Partie 38 - Chapitre 8 : (2/4) L'intelligence
LA COLÈRE DE LA FEMME INTELLIGENTE
Jeremy se réveille en sursaut dans un lit et une pièce qu'il ne reconnaît pas. Il panique avant de se rappeler les évènements de la veille.
« La princesse a bien dormi ? » le taquine Stephan alors qu'il passe sa tête entre l'entrebâillement de la porte, déjà revêtu de son uniforme.
Le jeune homme bondit du lit sans répondre pour enfiler ses vêtements. Dans la précipitation de la veille, il n'a pas pensé à demander à son coéquipier de récupérer aussi un uniforme dans son casier. Que va-t'il encore se passer aujourd'hui ? Quel rôle va-t-il encore jouer ? Celui de simple figurant de sa propre destinée dans le film de héros qui le méprisent ?
Lorsque les deux jeunes gens débarque dans la cuisine, Nina les accueille avec un large sourire et une table bien garnie.
« Vous avez l'embarras du choix, mais il vaut mieux manger léger, » s'exclame-t-elle.
« Je n'ai pas très faim, » fait Jeremy embarrassé par la générosité de ses hôtes.
« Oh, mais moi non plus, sauf qu'il nous faut manger, » dit-elle calmement, puis elle saisit sa fourchette. « Avec ce qui nous attend, » ajoute-elle avant de prendre une bouchée de son omelette alors qu'elle invite le jeune homme à s'attabler avec un petit sourire et d'un geste de la main.
Elle soupire, puis elle sourit tendrement à Stephan et Jeremy attablés avant de replonger dans son assiette. Elle a toujours essayé de suivre le rythme effréné de la société et de ses enfants, mais depuis la mort de son mari il y a trois ans, elle n'a plus envie de courir après eux. Ce n'est pas tant l'effort que l'absurdité de la course folle qui la fatigue.
Elle avait la quarantaine lorsqu'elle a vu le monde se tourner sur la tête en riant à gorge déployée à la face des Hommes. À moins que les grands du début du siècle aient prétendu tout ce temps de ne pas le voir venir. Il y eut d'abord la succession de grandes catastrophes naturelles des années 2020 suivies de la guerre des pays riches, puis de la colonisation de ces derniers par leur intelligence artificielle.
L'humanité a été à jamais traumatisée par elle-même et ce dont elle était capable, soi-disant pour rendre une meilleure existence; sauver des vies humaines. Une fois que les grandes multinationales ont abandonné le reste des Terriens à leur sort en fuyant vers Mars, les humains ont accepté de rassembler toutes les connaissances, la science et les ressources qui lui restaient pour façonner la planète de manière plus durable pour tous.
Bien sûr, à l'instar des années 2020, le grand projet n'était en fait qu'une grosse arnaque, destinée à asservir la majorité de la population mondiale tout en permettant à une nouvelle élite d'émerger. Les êtres-humains n'ont jamais aspiré à vivre dans un monde plus durable, équilibré et plus juste, car cela impliquerait de renoncer à l'idée d'être séparés, uniques, spéciaux et supérieurs.
Nina place tout son espoir sur les jeunes, et plus particulièrement ceux des peuples ancêtres, car contrairement aux jeunes plus privilégiés, ils connaissent le prix à payer pour accomplir quoi que ce soit. Rien ne leur est dû, sauf peut-être l'échec et la fatalité. Pour eux, tout devient le fruit de résilience et de labeurs acharnés, mais aussi sources de gratitude et d'encouragement.
Surtout, ces jeunes connaissent les noms et les histoires de ceux qui ont déjà rencontré des obstacles similaires avant eux. Ils ont l'humilité d'admettre que sans ces solides racines enfouies à plusieurs mètres sous terre, ils n'auraient jamais été propulsés là où les rêves humains deviennent accessibles.
Chaque peuple a un arbre autour duquel se rassembler, avec des racines auxquelles se reposer, des branches auxquelles s'accrocher, et des feuilles et des fruits abondants à partager.
La soixantenaire se considère toujours membre du peuple ancêtre malgré la définition erronée que la société actuelle donne au terme. Dans sa jeunesse, les femmes comme elle, les femmes noires, avaient le même traitement que les femmes des peuples ancêtres aujourd'hui.
Magré les Grandes catastrophes et la découverte du gène Babel qui ont apparemment inversé la tendance, la sénatrice ne voit qu'un échange, et non un changement dans les événements qui ont suivi. Jusqu'à la mort de son mari il y a trois ans, ses choix et son travail au niveau gouvernemental ont toujours été d'éveiller les consciences aux aberrations de notre époque pour inspirer un vrai changement.
***
Peu de temps après leur repas, Borys sonne à la porte, suivi quelques minutes plus tard du président du Togo et ses gardes du corps. Nina les accueille avec une mine sérieuse et grave comme la veille lorsqu'elle écoutait Jeremy parler.
« Monsieur le Président, merci beaucoup d'être venu », commence-t-elle en serrant fermement la main du président Togolais. "Je n'arrive pas à croire qu'en plus de vingt ans au sénat, c'est la première fois que nous nous rencontrons... et dans quelles circonstances », ajoute-t-elle d'une voix à la fois triste et chaleureuse.
« Merci, Mme Xi-Huang. S'il vous plaît, appelez-moi Kofi », dit le président, un mince sourire aux lèvres.
« S'il vous plaît, appelez-moi Nina », le reprend-elle.
Après les brèves présentations, le groupe se dirige vers le salon pour convenir de aborder la négociation avec Libra Justice. Stephan et Jeremy écoutent silencieux et l'air sérieux sans trop comprendre ce que racontent Nina, Borys et Kofi.
Jeremy sait par l'intermédiaire de Sarah à quel point la mère de la jeune femme déteste leur employeur et parle souvent de l'organisation comme étant une compagnie de tueurs à gage. Cependant, il n'est pas certain si elle réfère ici à la mort subite de sa mère. Il y a beaucoup pensé lui aussi.
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