Partie 2 - Chapitre 1: (2/4) Présentation des protagonistes


LA FAMILLE XI HUANG ET MADAME L'AMBASSADRICE

** Chicago (USA), 2079 **

Nous sommes tous liés par la vie et la mort tel à un fil. Suspendus dans l'air, bercés ou secoués par les caprices du vent. Betty l'a toujours su, même après l'essor d'un continent longtemps tenu à l'écart du reste du monde moderne, aux portes de la dignité humaine. Malgré son titre d'ambassadrice d'un continent uni, Betty l'a toujours su. Le long foulard blanc à motifs dorés noué tout autour de sa chevelure donne à sa silhouette élancée l'allure d'un être céleste. 

La blancheur du tissu délicat contraste avec la peau de son visage d'un noir intense, sans âge, ni taches ni boutons. Elle avance d'un pas lent dans la petite allée pour arriver dans une pièce aussi sombre et triste que l'atmosphère qui y règne. L'hologramme du portrait d'un homme asiatique d'une soixantaine d'années flotte au-dessus d'un cercueil fermé. 

Trois silhouettes serrées les unes contre les autres contemplent l'hologramme en silence. Un mouchoir en main, assise entre son fils et sa fille d'une vingtaine années, son amie la sénatrice pleure. Que le temps passe vite. La dernière fois qu'ils se sont vus, les enfants avaient douze ans et elle était surprise de voir à quel point son filleul et sa filleule avaient grandi. 

Sarah lève soudain la tête comme si elle avait senti la présence de sa marraine derrière elle. Sa lourde chevelure noire ornée de fines tresses balance au-dessus de ses épaules au rythme du mouvement de sa tête alors qu'elle se retourne. La jeune femme arbore un visage symétrique au teint brun orange. Ses traits uniques ne semblent appartenir à aucune nation. 

Elle esquisse un mince sourire à sa marraine avant de pivoter tout son corps vers sa mère pour lui taper doucement l'épaule. Nina sursaute, tirée de son état de trance. Elle fixe un long moment droit devant elle comme si elle voulait retarder cet instant ; l'instant où son regard joindrait celui de l'ambassadrice qui a sauvé sa vie et celle de ses enfants il y a de ça vingt ans...


** Pékin (Chine), 2059**

« Quel plaisir de voir un visage familier ici, » s'exclama la jeune femme en anglais dans un éclat de rire. « Il n'y a jamais eu beaucoup de femmes noires à Pékin surtout dans ce genre d'événements, » continua-t-elle en attrapant au vol l'un des mets que lui tendait sur un plateau un robot serveur.

« Je suis bien d'accord, » affirma l'autre. Elle prit une gorgée de son jus de pomme et elle posa une main légère sur son ventre rond, presque comme un automatisme. Elle se demandait de quelle région d'Afrique provenait l'accent de son interlocutrice. « Quel est votre nom ? Moi, je m'appelle Nina Xi Huang. Je suis sénatrice aux États-Unis. » fit-elle avec un grand sourire.

« Betty Sow Ambassadrice du Sénégal ici à Pékin, » répondit-elle avant de demander : « Vous avez bien dit Xi Huang ? »

« Oui, mon mari vient d'ici. Et vous ? Vous êtes marié ? Avez-vous des enfants ? »

« Moi ?! Non, merci ! N'a-t-on pas déjà mis au monde assez de dégâts ?! » s'exclama-t-elle en pouffant de rire. Son visage d'un noir intense et ses traits d'une netteté remarquable s'étiraient au fur et à mesure de la discussion. « Mari, bébé, ce n'est pas pour moi ces choses-là ! » dit-elle, puis elle enchaîna presqu'immédiatement : « Et la naissance de votre bébé est prévue pour quand ? »

« Il y en a deux : une fille et un garçon. L'accouchement devrait avoir lieu d'un jour à l'autre maintenant. »

« Mon Dieu, Mme Xi Huang, ne me dîtes pas ça. D'un jour à l'autre sauf ce soir, s'il vous plaît, » fit-elle en agitant les mains. L'ambassadrice arborait de longs doigts aussi fins et délicats que sa silhouette dans sa robe traditionnelle.

Nina laissa échapper un rire, ravie d'avoir trouvé très tôt dans la soirée de la compagnie au visage familier, même si ce visage, cette silhouette semblaient lui rappeler toutes ses insécurités de femme moderne : disproportionnée, trop courte, trop clair de peau, encore pas assez de ceci ou de ça ... malgré tous les titres et les accessoires de sa vie de sénatrice d'une grande puissance mondiale.

Les invités allaient et venaient en parlant fort. Entre deux éclats de rire et trois affirmations, ils attrapaient de temps en temps au passage la nourriture et les boissons servies en abondance par les robots serveurs qui tournaient constamment autour d'eux telles des mouches autour de cadavres.

