1. Des zombies en Angleterre


C'est une vérité universellement admise qu'un zombie possédant quelque cervelle soit désireux d'en posséder davantage.

Cette phrase, combien de fois Elizabeth Bennet l'avait-elle entendue ? Souvent. Très souvent. C'était d'ailleurs son leitmotiv. Son père lui avait seriné cette phrase son enfance durant, quand elle peinait pendant son entraînement.
Et ses efforts avaient payé : aujourd'hui, les zombies savaient qu'il valait mieux éviter les alentours de la maison Bennet. Les cinq filles avaient la gâchette facile, le père l'expérience et la mère... une envie pressante de marier ses filles. À des partis honorables. Riches. Et bien vus par la société anglaise.

En réalité, à Longbourn, les jeunes hommes élégants et fortunés ne couraient pas les rues. Bien au contraire. Les bals de province étaient surtout l'occasion pour les mères de famille de se lamenter sur leur sort, coincées entre des maris souffrant de la goutte et des filles vouées au célibat ou aux mariages douteux.

En attendant, les filles Bennet étaient particulièrement bien formées à l'attaque de zombies, et il faisait bon vivre à Longbourn, petit village anglais. Les morts-vivants étaient rares, les infections relativement peu nombreuses, et la vie suivait son cours, entrecoupée de nouvelles de Londres, toutes plus inquiétantes les unes que les autres. La capitale anglaise, infestée de zombies, avait été ceinturée d'une haute muraille pour tenter de les empêcher de partir vers le Sud, muraille perpétuellement gardée par plusieurs régiments de soldats anglais. Aucune parcelle n'était négligée et le commandement était fréquemment assuré par le neveu de la reine, un certain colonel William Darcy. Un génie, assuraient certains. Un brillant stratège, nuançaient d'autres.

— Comment est apparu le premier zombie, papa ? Demanda brusquement l'aînée des filles.

Son père leva lentement les yeux du journal, ses lunettes lui donnant l'air d'un vieil hibou acariâtre.

— Je n'en sais fichtre rien, Jane. Selon la légende, une expérience qui aurait mal tourné. D'autres affirment que ce sont les Français qui ont développé ce mystérieux phénomène, suite à leurs... conquêtes féminines...conséquentes.

Elizabeth pouffa et s'attira le regard réprobateur de sa mère. Docile, elle baissa les yeux et fourbit de plus belle son arme.

— Mais, reprit Jane, est-il impossible d'anéantir définitivement ce mal ?

— Je ne le pense pas, ma chère enfant. Les conseillers de la reine travaillent d'arrache-pied à la question, et ce depuis le premier cas, mais il faut reconnaître qu'ils n'avancent que très peu.

— Dieu nous délivre un jour de ce fléau, s'écria Mme Bennet en joignant pieusement les mains.

Elizabeth leva les yeux au ciel : sa mère avait toujours été excessive.

William Darcy se battait comme un beau diable sur les remparts de Londres. Chaque nouvelle attaque de zombie était systématiquement repoussée et ceux qui s'approchaient trop près du soldat dévalaient aussitôt la pente, la tête en moins.
Armé d'une épée, d'un pistolet et d'une planche de bois, le colonel anglais décapitait chaque mort-vivant ayant eu l'audace et le malheur de passer près de lui.

Darcy repoussa une mèche collée par la sueur et replongea à corps perdu dans la bataille. En cet instant, il n'avait plus rien du gentleman que les mères de famille convoitaient pour leurs filles chéries : au contraire, sa tenue de soldat débraillée et déchirée aurait fait fuir la plus entreprenante des filles à marier.

À ses côtés, de jeunes recrues anglaises se battaient, moins efficacement, plus timidement. Les zombies sentirent probablement cette différence et se ruèrent sur le canonnier qui disparut très vite dans la foule de morts-vivants, ses cris comme dernière trace de son humanité. Il ressurgit bientôt, la face dévorée par le virus, et attaqua ses anciens camarades qui restèrent paralysés devant leur ami transformé en monstre avide de chair fraîche.

— Pour l'amour du ciel ! Rugit Darcy en lui explosant la cervelle d'une balle en plein front. Qui m'a fichu ces empotés pareils ?!

Il poursuivit méthodiquement son combat et repoussa de plus belle les zombies tandis que ses hommes, galvanisés par son audace, osaient tuer plus férocement ces ennemis surnaturels.
Darcy se battit comme un beau diable jusqu'à l'aube. Devant un afflux particulièrement important de zombies, il sauta au milieu d'eux pour mieux les atteindre, écartant d'un coup de pied et d'épaule les mâchoires qui s'avançaient déjà vers lui, affamées. Il créa ainsi un large cercle autour de lui, rempli uniquement de corps de zombies, et remonta sur la muraille londonienne à temps pour échapper à un zombie énorme qui chargeait tel un taureau pour le tuer.
Darcy essuya de plus belle la sueur de son front et ordonna d'un geste au nouveau canonnier d'agir pour faire reculer l'ennemi. Ce faisant, il leva les yeux et sourit imperceptiblement au soleil qui se levait à peine. Une nouvelle journée, de nouvelles batailles. De nouvelles victoires, avec un peu de chance.

— Darcy !

Il se retourna et sauta au bas du créneau de la muraille pour rejoindre le capitaine Fowerth. Ce dernier s'avançait vers lui d'un pas pressé, une missive cachetée dans la main.

— La reine vous convoque dans son palais de toute urgence.

— Bien, acquiesça le colonel anglais en rangeant son épée. J'y vais de ce pas.

