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À huit heure tapantes Ten poussa la porte des vestiaires du gymnase. Avec lassitude il rejoignit Mark et Johnny sur le banc le plus éloigné. Ils étaient déjà changés et avaient le nez sur leurs téléphones, comme à leur habitude.

-Vous pourriez au moins faire l'effort de levez le nez quand j'arrive... Soupira Ten, nullement vexé pour autant.

-On s'est vu il y'a littéralement dix minutes, si tu mettais pas autant de temps à choisir ton chocolat chaud aussi, rétorqua Mark.

Il avait besoin de chocolat chaud avant de faire un effort physique, depuis qu'il était tout petit, une habitude que sa mère lui avait légué sans trop savoir pourquoi. Si le chocolat en question possédait une petite montagne de chantilly ce n'était pas négligeable non plus. Ten aimait dire que ça lui donnait un coup de fouet, ou de courage, supplémentaire. A vrai dire... ce n'était que de la gourmandise pure.
Très vite les vestiaires se remplirent, le silence fit place aux rires et aux blagues douteuses d'adolescents. Cependant il manquait encore la moitié de la classe, majoritairement constituée de garçons et surtout de vampires. Mais il n'y avait rien d'étonnant à ce que ces derniers n'arrivent qu'une poignée de minutes avant le début du cours, après tout quand on possédait une vitesse surnaturelle pour absolument tout, il n'était pas nécessaire de se dépêcher ou d'arriver en avance.

-J'espère qu'on aura pas à courir, soupira Johnny, il fait trop chaud, j'ai la flemme.

- Qu'il fasse chaud ou froid t'aura toujours la flemme, argüa Mark, hilare.

L'intéressé le gratifia d'un joli nom d'oiseau en lui tapant dans le bras visiblement vexé de cette vérité flagrante. S'en suivis une querelle digne d'une cours de maternelle entre les deux amis, Ten ne prenait plus la peine de dire quoi que ce soit, c était inutile, dans deux secondes l'un d'eux remettra le sujet des jeux sur le tapis et tout sera oublié. A croire qu'ils possédaient la même faculté que les chats : une mémoire longue de cinq secondes. Laissant ses amis à leur pseudo dispute, il entreprit d'enlever son tee-shirt, question de pratique il était sorti de chez lui avec son bas de survêtement. Tournant le dos à ses camarades. Soudain il senti un courant d'air frais effleuré sa peau, le chair de poule recouvrit son corps et ses bras instantanément, encore munis de son vêtement, se plaquèrent contre son torse. Le bruit de la porte qui claque violemment contre le mur lui parvient une seconde plus tard suivit d'un autre bruit sourd plus proche. Lorsqu'il osa tourner la tête, la scène qui s'offrait à lui le pétrifia sur place.
Le garçon aux cheveux blancs qui l'avait bousculé hier à la sortie des classes, tenait par la gorge un elfe au regard apeuré et fuyant. La pression que la paume du vampire exercée était suffisamment puissante pour faire ressortir les veines du cou de la victime, lui coupant partiellement la respiration. L'elfe essayait tant bien que mal d'agripper le poignet de son assaillant, lutant pour se libérer, sans succès. Il ne faisait pas le poids contre un éternel encore moins face à un de cette envergure.
Les iris vert transparent que Ten avait trouvé si belles la vieille s'étaient désormais brouillées de rouge, luisant d'un éclat inquiétant. Le visage éthéré du vampire se déformait sous la colère, des muscles étaient tendus, prêts à fournir un effort plus conséquent pour définitivement mettre hors jeux sa proie. Pourtant ses canines restaient obstinément rétractées dans sa bouche signe flagrant d'un self-control assez impressionnant.
Il n'arrivait pas à détacher le regard de cette scène, un peu comme si la volonté de la créature exercée une emprise sur lui aussi, empêchant tout mouvements. Sans crier garde les pupilles rouges sang rencontrèrent les siennes, sans ciller, elles s'entrechoquèrent, s'enlaçant pour ne plus se lâcher.
Un froid glacial happa Ten, le bruit des vestiaires cessa d'un seul coup, ne restèrent que ces iris flamboyantes. Puis elles s'effacèrent peut à peut, laissant place à un salon spacieux, richement décoré. Vide, complètement vide et silencieux, froid, dépourvu de vie...une exposition de richesse, c'étaient les premières choses qui s'imposèrent à l'esprit de Ten. Puis, d'abord faiblement puis de plus en plus audible, il entendit des pleures, des cris. Un enfant. Le salon laissa place à une chambre à l'image de ce dernier, certes spacieuse, richement décorée mais tout autant froide. La seule exception étant qu'elle n'était pas vide et dieu seul sait à quel point il aurait souhaité qu'elle le soit. Devant lui se dérouler l'horreur, digne d'un mauvais film gore. Un enfant hurlait, pleurant toutes les larmes que son petit corps pouvait contenir, essayant tant bien que mal d'échapper aux coups puissants qu'un homme, a priori son père au vu de la ressemblance frappante, lui assénait. A côté d'eux se tenait une femme, stricte, vêtu d'une robe noire et d'un chignon serré, les bras croisés sur sa poitrine, elle regardait cet enfant se faire battre jusqu'au sang par son géniteur, son visage crispé de colère sous entendait qu'elle n'interviendrait pas. L'enfant au cheveux blanc semblait peut à peut perdre pied, ses cries devaient plus faibles à mesure que le cuir heurtait sa peau, créant de nouvelles plaies sanguinolentes. Ten voulait hurler, hurler à ce monstre d'arrêter, faire barrière de son corps, sauver ce petit être de ce supplice mais sa bouche restait immuablement close. Il n'était que le spectateur fantôme d'une scène atroce.

