Partie 27 - Chapitre 6 : (2/5) Les déesses de la guerre


L'ATTENTE


Jeremy regarde pensivement son écran. Il se demande comment vont se passer les fameuses retrouvailles avec sa tante et sa cousine. Mr. Vaughen a déjà tout arrangé : Jeremy les contactera par les réseaux sociaux. Il se présentera comme étant récemment marié à Sarah, qui s'appellera Nathalie pour les besoins de la mission. 

Dès que possible, il devra convaincre sa tante et son cousin de les recommander tous les deux à l'organisation. Cela pourrait prendre des mois. Une fois à l'Assemblée, ils devront localiser le professeur et sa fille.

En attendant et avec l'aide des informations recueillies par les deux agents, Stephan devra planifier l'enlèvement de la fillette. Sans renseignement détaillé sur le système de surveillance et de sécurité de l'enceinte, pénétrer par effraction le culte semble relativement facile. 

En revanche, communiquer avec Stephan depuis l'Assemblée et y en sortir discrètement est tout autre chose. Jeremy n'a aucun doute qu'ils ne sont que des cobayes dans cette mission. S'ils disparaissent ou meurent dans l'enceinte, Libera Justice pourait facilement couvrir l'affaire et rembourser leur cliente au Togo. 

Cependant, s'ils réussissent, non seulement la compagnie empochera l'argent, mais elle aura également acquis une base de données inestimable sur l'une des organisations les plus secrètes de la planète.

« Toujours aucune réponse ? » interroge Sarah alors qu'elle fixe Jeremy assis devant son ordinateur.

« Non, mais nous ne nous fréquentions pas vraiment, » répond-il. Il se tourne vers elle pour ajouter : « Cela fait plus de dix ans aussi. »

« S'ils ne répondent pas, on peut dire adieu à cette mission, » s'exclame Stephan avec un sourire narquois.

« Eh bien puisqu'on doit patienter, pourquoi pas attendre en s'amusant, » commence Sarah en se levant de sa chaise. « Qui veut sortir ce soir ? » s'écrie-t-elle en regardant alternativement les deux jeunes hommes.

« Depuis quand tu aimes sortir toi ? » lui demande Stephan d'un ton moqueur.

« Depuis que j'ai de la bonne compagnie, » rétorque-t-elle avant de s'adresser à Jeremy : « Alors, partant ? »

Il acquiesce d'un sourire.


***

Lorsque Nina rentre chez elle, elle se lave et se sèche immédiatement les mains dans le lavabo situé à la porte d'entrée avant de les glisser sous une espèce de scanner placé au-dessus du petit bassin. « Aucun virus détecté, » s'exclame l'appareil. 

Elle se rend ensuite dans le salon. Elle s'étonne de trouver un grand jeune homme seul debout à regarder l'album de famille placé sur le meuble devant lui. Elle reste un instant plantée à l'entrée de la pièce à le dévisager perplexe. 

Le jeune homme a le crâne rasé à l'instar de ses enfants ; il doit sûrement être leur coéquipier. Réalisant soudain la présence de la femme derrière lui, le jeune homme se retourne.

« Enchanté Mme Xi Huang, je suis Jeremy, » commence-t-il en s'approchant de Nina la main tendue.

Son expression cachée derrière son appareil visuel, Jeremy s'interroge sur l'apparence de la mère de ses collègues. Ses fins membres ressortent de son petit corps de façon disproportionnée. Son visage aux traits fermes et asymétrique semble beaucoup plus jeune qu'elle ne l'est en réalité. 

Il saisit le plus délicatement possible la minuscule main que lui tend en retour la femme d'une soixantaine d'années qui se tient en face de lui. Elle serre vigoureusement la main du jeune homme tout en observant sa figure comme pour trouver son regard derrière ses énormes lunettes sombres.

« Je suis un ami et collègue de votre fille Sarah, » continue-t-il à la grande surprise de Nina qui fronce les sourcils curieuse et amusée par la déclaration du jeune homme.

« Très jolie famille ! » poursuit-il en pointant du doigt l'album sur le meuble derrière lui.

« Ah oui, » dit-elle alors qu'elle s'approche de la commode pour saisir l'objet. D'un seul doigt, elle fait défiler les photos une à une avant de s'arrêter sur une qu'elle présente à Jeremy en souriant. Elle lui tend l'album, puis elle va s'asseoir confortablement sur le divan. D'un geste de la main, elle l'invite à s'installer à côté d'elle.

« Que pensez-vous de cette photo ? » demande-t-elle amusée une fois qu'il est assis.

