Partie 5 - Chapitre 2 : (1/5) Quelques années plus tard, la planète Terre


LE GOUVERNEMENT DE LA PLANÈTE TERRE

À l'Assemblée mondiale, 2084


La centaine de membres de l'assemblée se tient debout en petits groupes de quatre ou sept alors qu'elle guette sur l'écran plat géant devant eux l'annonce du début de la nouvelle session. Certains semblent s'impatienter. Ils alternent anxieusement leur regard du moniteur vers leurs interlocuteurs. D'autres attendent ce moment avec calme et enthousiasme, les bras croisés sur la poitrine, un petit sourire de satisfaction suspendu aux lèvres, ils laissent échapper quelques éclats de rire entre deux mots échangés. 

Soudain, l'écran affiche le thème de la réunion lorsqu'une voix féminine les invite à reprendre place sur leur siège à l'intérieure de la grande salle. Un conférencier d'âge mûr  se trouve assis sur le podium, entouré de quatre autres personnes beaucoup plus jeunes que lui. Les participants pénètrent dans l'amphithéâtre dans une cacophonie de rires, de chuchotements et de sourdes exclamations. 

Les plus enthousiastes s'empressent de prendre place tandis que tous les autres semblent vouloir retarder ce moment le plus longtemps possible. Une fois installés, ils gesticulent en se penchant vers un collègue ou un autre en face ou derrière eux. Après plusieurs minutes, le silence se répand progressivement. L'homme d'âge mûr s'adresse à l'audience qui le dévisage avec grand intérêt. Sa voix est aussi grave que l'expression sur son visage :

« La nouvelle que je m'apprête à vous délivrer devra rester entre les quatre murs de l'enceinte mondiale pour des raisons évidentes. » Il prend sa respiration un instant avant de poursuivre : « Les colonies sur Mars ont envoyé un appel à l'aide il y a quelques semaines. Leur système ne parvient plus à maintenir la vie sur leur planète. Ils n'arrivent pas à l'expliquer, mais leur atmosphère et leur structure d'épuration ne produisent plus l'oxygène nécessaire à leur survie. »

Il se tait comme pour accorder à son audience le temps d'assimiler la gravité de ses mots. Le silence revient, pesant et inconfortable. Ce dernier s'alourdit au fur et à mesure que le conférencier reste assis sans rien dire, son regard sombre noyé dans celui de l'assemblée. Puis, il continue sèchement :

« Nous pouvons choisir de leur porter secours ou d'ignorer leur appel à l'aide. Personne ne nous en tiendra rigueur. Pas leurs quelques descendants restés sur Terre en tout cas ... » ajoute-t-il. Sa voix ne cache à peine le dédain sur la mine de son visage ridée.

Soudain, l'un des membres de l'assemblée se lève lentement de son siège.

« Nous ne pouvons pas les abandonner ainsi, » le ministre qui s'adresse à l'assemblée a du mal à contenir le désarroi dans sa voix de vieillard. Comme la plupart des personnes assistants à l'assemblée, il a la peau basanée. Sa chevelure châtain clair et sa peau légèrement brune au teint beaucoup plus claire que ses confrères plus jeunes n'indiquent rien sur ses origines.

« Ministre Leszczyński, nous vous rappelons que ce sont eux qui nous ont abandonné à la fin des années soixante lorsque la planète a perdu les trois-quarts de ses arbres et autres ressources naturelles, » commence un jeune homme en se levant. « C'est sans regret qu'ils nous ont laissé à notre sort parce que contrairement à nous autres, ils pouvaient s'offrir le luxe de s'exiler. »

« La planète n'a rien perdu, c'est nous, nous tous, qui l'avons dilapidée, » rétorque son interlocuteur.

« Erreur, » interrompt ce dernier en dressant le doigt au plafond, « Ce sont ces mêmes dirigeants de multinationales qui ont exploité jusqu'à épuisement les ressources de notre planète. Ce sont eux qui ont financé la recherche spatiale et ce ne sont qu'eux et leurs familles qui en ont bénéficié. Si aujourd'hui, à l'autre bout du système solaire, ils ont des problèmes, eh bien c'est leur problème, pas le nôtre ! »

L'assemblée applaudit. Leurs cris d'approbation s'élèvent dans la grande salle telle une envolée d'oiseux sauvages. Le vieil homme entend bien leur colère, et aussi dures que ces paroles puissent être, elles sont véridiques. L'exil des premières colonies a été vécu par le reste de la population de la planète terre comme une traîtrise ; un abandon. Les rats les plus gras quittaient le navire parce qu'il coulait à pic tandis que les moins fortunés étaient voués à leur sort. Le ministre se souvient encore comment les médias en parlaient ; il allait tout juste sur ses soixante-dix ans. « La roue tourne » disait souvent sa grand-mère. Elle avait raison.

« Nous parlons d'hommes, de femmes, d'enfants », se défend-il une fois que son audience s'est enfin calmée.

« Justement, nous n'avons ni les ressources ni la place, » s'écrie un autre membre.

« Ce sont des êtres-humains comme vous et moi, » poursuit le vieil homme désespéré.

« Ils ont voulu s'exiler sur une autre planète, ce ne sont plus des Terriens. Il leur faut demander asile, » s'exclame un autre.

« ...Et nous la leur refusons ! Qu'ils approchent de notre planète et nous saurons les recevoir ! » S'écrie une voix de femme dans l'assemblée qui se met à applaudir de plus belle. Le ministre s'écroule sur son siège sans un mot, écrasé par les clameurs de la foule. 


Alors que l'auditoire sorts de l'assemblée en petits groupes désordonnés, le Ministre Leszczyński reste assis à les observer tristement s'éloigner. Lorsqu'il se retrouve seul, il se masse les genoux et ferme les paupières. Il s'adosse à son siège avant de prendre de profondes respirations pendant quelques secondes. Puis, il réouvre doucement les yeux pour fixer droit devant lui, l'air pensif et inquiet. Il lance un long soupire, puis il baisse son regard sur sa montre téléphone.

« Appelle Nina Xi Huang, » lui dit-il.

L'appareil compose immédiatement le numéro de la sénatrice et sonne dans le vide plusieurs secondes jusqu'à ce que le ministre se décide à raccrocher. Enfin, le vieillard se lève pour quitter l'assemblée le pas lourd et las. 

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