V.

Ange marche sur le béton encore humide comme la veille, mais aujourd'hui elle a les pieds chaussés et le pas léger.

Elle est heureuse. Le feu en elle est encore là, mais elle sait qu'avec le temps la flamme s'atténuera. Et elle pourra goûter les délices de la vie. Alors elle est sans inquiétude.

En chemin elle sifflote, le soleil réchauffe ses joues roses. Arrivée près du petit banc en bois, un large sourire sur ses fines lèvres, elle se cache derrière un arbre et bondit en criant.

- DEBOUT MARMOTTE !

L'expression de joie sur son visage s'évanouit d'un coup pour laisser place à de l'incompréhension. Face à cette lettre, ce petit morceau de papier bien plié et coincé sous un pied du banc. Les sourcils froncés, elle se précipite dessus et l'attrape pour en connaître le contenu au plus vite.

Au fur et à mesure que les mots défilent, les larmes lui montent aux yeux.

Au fur et à mesure qu'elle lit, la force qui lui permettait de se tenir debout s'évapore. Elle se laisse choir sur le banc.

- Sol. Sol. Sol...

Une petite goutte d'eau vient mouiller la feuille. Puis une deuxième. Une troisième. Une dixième. C'est un torrent de larmes qui se déverse sur la feuille et fait baver l'encre. Les mots ne sont plus lisibles mais ça n'importe plus Ange, qui a déjà éloigné son regard de la lettre.

Elle sanglote fort, respire mal, s'étouffe un peu, crie comme un enfant en plein caprice auquel on a enlevé son jouet.

Ou peut être est-elle le jouet. Le jouet cassé dont on ne veut plus.

- SOL !

Elle appelle son nom des centaines de fois, croit à une blague de sa part, rit nerveusement. Elle hurle, se déchaîne, piétine, saute et retombe lourdement sur le banc.

Elle se relève et court sur le ponton, la tempête se lève dans sa tête, elle ôte son blouson pour le jeter rageusement au sol et se met à tourner. Elle tourne sur elle-même, comme ses pensées dans son esprit. Ses pieds ne touchent presque plus le pont, elle pourrait bien s'envoler. Elle lève la tête vers le ciel et appelle Sol encore une dernière fois, mais finit par se faire une raison. Il ne viendra pas. Il ne viendra plus.

Sol est parti. Il s'est comme envolé.

Parce qu''un vagabond ne reste jamais trop longtemps au même endroit, au risque de se faire jeter dehors ou bien de prendre racine. Je suis un homme des routes, je dois m'en aller, suivre mon chemin, continuer à écrire mon histoire et toi la tienne. J'espère malgré tout avoir remis rien qu'un peu de soleil sur tes jours heureux et je n'oublierai pas que nos vies se sont croisées,

Affectueusement,

Sol"

Sur le ponton, le soleil laisse place au brouillard qui se lève pour masquer le blouson difforme étalé par terre et le corps étendu à côté qui respire faiblement, fatigué, et qui ne vivra peut-être plus.

Fin

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top