Soudain son attention fut détourné par une silhouette à ses côtés cachée dans l'ombre. Plus grand, plus vieux certes mais, pas de doute possible, le petit garçon regardait lui aussi ces images insoutenables. Poings crispés au point d'en faire saigner ses paumes. Les veines de son cou ressortait horriblement. Son regard restait fixé droit devant lui. C'était comme si Ten venait de se faire frapper de plein fouet par un poids lourd, cet adolescent avait le même âge que lui et cet enfant n'était autre que lui même des années auparavant. Un souvenir, Ten revivait le souvenir de ce garçon. La silhouette se tourna finalement vers lui, subitement éclairée par une lumière quelconque. L'effroi fini d'emporter Ten. Ces cheveux blancs si caractéristiques, cet enfant, ce vampire qui l'avait bousculé hier à la sortie des cours, celui là même qui tenait fermement un elfe par la gorge dans les vestiaires du gymnase quelques instants plus tôt, dans la réalité, ils ne faisaient qu'une seule et même personne. A l'instant même où les yeux verts transparents se posèrent sur lui, la pièce s'effaça, le bruit de la salle remplie d'adolescents lui fit l'effet d'une bombe dans la tête, la lumière artificielle des néons l'aveuglèrent durant quelques secondes.
Lorsque Ten reprit ses esprits, du moins assez pour avoir conscience de ce qui l'entourait, il se trouvait assis parterre, torse nu, la respiration erratique. Ses poumons étaient douloureux comme s'ils avaient cessés de fonctionner pendant de longues minutes. Personne ne faisait attention à lui, visiblement l'état de l'elfe semblait plus préoccupant, allongé plus loin, les secours auprès de lui.
Ten déglutit péniblement sa gorge le faisait aussi souffrir, il se releva tant bien que mal. Une fois debout il osa relever la tête, une erreur selon lui. Irrémédiablement son cou pivota vers l'endroit où le vampire au cheveux blanc avait tenu prisonnier l'elfe contre le mur. L'éternel était toujours au même endroit seulement la situation avait changé. Un professeur essayait désespérément de lui faire la leçon sur ce comportement « inadmissible » pour une créature de son rang mais l'interlocuteur, bras ballants, fixait un point précis devant lui et ne prêtait aucune attention au petit homme qui s'épuisait à le sermonner. Ce point précis n'était autre que Ten. Ces iris transparentes le scanner de haut en bas. Le jeune homme ne douta pas une seule seconde que si lui avait pu le voir, l'inverse ne faisait aucun doute non plus. Le vampire savait, il savait ce que Ten venait de voir.

A la vitesse de l'éclair Ten enfila sa tenu de sport et sorti des vestiaires, bousculant au passage secouristes et camarades. De l'air, il lui fallait de l'air. Maintenant. Il n'arrivait plus à penser correctement, son cerveau refusait tout en boucle, le mode pilot automatique prenait le relais. Avant qu'il n'atteigne la sorti un sons lui était parvenu à la dérober « Jeno ». Ces prunelles transparentes avaient désormais un prénom.
Lorsqu'il osa repousser les portes du gymnase une vingtaine de minutes plus tard tout était redevenu à la normale, aucun incident ne s'était produit. L'histoire serait étouffée ni plus ni moins. Ses camarades effectuaient déjà des tours du terrain de basket en courant. Il rejoignit son professeur derrière les lignes blanches qui délimitaient les différents terrains.

- Je m'excuse du retard, je suis sorti prendre l'air, je ne me sentais pas bien... murmura Ten.

