Partie 4 - Chapitre 1 : (4/4) Présentation des protagonistes
MR. LE PRÉSIDENT
** Togo (Afrique), 2078 **
« Qui l'aurait cru ? Les damnées de la Terre sauvent les pays riches avec leurs vieux engins africains ? » questionne en langue mina le vieil homme avachi sur un divan en cuir. Sa tête bascule contre le dossier du grand siège dans une posture très inconfortable. Cette position donne à sa voix la même intonation qu'un gémissement. Il examine le plafond comme s'il lui avait adressé sa question.
Il inspire profondément, puis il se redressa pour tirer sur sa veste. Il est élégamment vêtu : chemise bleu ciel, costard noir, chaussures marron bien cirées. Il fixe intensément la jeune femme assise sur un fauteuil à ses côtés. Elle l'observe sans rien dire. Le regard du septuagénaire est intense et semble à la fois perdu dans les fins fonds de sa mémoire de jeune homme.
« Monsieur le président, » commence-t-elle calmement dans la même langue avant d'esquisser un sourire plein de compassion. « Vous me racontez votre histoire à l'identique aux mots près à chacune de nos séances. J'aimerais bien vous aider, mais vous devez m'en donner les moyens. »
Le vieillard sourit tendrement à la jeune femme comme à une enfant. Il cherche ses mots ; les mots qu'une enfant de son âge pourrait comprendre. Comment lui dire que tout ce qu'elle a jamais appris sur les humains n'est qu'un conte, un tissu de mensonge, un mirage. Il ne veut pas l'apeurer, juste l'avertir du danger qui les guette tous encore.
Il sait bien que les hommes n'ont toujours rien compris à leur existence et que par conséquent, la leçon devra être reprise une fois de plus tôt ou tard, bientôt. La vue du président se brouille. Elle est trop jeune, tout comme lui à ce moment-là.
Le président se masse le cou et chasse de petits coups de tête les larmes qui lui viennent aux yeux. Quelques minutes passent. Le silence emplit la grande pièce alors qu'Il se frotte lentement les mains en les dévisageant comme si elles ne les lui appartiennent pas.
« J'avais vingt-cinq ans, » commence-t-il en levant les yeux vers la jeune femme qui lui sourit toujours. Elle connaît cette histoire par cœur pour l'avoir entendue des centaines de fois de la bouche du président de son pays et dans les livres d'histoire aussi...
L'intelligence artificielle, la biotechnologie, et la robotique avaient transformé le monde avancé en petit paradis. Tout était sophistiqué, prévisible, rapide, beau et facile pour les chanceux résidents du paradis principalement. Les pandémies et catastrophes naturelles à succession avaient terrorisé la population mondiale quelques années avant ça. Ils étaient prêts à tout accepter pour vivre sur le reste du monde. Survivre peu importe le prix.
Il leur aura fallu moins de dix ans pour tout faire basculer d'un seul côté grâce à la technologie. Enfin, le monde riche était devenu maître incontesté mondial. Ils possédaient le contrôle de tout sur tous. Cela dura quelques années, puis ... les jouets des hommes prirent le dessus, mais pas tout-à-fait comme ils l'auraient imagé : une guerre entre les machines et les humains. Non, ils feraient beaucoup mieux que ces derniers : sophistiqué, prévisible, rapide, beau et facile, comme ils avaient été conçus pour tout faire.
Des pays et des continents entiers se retrouvèrent d'un jour à l'autre sous l'emprise totale d'un système intelligent, mi-biologique, mi-robot. Un système parfait.
Les seuls épargnés, les pays pauvres laissés aux portes du petit paradis des années plus tôt. Pour eux, il n'y avait jamais eu profusion d'intelligence artificielle, biotechnologie et robotique à la maison, au bureau, dans les écoles, les banques, les hôpitaux et autres lieux publics. Pour eux, tout avait toujours été : primitif, incertain, lent, laid et difficile. Ils attendirent d'abord longtemps s'imaginant que les résidents du petit paradis sortiraient de leur cage intelligente pour venir partager leurs butins.
Puis, les mois et les années ayant passés, ils finirent par comprendre qu'ils étaient belle-et-bien voués à leur propre sort ; leur seule intelligence. Alors, force de quoi, ils se réunirent en tout humilité. Ils se parlèrent longuement, comme ils ne l'avaient pas pu depuis plus de quatre siècles. Ils développèrent les outils et les infrastructures nécessaires à leur autonomie, basés sur des principes, des aspirations et des valeurs qui étaient les leurs. Ils n'attendraient plus, mains levées que des miettes leur tombent du haut du paradis.
Ils savaient que cette fois-ci, ces dernières ne tomberaient pas, tout là-haut, du petit paradis. Le système, qui avait nourrit jadis leur orgueil d'hommes tout en leur enlevant leur dignité humaine avait finalement décidé de les abandonner, sans comparaison ni remord.
En très peu de temps, les pays pauvres, ne l'étaient plus. L'échelle sur laquelle ont les avaient mesurés depuis des siècles n'existait plus. Avec la disparition des dieux du paradis avait suivi la disparition de l'enfer. Ils n'étaient plus pas assez de ci, ni trop de ça ; Ils étaient, tout simplement. Ensemble, ils avaient retrouvé fierté, confiance, et dignité sans avoir à les retirer à autrui. Ensemble, ils ne souhaitaient plus se battre, se mesurer les uns aux autres pour une place au paradis.
