Partie 36 - Chapitre 7 : (6/6) Les données
LE TONNERRE
« Comment allons-nous sortir Sarah de là ? » se contente de demander Jeremy en se tournant vers Stephan qui se tient debout auprès de lui, le visage plein d'amertume et de colère. Les deux jeunes hommes se tournent en même temps vers Mr Vaughen qui ne dit mot.
« Laissez-moi y réfléchir, » répond le responsable après une interminable minute de silence. Puis, il quitte la pièce en se grattant le crâne. En plus de devoir retrouver la petite-fille d'un président africain, voilà qu'il doit aussi sauver celle d'une sénatrice semi-retraité et chroniquement déprimée depuis trois ans.
Stephan et Jeremy se dévisagent longuement en silence, leur mine parlant pour eux ; pour l'un la colère, pour l'autre la rage.
« Je ne lui fais pas confiance, » s'exclame le premier la respiration haletante sans quitter son coéquipier des yeux.
« Moi non plus, » commence le dernier alors qu'il gesticule nerveusement dans son lit. « Je n'ai même plus confiance en moi, » continue-t-il avec remords avant d'ajouter l'air inquiet :
« Mais qu'est-ce qu'on peut faire ? »
Stephan se met à marcher de long en large à côté du lit de Jeremy avant de s'arrêter net en fixant droit devant lui un instant, comme frappé par la lumière d'une idée du tonnerre.
« On sort le gros fusil, » déclare-t-il se tournant vers son collègue le sourire aux lèvres, puis il ajoute calmement : « Ma mère ! »
Jeremy le regarde perplexe et confus.
« Tu peux marcher ? » demande le premier impatiemment.
« Ils ne me laisseront pas sortir sans autorisation, » rétorque le dernier alors qu'il essaye de se tirer du lit.
« Il suffit de ne pas la demander, » rétorque le premier en aidant l'autre agent à se redresser avant d'enchaîner : « Tu n'es pas sous quarantaine ; juste blessé. Tu devrais toujours être autorisé à entrer et sortir du bâtiment sans autorisation spéciale du moment où on te fait sortir discrètement. »
Stephan s'arrête un moment pour dévisager Jeremy sorti du lit. Ce dernier se tient debout en s'accrochant à son coéquipier qui le soutient toujours d'un bras ferme.
« Alors, est-ce que tu peux marcher ? » lui-demande le premier anxieusement.
« Oui, je pense que oui, » répond le dernier alors qu'il tente prudemment de faire quelques pas.
« Super ! » s'exclama le premier avant de regarder nerveusement autour de lui pour demander d'un ton angoissé : « Où sont tes vêtements ? »
« Des vêtements propres ? Dans mon casier, je suppose, » répond le dernier en regardant autour de lui ; il se sent légèrement étourdi et confus maintenant. Il remarche lentement vers le lit pour s'asseoir sur le bord et regarder l'air bête Stephan devant lui.
« Attends ici, je reviens avec quelque chose à te mettre, puis on peut aller parler à ma mère, » dit le premier en se précipitant vers la sortie de la pièce.
« Stéphan ! » Jeremy interpelle son coéquipier debout à mi-chemin de l'embrasure de la porte.
Ce dernier s'arrête net les poings serrés, puis il se retourne vers Jeremy. Il n'y a pas de temps à perdre s'il veut revoir sa sœur vivante. Ce qu'il a vu à travers l'appareil de son collègue ces derniers jours et ce qu'il sait maintenant sur Libra Justice, ainsi que sur l'Assemblée de la Toute-Puissance, ont complètement ébranlé ses perspectives.
Le monde qu'il croyait jusqu'ici être le sien l'a abusé. Les événements survenus récemment lui ont permis de réaliser que ses soi-disant privilèges sont en fait des histoires fictives racontées uniquement pour mieux le conformer à un système archaïque puissant qui le veut à jamais pris au piège dans le récit éternel. Dans cette grande pièce théâtrale montée de toute pièce, son rôle reste aussi insignifiant que tous les autres, y compris celui de ceux-là qu'il a été éduqué à mépriser.
À ce moment précis, debout sur le pas de la porte de la grande clinique de son employeur très réputé, inquiet pour la vie de sa sœur et totalement impuissant sans l'aide de sa mère et de son coéquipier, Stephan se sent à la fois profondément trahi et blessé par la société et les soi-disant privilèges de sa naissance.
Sa sœur et lui ont toujours été utilisés tels des pions à l'instar de Jeremy, à la seule différence que sa sœur et lui ont un statut et quelques influences par leur couleur de peau et leur lien familiale. Quant à Jeremy, il ne possède ni l'un ni l'autre apparemment.
Les avertissements de la mère de Stephan lui reviennent en un éclair. Ce qu'elle leur répétait pendant toutes ces années était bien vrai. L'incohérence, la contradiction et la profondeur des propos de la soixantenaire n'étaient pas seulement dues au traumatisme de sa détention de quinze ans dans les camps de l'intelligence artificielle. Leurs parents avaient atteint les bas-fonds de l'âme humaine et ils en étaient remontés avec ces mots comme un cadeau au monde.
Cependant, comme beaucoup d'autres à la surface, le jeune homme les a ignorés, négligeant avec mépris leur précieux don. Peu importe l'intelligence des hommes, les bouleversements majeurs se produiront toujours inévitablement par eux. Soudains et imprévisibles, les grandes évolutions ont toujours lieu à la manière d'une gifle à la face sophistiquée des hommes.
La chute des dominants finit toujours par arriver en un instant, brisant les os les plus solides des soi-disant tout-puissants alors que la vérité de la vie continue de se dévoiler sous leurs yeux ouverts ou fermés.
« Je suis désolé. J'aurais dû protéger Sarah, » soupire Jeremy d'une voix triste.
Stephan baisse son regard une fraction de seconde en se mordillant les lèvres avant de relever les yeux vers Jeremy pour lui répondre d'une voix posée et calme :
« Non, Jeremy. Elle aurait dû prendre soin d'elle-même. » Puis, il quitte la pièce précipitamment.
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