18. Le zombie le plus héroïque de l'Angleterre
Elizabeth Bennet courait, son cœur menaçant à chaque instant de sortir de sa cage thoracique. Elle haletait, soufflait, peu habituée à la course. Mais le médaillon qui semblait palpiter de façon malsaine dans sa main était une excellente raison pour continuer à dévaler les escaliers du château de Margaret. Nicolas était derrière elle, essayant tant bien que mal de suivre son rythme. Mais le zombie n'avait manifestement jamais couru de sa vie et soufflait comme un bœuf, essoufflé.
Il continuait cependant. Il devait protéger Miss Lizzie.
Les escaliers s'enchaînèrent, descendant toujours plus bas jusqu'aux tréfonds du repaire maléfique. Le volcan s'était brusquement réveillé, pourquoi ? Ils ne le savaient pas, et grondait désormais, sourdement menaçant. Lizzie était sur ses gardes, s'attendant à croiser le fer avec une horde de zombies à chaque tournant. Margaret avait mille tours dans son sac et était capable de leur envoyer son armée tout en se battant contre Darcy.
Darcy...
Son cœur se serra et elle manqua une marche, se rattrapant in extremis à la rambarde. Il était pris, fiancé à une autre. Elle l'avait elle-même dit. Et même si elle savait qu'il n'accepterait pas le marché de Margaret, la demoiselle craignait un instant de folie. Après tout, qui pouvait savoir ce que le colonel souhaitait vraiment ? Il était le soldat le plus connu, aimé et respecté du pays. Mais qu'était-ce que l'estime quand on avait le pouvoir ?
Et il était fiancé... marié ou presque.
— Miss Lizzie attention ! L'alerta Nicolas.
Elle manqua sa main et glissa sur une marche humide, dévalant le reste de l'escalier. Le sol terreux des souterrains la réceptionna et elle gémit de douleur, courbaturée. Il lui semblait que la douleur éclatait dans chaque pore de sa peau.
— Miss Lizzie ! Lizzie venez ! Le médaillon ! Venez Lizzie !
Elle se releva, secouant la tête. Ce n'était pas le moment de flancher. Nicolas avait besoin d'elle. L'Angleterre avait besoin d'elle. Et Darcy avait confiance en elle.
Ils se remirent à courir, tournant tantôt sur leur gauche, tantôt sur leur droite. Nicolas montrait la direction, son instinct de zombie servait encore une fois. Lizzie loua une fois de plus cet allié inestimable. Sans lui, ils seraient morts vingt fois.
— J'espère que le colonel s'en tirera avec la sorcière ! S'écria-t-il sans se retourner.
— S'il la retient suffisamment longtemps, elle ne sera plus invincible et il pourra enfin la neutraliser ! Cria Lizzie le plus fort qu'elle put.
Leurs voix résonnèrent, se fracassant contre les parois du souterrain. Certaines armures avaient été disposées là et Lizzie frissonnait à l'idée qu'elles puissent s'animer sur l'ordre de Margaret.
— Là Miss Lizzie ! Là ! Hurla Nicolas, fou de joie.
Au bout de son doigt, un trou béant se dessinait, le souterrain s'achevait ici. La température grimpait inexorablement, la lave grondait sous leurs pieds. Le médaillon tremblait dans sa main, comme s'il sentait sa fin proche. Elle grogna et resserra ses doigts dessus. Il n'échapperait pas à son sort.
— Allons-y !
Ils s'avancèrent jusqu'à ce que seulement trois pas les séparent du gouffre et Lizzie leva le bras, le médaillon dans son poing serré. Il était temps.
— Lizzie !
Oh non. Elle connaissait cette voix. Elle ferma les yeux, pria pour qu'elle rêve et se retourna lentement. Mais non. Henry Greenwell était bien derrière elle, la contemplant comme si une deuxième tête lui était poussée.
— Ne faites pas ça, dit-il avec soin, les mains à moitié levées pour anticiper tout geste brusque.