Mais, ils restaient malgré tout des individus avec la curiosité originelle de l'enfance. Alors, ils mirent leurs habits militaires et ils montèrent dans leurs vieux engins africains pour aller voir ce qui se passait là où un système artificielle intelligent, biologique et robotique tenait les grandes puissances du monde captives. Ils prirent quelques armes avec eux, au cas où. Ne savait-on jamais ? Ils choisirent d'aller voir le système intelligent en Europe puisque le continent était le plus proche du leur; idéal pour une fuite immédiate si nécessaire.
Ils arrivèrent dans une mégapole propre et ordonnée : quelques autobus allaient et venaient sur des routes quasi désertes. Les passagers étaient tous très âgés et semblaient être accompagnés d'hommes et de femmes aux regards étranges. Des animaux sauvages et d'élevage se promenaient librement profitant de la nature qui jouissait de tout l'espace laissé par les quelques immeubles plantés ici et là. Pas de ruines, pas de décombres, pas de cadavres gisant au sol, pas de signes de guerre ni de violence.
Au beau milieu de la ville, un immense parc avec une énorme piscine où des personnes d'âges très mûrs s'amusaient comme les enfants qu'ils avaient été il y a très longtemps. Certains étaient assis à des tables, d'autres sur des bancs. Leurs corps frêles et fripés se mouvaient doucement, mais sûrement. Leur sourire était grand et franc tandis que leur regard ne jugeait plus le monde.
À leur côté, tels des anges gardiens, des individus aux yeux étranges. Ils nous remarquèrent tout de suite avec nos uniformes colorés, nos visages jeunes et noirs, nos fusils pendants à l'épaule. Ils ne nous craignaient pas. Ils n'étaient pas étonnés, non plus. C'était comme s'ils nous attendaient.
« Je n'avais jamais vu de cyborgs de ma vie », continue le président en fixant le lointain. « Donc je n'ai pas tout de suite réalisé ce qu'ils étaient. Je parle de ceux aux yeux étranges bien sûr. Les autres étaient humains. Certains portaient des prothèses assez sophistiquées à leurs membres, mais ils l'étaient bien. Ils semblaient tellement heureux.
Cet endroit semblait si paisible et serein. Vraiment ! Alors, nous nous approchâmes d'une personne assise sur un banc pour lui demander où se trouvaient les autres : les hommes, les femmes, les enfants plus jeunes. Sans dire un mot, il pointa son vieux doigt fripé vers ce qui ressemblait à un grand stadium vitré. »
« Vous ne voulez pas voir ce qui s'y passe mes enfants, » dit-il d'un ton grave. « On peut les entendre parfois. Laissez-nous et retournez d'où vous venez. » Il s'arrêta un instant, puis il reprit calmement : « Regardez-nous ! Vous voyez bien de toute façon que c'est presque fini. »
Nous ne l'écoutâmes pas et nous commençâmes à nous diriger vers l'édifice. Personne n'essaya de nous en empêcher ni par la parole ni par la force. Le système intelligent avait bien appris la logique des humains du petit paradis.
Il connaissait leurs peurs et leurs désirs puisqu'il en était né. Il savait qu'il n'avait pas besoin d'inventer une arme quelconque très puissante pour les exterminer. Il suffisait de les confiner avec de maigres ressources dans un coin reclus du monde. Avec une vue imprenable sur tout ce dont ils n'avaient pas accès, ils s'entre-tueraient dans l'espoir de l'acquérir. Les plus faibles tomberaient les premiers, les plus forts deviendraient encore plus forts et achèveraient les autres jusqu'aux derniers. Mais ...
« Pourquoi épargner les vieux et pas les femmes et les enfants ? » interrompt la thérapeute à l'instant exacte où le président lui pose toujours cette question.
« Oui..., » soupire-t-il le souffle haletant. « Pourquoi ? » demande-t-il en haussant le ton pour tourner un regard interrogateur à son interlocutrice. Il a du mal à retenir l'agitation dans ses mains qu'il applique d'abord sur sa cuisse, ensuite sur le divan, puis sur le verre d'eau placé sur la table devant lui, et enfin sur son cœur qui bat beaucoup trop vite.
« Vous ne dîtes jamais ce que vous avez vu...parlez-moi de ce que vous avez vu à travers la vitre du stadium ... les hommes, les femmes, les enfants, » interroge la jeune femme alors qu'elle s'incline vers le président.
Le silence revient dans la pièce comme une ombre, lourde et pesante. Le septuagénaire s'avachit à nouveau sur le grand divan comme pour laisser tout son être s'engloutir dans la matière. Son nez pointé vers le plafond, la mémoire lui revient, mais toujours pas les mots, les mots qu'une enfant de son âge pourrait comprendre et pardonner.
Il les a regardés lorsqu'ils souffraient leur vulnérable condition de mortel par une grande vitre, parqués comme les animaux qu'ils abattaient à la chaîne avant de les manger en quantité. Peu de tout, beaucoup de rien. Des hommes, des femmes, des enfants qui hurlaient derrière le vitrage tandis que lui et ses camarades de l'autre côté, les contemplaient comme s'ils étaient de simples acteurs dans un film sur écran géant.
Il n'y avait aucun mal à observer tant que que nous restions de l'autre côté avec les cyborgs. Ces derniers les examinaient immobiles, leur visage paisible et imperturbable, leur regard sans vie et sans compassion pour ceux-là de l'autre côté, ces hommes, ces femmes et ces enfants.
Oui, moi-aussi, j'ai regardé ... pense le vieillard sans rien dire.
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