Partie 23 - Chapitre 5 : (4/6) La société avancée
LA NUIT ET LES HOMMES
« Ça s'arrose ! » s'écrie Stephan en ôtant son débardeur.
« Vas pas croire qu'il s'agit d'un cadeau. Et pourquoi nous l'offrir quand nous avons à peine un an d'ancienneté dans la compagnie ? » réplique Jeremy en ouvrant son casier.
« Je n'suis pas stupide, » rétorque le premier. « Mais, ça va être quand même cool de jouer aux policiers, et d'être payé double ! »
Il enfile sa chemise, puis il se retourne vers Jeremy qui lui tourne maintenant le dos. Il observe longuement les cicatrices rouges de son coéquipier. Mis à part une curiosité féroce, le regard du jeune homme n'exprime ni dégoût ni compassion.
« Alors, tu sors ? » insiste-t-il. Jeremy se tourne vers lui, perplexe avant de demander d'un ton niais en fronçant les sourcils :
« Où ça ? »
« À ton avis ? » fait Stephan avec un sourire malicieux.
***
Sarah et Stephan sont aveuglés par la lumière blanchâtre qui tourne au milieu de la grande salle sombre tel un phare tandis que Jeremy ne bronche pas. La musique est forte et couvre les hurlements de la foule en délire qui gesticule en rythme.
Des images holographiques de gens célèbres des siècles derniers se promènent parmi eux comme des fantômes. Le bar situé au centre de la grande salle, en dessous de l'éclairage, attire une petite assemblée autour d'elle à la manière des abeilles autour d'une ruche. Quelques tables hautes sans chaises sont dispersées un peu partout dans la grande salle.
À l'étage supérieur, les gens font la queue sur une espèce d'échafaudage. Tout d'un coup, des feux d'artifices éclatent alors que l'illumination blanche s'estompe. Dans cette nouvelle obscurité apparaît une silhouette lumineuse féminine qui danse au rythme de la musique qui joue. On peut apercevoir en haut de l'échafaudage, une petite piste de dance sur laquelle une femme se déhanche. Elle porte des sortes de branchements à plusieurs endroits sur son corps.
Une fois leur boisson en main, Stephan s'excuse avant d'abandonner ses coéquipiers pour se diriger en direction d'un jeune homme qui visiblement appartient au peuple ancêtre. Sarah roule des yeux devant la scène, puis elle laisse échapper un soupir. Jeremy lui lance un sourire de sympathie, ensuite il l'entraîne sur la piste de dance.
« Et toi aussi, tu aimes les gens du même sexe que toi ? » hurle Jeremy en prolongeant immédiatement son nez dans son verre.
« Non, » fait Sarah en secouant la tête l'air amusé avant d'expliquer : « Sur ce point-là aussi, Steph et moi sommes pareils ; on préfère les hommes. Quoi que... » continue-t-elle après une fraction de seconde de réflexion. Elle lève les yeux au plafond avec un sourire malicieux pour ajouter dans un éclat de rire : « Je dois avouer avoir un penchant pour les femmes à la peau sombre, aux lèvres pulpeuses et aux fesses bien rondes. »
« Intéressant ! » s'exclame Jeremy. Il rigole gêné, puis il jette un regard furtif vers Sarah avant de replonger son nez dans son verre. Lui aussi doit admettre exhiber le même penchant. Bien évidemment avant son opération, il ne pouvait pas distinguer les femmes par la couleur de leur peau ni la forme de leurs lèvres ou de leur postérieur.
Il trouvait des indices dans leur accent, l'odeur très distinctive de leurs produits cosmétiques ; il a toujours aimé leur chevelure courte, volumineuse et lourde. Comme beaucoup de jeunes hommes de son âge, Jeremy et son meilleur ami, Malik, n'investissent leur énergie à courir qu'après le même type de femme à quelques détails près ; celles qui répondent à la tendance de leur époque.
À l'air du gène de Babel et d'une planète de plus en plus hostile, la tendance n'est plus à celle d'un corps frêle, ni d'une peau ou d'une chevelure claire et fragile. Il ne s'est jamais demandé d'où lui venait cette étrange préférence qui le place indéniablement en bas de la liste des convoiteurs éligibles ; sa conquête tant courtisée à jamais jonchée d'obstacles que même son physique d'athlète olympique et son audace ne semblent totalement surmonter.
Gagner dix fois plus et réussir vingt fois plus que Malik reste la moyenne requise pour ne serait-ce qu'espérer conquérir les belles de ses rêves. Même Sarah, qui ne cocherait à peine deux cases sur sa précieuse liste, est considéré hors de sa ligue d'homme d'un peuple ancêtre et handicapé.
Cette dernière coupe sa rêvasserie en lui tapant sur l'épaule pour pointer du doigt l'échafaudage. Il finit son verre d'un trait avant de le poser sur la table et lui saisir la main. La foule gesticule comme en transe tandis que la musique crie de plus belle. L'hologramme d'un célèbre saxophoniste noir s'efface peu à peu entre les lumières des projecteurs colorés lorsque celui d'un homme maigre cloué à une croix, une couronne d'épine à la tête, apparaît comme roulant par-dessus la tête des danseurs déchainés.
Ces derniers lèvent les bras au plafond en les mouvant d'avant en arrière comme pour faire avancer le crucifier. Ils sont emprise à l'alcool, la drogue et la peine qui coulent dans son sang. Les regards et les corps suspendus ainsi sous le passage de l'hologramme semblent apaiser ces hommes et ces femmes.
Son image ne les apaise pas, mais le souvenir de sa chute ainsi que celle de tous ceux qui comme lui se sont dit au-dessus d'eux parce qu'ils fréquentaient, les exalte. Eux, les êtres faibles, imparfaits, défectueux. Comme il était tombés bien bas et ils avaient entrainé dans leur chute tous ceux qui aspiraient à leur prouver le contraire.
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