Il avait posé son fusil contre le mur, à côté de lui, suffisamment loin pour qu'il ne puisse pas l'attraper facilement. Il la dévorait des yeux, comme halluciné.
— Ne serait-ce pas mon ex-fiancé ?
Le ton glacial le fit se figer sur place et il se rembrunit.
— Elizabeth, je comprends que vous soyez fâchée mais...
— Me prendre pour une gourde déclenche en effet ma fureur Greenwell. Souvent et même toujours.
— Je ne vous ai jamais sous-estimée. Je n'avais simplement pas le droit de vous dire la vérité.
— Ne l'écoutez pas Miss Lizzie, chuchota Nicolas, frissonnant. Jetez le médaillon. Maintenant.
— Qui est-ce ?
Le ton était devenu dédaigneux et Nicolas tressaillit. Son statut l'exposait toujours au pire et il en souffrait à chaque fois.
— Mon ami. Et la sorcière là-haut ? Votre maîtresse ?
— Seriez-vous jalouse ? Tenta Henry, pitoyablement.
— J'aimerais donner la bonne identité lorsque je lui annoncerai votre mort, siffla la jeune fille.
Greenwell se rembrunit et fit sauter son épée hors de son fourreau. Elle en fit de même et jeta le médaillon à Nicolas qui manqua le faire tomber.
— Dans la lave Nico. Tout de suite.
Mais Henry attaqua et le zombie ne put qu'assister au duel, impuissant. Il était comme paralysé. Ce Greenwell l'avait toujours terrorisé, moins que Margaret, plus que Darcy.
Les passes s'enchaînèrent, les lames se heurtèrent dans un crissement d'acier et Lizzie serra les dents, suant à grosses gouttes. Il était doué, exceptionnellement habile à l'épée, contrairement à ce qu'elle avait cru. Et la chaleur était infernale ici.
— Renoncez Lizzie ! Pour l'amour du ciel, rendez-vous ! L'adjura Henry.
— Jamais ! Plutôt mourir.
— Lizzie... je vous aime réellement ! Margaret m'avait promis de vous laisser vivante afin que vous m'épousiez. Ne repoussez pas cette chance !
Elle l'observa, interloquée. Il était sérieux, pensait réellement ce qu'il disait. Il croyait qu'elle l'aimait, qu'elle voulait l'épouser.
Qu'il aille rôtir en enfer.
— Nicolas ! Le médaillon !
Le mort-vivant se secoua, se rapprocha et éleva le médaillon au-dessus du feu embrasé.
— Non !! Beugla Greenwell.
Il bouscula Lizzie et se rua sur Nicolas qui trébucha. Le médaillon resta dans sa main, difficilement, et Henry roua de coups son ennemi, frappant au visage sans se soucier de la chair morte. Nicolas tenta de se défendre, de rendre les coups, en vain. Il gémit et sombra peu à peu.
— Arrête espèce de monstre !!
Henry reçut une Lizzie folle de rage sur lui qui griffa, gifla, frappa avec acharnement, comme possédée. Il délaissa le zombie et se retourna, envoyant rouler la jeune fille quelques mètres plus loin, au bord du précipice.
— Tu devais m'épouser ! Mugit-il, blessé au plus profond de son être. Nous devions nous aimer, avoir des enfants ! J'étais sincère !
— Je ne... pourrais jamais... t'ai... t'aimer, grogna-t-elle en tentant de respirer. Tu es méprisable Henry Greenwell et je ne voudrais pas de toi même si tu étais le dernier homme sur terre.
Derrière l'Anglais, Nicolas s'accroupit lentement, le visage en sang, ébranlé. Le médaillon dans sa main.
— Pourquoi ? Pourquoi ?! Dis-moi ce qui nous empêchait d'être ensemble !
— D...Darcy.
Et Lizzie savoura la haine qui s'inscrivit sur le visage de son fiancé. Les deux hommes se détestaient, éternellement, et elle avait choisi son camp.
— Le colonel ? Alors tu étais son amante depuis tout ce temps ?! Je m'en doutais à l'auberge. Vous vous dévoriez du regard !