Jeremy reste un long moment stoïque et gêné. Il n'ose pas répondre de peur que sa réponse n'offense la mère de son hôte. Il sent bien que son silence le trahit et que plus il attend, plus Nina risque de se douter du malaise qu'élève en lui cette photo.

« Vous êtes où ? » finit-il par demander sans répondre à la question posée.

« Je n'y suis pas, » répond-elle avec un sourire. Elle remarque l'expression de soulagement à la mine coéquipier des ses enfants.

« Cette photo vous choque, n'est-ce pas ? » continue-t-elle. « Moi aussi. Mais, ce qui je trouve le plus choquant, c'est qu'on s'offusque uniquement de les voir tous groupés ainsi. »

Elle s'arrête quelques secondes avant de poursuivre :

« J'ai gardé cette photo pour me rappeler l'ironie de l'histoire. Pendant des siècles les hommes et les femmes de toutes nations voulaient d'un homme, d'une femme ou d'un enfant comme vous ; un siècle plus tard, ils organisent des mariages en masse pour s'assurer qu'un maximum de bébés de leur nation ne soient pas comme vous. »

Elle secoue la tête tristement, puis elle ajoute :

« Huitième couple en partant de la droite, cinquième rangée, l'ami de mon défunt mari et son épouse. »

« C'est comme ça que vous vous êtes rencontrés, votre mari et vous ? » interroge Jeremy.

« Non, » répond-elle. « Notre histoire à nous a commencé bien longtemps avant ça. On a tous les deux grandis dans l'un des camps de concentration de l'intelligence artificielle aux États-Unis, ici-même à Chicago. J'avais six ans quand j'y suis entrée avec ma famille et 21 ans au moment de la libération par les troupes africaines. Anthony et moi avions le même âge, les mêmes peurs, les mêmes rêves, les mêmes cauchemars, le même vide après la mort de tous les membres de nos familles respectives ; le même espoir de continuer de vivre malgré tout. »

L'agent reste silencieux tandis que ses lèvres se pincent légèrement et que l'expression de son visage devient plus sévère.

« Nous faisions partie des invités lorsque cette photo a été prise, » reprend la soixantenaire après une longue minute de silence. « Sarah et Stephan avaient trois ou quatre ans. Vous voyez à quel point le monde et ses normes peuvent basculer en un instant... Ce 21ème siècle nous aura bien rendu la monnaie de notre pièce, » ajoute-t-elle dans un éclat de rire.

Elle reprend doucement l'objet des mains de Jeremy pour chercher une autre photo avant de lui redonner l'album. Le visage du jeune homme s'élimine à la vue de la photo. Son expression s'attendrit à la vue des petites faces souriantes de Sarah et Stephan enfants.

« Comme beaucoup de gens au 21ème siècle, mon mari et moi ne pouvions pas concevoir naturellement. Saviez-vous que plus de 70% des hommes et des femmes au milieu du 21ème siècle sont devenus stériles ? » 

Sans même attendre qu'il ne réponde, Nina continue : « Dans un monde austère et hostile, le corps n'a d'énergie qu'à sa propre survie ; plus de force pour la procréation... Ou peut-être que Dame nature souhaite que nous assumions pleinement la responsabilité de la pérennité de l'espèce humaine. »

« Vous n'êtes pas les parents biologiques de vos enfants ? » demande-t-il surpris. « Ils vous ressemblent beaucoup pourtant, » ajoute-il en scrutant de plus près avec son appareil les charmantes bouilles des deux enfants sur la photo.

Elle se contente de secouer doucement la tête avec un sourire de fierté.

« Disons qu'on a bien choisi les deux donneurs, » fait-elle amusée par le commentaire du jeune homme. « À moins que les porter dans mon ventre pendant neuf mois avec Anthony à mes côtés les a reconfigurés à notre image, » dit-elle dans un éclat de rire avant d'ajouter :

« Dans un monde austère et hostile, on apprend vite que la famille consiste d'abord et pour tout là où on reçoit affection, nourriture et protection. Je n'utiliserais même pas ici le mot amour, car il est parfois confondu avec les abus et les négligences d'après l'expérience personnelle de bien des humains. »

« Est-ce que Stephan et Sarah le savent ? » demande Jeremy alors qu'il lève le nez vers Nina pour lui présenter une mine perplexe. 

Cette dernière se contente à nouveau de répondre d'un simple hochement de tête.

La mère et l'agent sont subitement interrompus dans leur conversation par des pas précipités dans les escaliers.

« Je suis prête ! » s'exclame Sarah tandis qu'elle apparaît dans le salon, vêtue d'une perruque noire et d'une robe rouge.          



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