Il marcha vivement parmi les tentes militaires abîmées et remplies de soldats affairés. Les attaques de zombies pour sortir de Londres, incessantes, avaient fini par être acceptées par l'ensemble des nouvelles recrues qui avait désormais appris à vivre avec cette menace de mort imminente. Les marchands avaient trouvé le moyen de tirer les bénéfices de la situation et les armuriers croulaient sous les richesses. La vie continuait comme si de rien n'était ou presque, et si Darcy pouvait voir les armes qui régnaient sur le campement entier, les visages affichaient une tranquillité relative, un bien-être réel, une quiétude prudente.

Aller jusqu'à Rosings Park lui prit une bonne heure, sous la pluie. Méfiant, il regarda fréquemment autour de lui pour vérifier sa solitude : les zombies pullulaient avec l'humidité. Mais sa prudence était exagérée et il arriva devant le palais de la reine sans encombre.
Il monta rapidement les grandes marches et, avec l'assurance de celui qui connaît les lieux, se dirigea vers la salle du trône. La reine s'y trouvait déjà en compagnie de ses plus fidèles conseillers, véritables rapaces vêtus de noir, qu'elle n'hésita pourtant pas à congédier d'un geste sec dès qu'elle l'aperçut.

Le jeune colonel resta immobile jusqu'à ce que les portes se referment sur les redingotes noires et laissa la reine s'approcher de lui. La cape rouge flottait autour de ses jambes sveltes et son bandeau violet -qui cachait son œil devenu aveugle- faisait ressortir la pâleur de son visage fin. Elle tourna lentement autour de lui avant de s'écrier aussi chaleureusement que sa voix sèche le permettait :

— Mon cher neveu ! Quelles nouvelles de la muraille ? Nos défenses tiennent-elles toujours bon ?

Darcy inclina la tête en silence, peu loquace. Cela ne dérangea pourtant pas la reine qui poursuivit son discours chaleureux sur les nombreuses qualités que le jeune homme avait, sur la difficulté de ravitailler l'armée, sur les ambitions qui se battaient et luttaient communément contre son pouvoir, avant de baisser brusquement la voix. Aussitôt, Darcy fut plus attentif : les choses les plus importantes se disaient toujours à voix basse.

— Cher, très cher neveu, l'heure est grave, commença la reine, le ton emphatique.

Il haussa un sourcil : elle l'était depuis le premier zombie découvert.

— Margaret a décidé d'envoyer de nouvelles hordes de zombies, plus fortes et plus résistantes, poursuivit la reine.

Le jeune homme se figea, son regard devenu noir d'encre en un tour de seconde. Les nouvelles n'étaient en effet guère réjouissantes.

— Quand ? demanda-t-il seulement.

— D'après ce que l'on sait, très bientôt. Son pouvoir devient plus puissant de jour en jour. Selon un espion, ce pouvoir grandit même en quelques heures.

— Où est cet espion ? demanda Darcy en jetant un coup d'œil soupçonneux aux lourds rideaux de pourpre.

— Mort dans ses geôles, répondit laconiquement Catherine. Apparemment, il a succombé à ses charmes et a tout révélé.

William Darcy plissa les yeux : encore un amateur trop épris des femmes.

— Darcy, mon neveu, il faut l'arrêter avant qu'elle ne fasse plus de dégâts.

Il s'inclina devant sa souveraine et marmonna en sortant :

— Décidément, la vieille chouette a la manie de me convoquer lors de mes rares permissions.

**********

Un cri strident s'éleva de la maison où résidaient les Bennet. Elizabeth et Jane accoururent le plus vite possible dans le salon, les armes à la main, prêtes à tirer.

— Maman ? Que se passe-t-il ? Commença Elizabeth en levant son sabre.

— Jane et Lizzie, mes chéries ! C'est une magnifique nouvelle. Un bal se déroule dans la demeure des amis de ton père. Mais écoutez bien, il y aura deux beaux et riches jeunes hommes qui se présenteront : un certain Charles Bingley et l'ami qui l'accompagne, qui n'est autre que le colonel William Darcy.

— Maman... Combien de fois vous ai-je dit, à vous comme à papa, que je ne voulais pas avoir un mariage sans affection ? Je choisirai celui que j'aimerai, point ! Souffla Lizzie.

— Un bal... Ce sera magnifique. Surtout en cette période, dit Jane avec des étoiles dans les yeux.

Elizabeth et sa mère se tournèrent vers Jane pour l'observer.

— Dans tous les cas, je veux que vous alliez vous préparer, nous devons y être pour demain, sept heures tapantes. Il n'y a donc pas de temps à perdre pour préparer vos robes ! Courez les essayer !

Jane et Elizabeth partirent en courant et en riant dans leur chambre pour se vêtir. Elles s'aidèrent mutuellement à s'habiller n'hésitant pas à essayer de mettre couteaux et poignards sous leurs robes au cas où il y aurait de mauvaises rencontres demain soir.

— Il parait que la beauté de Mr Bingley a fait tomber de nombreuses demoiselles sous son charme. Nombreuses sont celles qui ont tenté sans succès de le séduire, murmura Jane, pensive, pendant que sa sœur cadette resserrait son corset pour lui donner une taille sublime.

— En effet... Mais sans doute étaient-elles trop laides à son goût alors que toi Jane, tu le séduiras d'un simple regard. Tu peux en être assurée !

Jane rit doucement et se retourna pour observer Elizabeth.

— Peut-être feras-tu battre le cœur de ce cher Mr Darcy, Lizzie, lança-t-elle en prenant un oreiller pour frapper Elizabeth avec.

Celle-ci tomba sur le lit et se redressa sur les coudes, un sourire narquois aux lèvres. Elle observa sa sœur quelques instants avant de lui relancer l'oreiller. Elles s'amusèrent ainsi durant quelques secondes avant que leur mère ne crie pour les enjoindre de descendre pour le dîner.

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