravie de pouvoir bosser avec vous. Merci beaucoup. Je pourrai aspirer à ça quand j'aurai plus d'expérience.

— Ambitieuse, remarque Romain en souriant.

Je lui offre un rictus arrogant.

— J'aime les défis.

— Intéressant, complète Nolan.

Je hausse les sourcils et il se cache derrière son verre. Je sens que je n'ai pas fini d'en voir de toutes les couleurs avec lui.

Bastien pose un porte-document sur la table et nous signons le contrat que je prends le temps de lire, puis je sors mon iPad et enchaîne avec plusieurs questions pour leur site internet incomplet.

Chacun me raconte son arrivée dans le groupe et leurs débuts sur des petites scènes ou bars du coin, puis le tournage de vidéos avec des professionnels et les premiers vrais concerts. La composition actuelle date d'il y a cinq ans. Romain et Tristan jouent ensemble depuis dix ans.

À présent, j'ai ce qu'il me faut pour leur faire un site digne d'un groupe qui s'apprête à se produire dans les festivals – et pas que dans les petits – et une mise à jour de leurs réseaux.

Nous finissons après deux heures de discussions, nous nous retrouverons déjà demain afin de faire la route ensemble pour nous rendre au tournage de leur premier clip. Je m'en réjouis.

Je souffle un bon coup en marchant et m'allume une clope. Le plus dur est passé : la première rencontre et surtout, le mieux : je suis officiellement engagée.

Bon sang... j'ai le job !

En dehors de Tristan qui est resté passif, les autres mecs me paraissent sympas, nous devrions bien nous entendre.

Mon esprit bouillonne déjà d'idées pour leur créer une identité visuelle du tonnerre. En plus, j'adore leur musique, ils sont vraiment bons.

Il ne me faut qu'une dizaine de minutes de route pour retrouver mon studio, situé au premier étage d'un petit immeuble. L'odeur de mon chez-moi me parvient : un mélange de bois et de vanille. J'accroche ma veste en jean au porte-manteau avant de faire voler mes habits pour me libérer de mon soutien-gorge.

En tenue confortable, je m'installe sur mon canapé transformé en lit. J'habite dans ce petit logement depuis neuf mois. C'est mon premier chez moi, mon cocon, avec une immense fenêtre qui offre une belle vue sur les Dents du Midi et un minuscule balcon inutile. La journée, je suis beaucoup en extérieur et le soir, je bosse sur mon ordinateur, donc je n'ai pas besoin de plus.

Lunettes sur le pif, je me mets au travail et les heures défilent sans que je ne m'en rende compte.


Piercing sous la lèvre inférieure

va

90

Les 26 cantons suisses sont les États fédérés de la Confédération suisse

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