Le professeur l'examina d'un œil critique avant de lui ordonner de rejoindre les autres. Dans la masse il retrouva ses amis, toujours l'un avec l'autre. Aussitôt après l'avoir aperçut ils ralentirent l'allure. Mark se rapprocha et posa une main sur son épaule, inquiet.

-Ça va ? C'était bizarre tout à l'heure et tu as disparu comme une vraie tornade...

-Ça va... je suppose ? Menti-il, a vrai dire il ne savait pas comment se sentir et surtout comment réagir après tout ça.

Ses amis n'insistèrent pas, le visage blanc, digne d'un cadavre était suffisamment flagrant pour comprendre que le jeune homme avait besoin de temps. Il leur diraient quand il sera prêt. Johnny donna un coup de coude à Mark, qui rétorqua par un hochement de tête. Ils se connaissaient depuis des années, ils n'avaient plus besoin de parler pour se comprendre. L'indicative de Johnny était claire « on n'insiste pas mais on garde un œil sur lui ». Ça ne manqua pas, Ten faillit tomber plusieurs fois, rattraper juste à temps par l'un ou l'autre de ses compatriotes. Les images du petit garçon couvert de son propre sang ne voulaient quitter son esprit, son estomac se souleva à plusieurs reprises.
Après une dizaine de tours de terrain, le professeur leur demandèrent de se rassembler devant lui pour annoncer leur activité de jours. Elle tomba comme une vraie sentence sur les épaules déjà fragiles du jeune homme : balle au prisonnier. Un jeu d'enfant...
Rendu plus violent par les habilités et la force propre à chaque créatures. Bien évidemment ils étaient divisés en deux équipes, les rangs les plus élevés d'un côté, le bas de la société de l'autre.

Par miracle Ten évita toutes les balles, se sentant comme une souris qui échappaient aux griffes d'un groupe de chats près à la dévorer à la moindre occasion. Il était épuisé, son corps menacé de s'effondrer a tout moment. Sa précédente expérience non voulu lui avait couté énormément d'énergie sans qu'il ne s'en aperçoive vraiment. Mais maintenant les conséquences étaient là, à un mauvais moment. Si par malheur une des balles venait à le toucher il ne donnait pas cher de sa peau tant leurs vitesses étaient terrifiantes. Ils n'étaient plus que deux de leur côté tandis que l'équipe adverse était complète.
Soudain il eu une absence et quand ses yeux se reconnectèrent avec la réalité, elle le frappa. Une des balles oranges se précipiter vers lui, la vitesse était affolante, l'impacte serait affreusement douloureux. Impuissant il ferma les yeux attendant que la balle percute son corps, se préparant au pire.
Seulement rien ne se passa, un hoquet de stupeur secoua ses camarades. Ten se risqua à ouvrir un œil. Il ne vit qu'un dos massif doté d'un tee-shirt débardeur gris. La main droite avait arrêté la course du ballon, la main gauche était passé dans son dos appuyée contre la poitrine de son protégé, s'assurant que l'humain derrière lui était en sécurité,le maintenant debout par la même occasion.

Le dénommé Jeno, craint de tous ses camarades, venait de se mettre en travers du chemin d'une balle lancé par un de ses congénères dans le but pur et simple de protéger un vulgaire humain. Humain qui n était autre que Ten. Le vampire gronda si puissamment que tous firent un pas en arrière, même le professeur. Aussi vite qu'elle était arrivée au creux de sa paume, la balle orange fit le chemin inverse, traversa l'équipe adverse sans toucher personne pour finir sa course dans le mur où elle resta bloquée, l'onde de choc qu'elle causa fît trembler l'ensemble du bâtiment pourtant immense. Si Jeno l'aurait voulu, il aurait pu tuer le lanceur originel avec seulement un dixième de cette force, l'idée pétrifia Ten.

Finalement le vampire le lâcha et sans se retourner retourna dans son camp.

-Va à l'infirmerie, si tu continu tu vas t'effondrer.

Ce n'était pas un ordre, Ten ne le perçu pas comme ça, certes la voix était sans appel, ne laissant aucune possibilité de répliquer quoi que ce soit mais il était persuadé que ce ton dur caché autre chose. Peut-être est-ce dû à cette vision dans les vestiaires ? Il ne savait pas et pour l'instant il n avait pas envi de savoir. Son corps réclamait du repos, Jeno n'avait pas tort, son point de rupture était tout proche. Mark eu à peine le temps de passer son bras sous ses épaules pour le soutenir qu'il tomba à genoux, Johnny accourut à son tour pour aider son ami. Le jeune homme céda aux ténèbres qui lui tendaient les bras et sombra dans l'inconscience. Hanté par les cris, les pleurs, le sang et deux iris vertes obstinément fixées sur lui.

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