— Comme quoi, tu es moins benêt qu'il ne le disait, marmonna Lizzie en se relevant pour lui faire face.
Henry s'empourpra et elle eut conscience de jouer avec le feu. Mais il fallait attirer son attention. Nicolas se traînait péniblement vers le précipice, le médaillon raclant la terre. Encore quelques secondes...
— Alors tu ne m'aimes pas ? Gronda-t-il. Tu es à Darcy ?
— Je... n'appartiens à personne. Mais je lui ai donné mon cœur oui.
— Alors il ne t'aura jamais, siffla Greenwell, un air bestial déformant ses traits. Il ne sera pas le premier.
Elle ne comprit pas tout de suite et le regarda arriver avec méfiance. Puis elle aperçut la lueur folle dans ses yeux et hurla, de rage comme de peur.
Jamais ! Tout mais pas ça !
— Va-t'en ! Va-t'en espèce de porc ! Hurla-t-elle. William !
Il était déjà sur elle, cherchant sa bouche, le bouton de son pantalon. Il était hors de lui-même, n'écoutant que sa folie amoureuse. Il la voulait, elle serait sa chose.
— Darcy ! Hurla-t-elle à s'en déchirer la gorge, prise de terreur, ses ongles griffant la peau de Greenwell.
— Eh toi ! Henry Greenwell regarde ! Et apprécie le moment !
Ce dernier se redressa brusquement et elle s'échappa du mieux qu'elle put, se traînant à quelques pas de lui, les yeux rivés vers la sortie. Darcy viendrait, il l'avait entendue.
Nicolas prit le temps de vérifier que Lizzie était intacte puis reporta son regard sur Greenwell qui le regardait, figé. Ses yeux ne quittaient pas le médaillon qui s'agitait, comme demandant de l'aide.
— Profite, siffla Nicolas. Et savoure ta déchéance.
Le médaillon glissa peu à peu de sa main et Henry mugit, la main tendue vers son ennemi qui ne le quittait pas des yeux.
— Ceci, c'est pour avoir détruit ma famille, fait de moi ce que je suis, un monstre rejeté de tous et manipulé par une folle. Pour avoir menti à Miss Lizzie et voulu la violenter.
Le médaillon tomba et se fracassa quelques mètres plus bas sur la lave qui l'engloutit peu à peu. Une odeur âcre s'éleva aussitôt et la lave bouillonna de plus belle. Une épaisse fumée noire monta jusqu'à eux, entourant le jeune zombie d'une aura sombre. Nicolas contemplait son ennemi, le triomphe aux lèvres.
— Pour avoir choisi le camp de la facilité et de la traîtrise.
Henry se redressa lentement, l'air mauvais. Derrière lui, Lizzie cherchait des yeux son épée. Mais rien. Elle semblait avoir disparu.
— Tu aimes les grandes phrases ? Siffla Greenwell en faisant deux pas sur sa gauche. Tu vas être servi.
Nicolas comprit trop tard ce qu'il voulait faire. Henry s'empara de son fusil et tira.
Deux, trois, cinq coups.
— Nooooooooooooooooon !!
Le temps s'interrompit.
Nicolas écarta les bras sous l'impact.
Touché en plein cœur.
De sa poitrine, le sang coula faiblement. Mortellement.
Henry abaissa lentement son arme, un air sauvage sur le visage.
— Va crever en enfer fils du diable, siffla-t-il de nouveau.
Nicolas releva lentement les yeux, le visage paisible. Les bras toujours écartés, il vacilla, puis s'effondra. Inanimé.
— Noooon ! Nicolas ! Nicolas !
Lizzie se rua vers lui, tomba à genoux à ses côtés et tenta de le ranimer, le poussant, martelant sa poitrine de coups de poing, ses mains se couvrant du sang de son camarade.
— Nicolas ! Nicolas ne meurs pas ! Pitié reste là !
— Venez Lizzie. Il faut partir.
Elle releva violemment la tête. Il était là, sa main tendue vers elle. Il avait appuyé sur la gâchette, avait tué son ami.
