IV.
- Alors moi, j'me suis dit que si j'me j'tais dans l'eau glacée ce s'rait le seul moyen d'éteindre le feu.
Sol peut lire à travers ses mots comme on voit à travers une vitre. Il voit toute la douleur, la solitude, la colère, il sent toute la violence contenue dans la petite boîte prête à exploser.
Alors il la prend dans ses bras, il la serre contre elle et lui promet qu'un jour, la tempête sera terminée. Qu'un jour, le feu s'en ira et que ce jour-là, elle pourra fleurir sa boîte, de l'intérieur comme de l'extérieur.
- Ange ?
- Ouais, Sol ?
- Ange, c'est pas ton vrai prénom... si ?
- Nan. Mais c'est celui là qu'est dans mon coeur.
Sol laisse échapper un rire discret et s'écarte un peu d'elle pour la regarder dans les yeux.
- Moi aussi, je suis une boîte avec un mauvais contenu. Ou plutôt un contenu auquel on aurait pas donné la bonne boîte. J'avais une boîte de femme, mais moi, à l'intérieur, je suis un homme, je l'ai tout de suite senti. Alors j'en ai parlé à mes parents, je leur ai demandé de m'aider à financer des opérations chirurgicales, et puis ils se sont fâchés, parce que je suis "un monstre", "contre nature", "notre petite fille à nous et pas un foutu travelo". Ils m'ont mis à la rue, comme on abandonnerait un chien au départ des vacances... Autant te dire que pour les opérations, j'ai dû me débrouiller tout seul.
L'atmosphère est lourde de souffrance, et Sol finit par y mettre un terme.
- Ange, rentre chez toi. Tes parents vont s'inquiéter et tu vas tomber malade.
- Mais Sol... mon chez-moi l'est ici, avec toi... bredouille la jeune fille, hésitante et l'air triste.
Sol, touché, lui prend la main et l'aide à se relever. Puis, lorsqu'il baisse le regard sur les pieds gelés de l'adolescente, il ôte ses grosses bottes de randonnée et les lui met aux pieds. Il réfléchit un instant et finit par enlever également son lourd blouson en cuir brun qu'il jette sur ses épaules. Il recule et la regarde, fier de lui.
- C'est parfait, parfait.
Il la serre dans ses bras une dernière fois, les larmes aux yeux, alors que la lune commence tout juste à disparaître pour laisser place au soleil.
Ange plante son regard dans les yeux du vagabond et lui fait prêter serment, l'air grave :
- Sol, je reviens demain. Promets moi d'être là.
Il répond aussitôt d'un ton solennel :
- Promis.
Elle sourit et lui dépose un baiser sur la joue puis s'éloigne sur la route, le pas léger.
Sol la regarde disparaître au tournant, séchant une petite larme qui menace de tomber. Il s'affale sur son banc, les bras derrière la tête et réfléchit aux deux doigts qu'il a croisés en faisant sa promesse.
Une centaine de mètres plus loin, Ange marche sereinement, un sourire flanqué sur le visage, fredonnant sa chanson préférée, emmitouflée dans le chaud blouson de cuir et les pieds nageant dans ses bottes.
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