Elle se redressa, l'attrapa par la veste et le retourna brusquement, le regardant droit dans les yeux pour murmurer haineusement :
— Tu m'as volé mon ami. Meurs à ton tour et ne reviens jamais ! Jamais Greenwell !!
Elle le poussa et il trébucha, hagard. La pierre s'effondra sous ses pieds et sa main tenta désespérément de se raccrocher à quelque chose. En vain. Il tomba, tomba, les yeux écarquillés d'horreur.
La lave l'accueillit et se referma sur lui, affamée.
Lizzie regarda la matière enflammée tout dévorer sur son passage et courut s'agenouiller aux côtés de Nicolas, les larmes roulant le long de ses joues.
Elle ne savait plus ce qu'elle disait dans son chagrin, suppliait, tempêtait, promettait.
— Nicolas Nicolas... reviens Nicolas !!
— Lizzie !
Elle se redressa. Darcy était là, essoufflé d'avoir descendu aussi vite les escaliers. Son regard embrassa d'un seul coup d'œil la scène et il se rua à ses côtés, trébuchant en tombant à côté du corps inerte.
— Nicolas ! Nicolas mon vieux ! Réponds-moi !
Lizzie hoqueta, les sanglots déchirant sa poitrine. Le colonel resta assommé par la nouvelle puis l'attira vers lui, la prit dans ses bras et posa sa tête sur la sienne, sa main caressant son dos au mépris des convenances.
— Miss... Miss Lizzie...
Elle se retourna soudain. Nicolas la regardait, souriant paisiblement. Le sang coulait désormais à flots.
— Nicolas ! Nicolas tu m'entends ?
— Nicolas, intervint Darcy, que ressentez-vous ?
Le jeune zombie leva les yeux vers la voûte et murmura rêveusement :
— Rien... je ne vois... qu'une lumière, je suis au... chaud. Colonel... vous croyez que j'irai au paradis ?
Lizzie pleura, son poing sur sa bouche pour étouffer ses gémissements, et Darcy hocha gravement la tête.
— Oui. Oui Nicolas, vous irez au paradis.
— J'en suis... j'en suis heureux. Voyez-vous... ça me faisait... faisait peur. Je suis un zombie après tout.
— Le meilleur zombie que j'ai jamais rencontré, chuchota Lizzie dans un sanglot.
Elle attrapa sa main et la serra fort, si fort. Nicolas sourit de nouveau. Il voulait les rassurer, leur dire que tout allait bien. Il n'avait pas mal, plus mal. Tout allait bien.
— Tout va bien. Tout va... bien, il ne faut pas pleurer.
Darcy inspecta rapidement les blessures du mort-vivant. Les balles avaient perforé le cœur, un cœur qui n'aurait pas dû fonctionner. Un cœur qui était censé être mort.
Les regards de Darcy et Elizabeth s'achoppèrent et elle hocha la tête. Elle avait compris.
Et sa main serra plus fort encore celle de son ami.
— Dites... dites-moi s'il vous plaît, reprit Nicolas alors qu'un sifflement aigu déchirait sa poitrine. Répondez à ma question... s'il vous plaît.
— Tout ce que vous voulez Nicolas, assura Darcy en prenant son autre main.
— Êtes-vous... êtes-vous fiancés ?
Le regard de Darcy s'éclaira d'une douce tristesse, Lizzie pleura de plus belle, et le colonel répondit doucement :
— Oui Nicolas. Oui, nous sommes fiancés.
Le visage du zombie s'illumina et il chuchota dans un ultime effort :
— Je... je l'savais.
Ses yeux pétillèrent une dernière fois en se posant sur Lizzie, puis la tête retomba sur le sol, lourde, bien trop lourde pour cette pauvre nuque.
Darcy ferma les yeux et enlaça de nouveau Lizzie qui sanglotait à s'en déchirer la voix.
Nicolas, le zombie le plus héroïque de l'Angleterre, venait de rendre son dernier souffle.
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