« Y-a-t-il des humains dans la salle ? » s'exclama soudain une voix venue de nulle part.

L'auditoire se figea nette.  Certains se mirent à chuchoter tout doucement. Ils se tournèrent les uns vers les autres curieux et enthousiastes à l'idée d'un divertissement ce soir, rien que pour eux les humains. Bientôt la voix venue de nulle part sortit de la foule pour dévoiler à l'assemblée de mortels son visage pâle au regard étrange. Le cyborg s'arrêta devant un couple d'invités asiatiques. Il scanna patiemment leur visage de son regard de poupée tandis que les invités observaient intrigués, silencieux, le cœur haletant. Quel tour allait-il leur montrer ce soir, rien qu'à eux les humains.

La femme s'écroula la première à la manière d'un linge qui tombe d'une ligne dont les pinces auraient sauté. L'assemblée observait toujours perplexe sans trop comprendre le but de cette prestation. Quand l'homme tomba au sol lui aussi quelques secondes plus tard tout le monde commença à s'agiter nerveusement s'interrogeant les uns les autres d'un regard effrayé. Le cyborg sortit alors une arme de sa veste. 

Son visage paisible de poupée impassible, il se mit à tirer sur l'assemblée. Il scannait visages horrifiés après visages horrifiés comme s'il les répertoriait en mémoire. Les invitées courraient dans tous les sens, poussant et trébuchant sur robots serveurs et victimes en criant tels des enfants hystériques dans une cour d'école.

Nina était complètement tétanisée par la peur, son regard braqué sur le cyborg qui avançait dans sa direction. Ses bras pendants le long de son corps à la manière de deux branches mortes, elle sentit un ruisseau coulé tout le long de sa jambe. Dans un geste instinctif, Betty la prit entre ses bras pour la serrer contre sa poitrine alors que ses doigts s'enfoncèrent dans les longues dreadlocks de la jeune femme. La sénatrice se laissa manipuler telle une marionnette, son visage noyé dans la robe de l'ambassadrice.

« Mon Dieu, » fit Betty. Elle ferma les yeux et pinça les lèvres fermement. Si ce soir, son heure était venue, elle ne voulait pas ni le voir ni le crier. Les deux femmes restèrent ainsi un long moment telles des statuettes, la foule autour d'eux criant et courant toujours, leurs corps tombant lourds comme des sacs, le bruit des balles dans leur chair sifflait tels des oiseaux sauvages. Puis, plus rien. Le silence paisible de la nature après une tempête s'installa soudain pour emplir toute la salle pouvant contenir plus d'une centaine de personnes.

Un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit .... Et moi. Betty tira Nina de sa poitrine pour la regarder intensément. Dix. La sénatrice était toujours sous le choc, mais vivante. Elle n'avait pas réalisé jusqu'à ce qu'un des huit survivants s'exclama avec à la fois soulagement et dégoût : 

« Cet abruti n'a pas été programmé pour reconnaître les visages noirs. Il a scanné nos visages à tous et ne les a pas reconnus ». 

Ils s'observèrent longuement en silence pour identifier ce qui dans leurs traits et leur peau sombre n'étaient pas, selon cette machine, humain. Quel teint, quels traits étaient laissés à la porte de l'espèce humaine d'après la technologie avancée ? Aurait-il tué Nina s'il avait scanné son visage ?

« Mme Sow, » fit faiblement cette dernière en posant une main frêle sur l'épaule de l'ambassadrice et l'autre sur son ventre. « Je suis désolée, » continua-t-elle tandis qu'elle baissa les yeux vers la nappe d'eau à ses pieds.

« Dieu du ciel, » s'exclama Betty sans un souffle.

« Je suis médecin, » s'exclama l'un des hommes qui s'approcha de Nina pour l'aider à s'asseoir par terre.

« Il faut la conduire à l'hôpital, » fit Betty sur le ton de la panique.

« On ne bouge pas d'ici tant que les autorités ne viennent pas nous chercher, » fit un autre survivant. Il sortit son téléphone de sa poche avant de s'exclamer: « Cette chose est encore là, vous voyez je n'ai pas de signal. Ça a débuté le moment où elle est entrée. »

« Qui va venir nous chercher si personne ne sait ce qu'il s'est passé ? » interrogea un autre en regardant autour de lui nerveusement.

« Quelqu'un à l'extérieur a pu entendre les cris et coups de feu, et alerter les autorités, » répondit un autre.

« Il a raison, on doit rester ici, si le cyborg nous trouve en mouvement, il nous tirera dessus comme les autres. » fit le médecin. « Ça va aller, vous êtes entre de bonnes mains avec nous tous, » ajouta-t-il en s'adressant à Nina avec un sourire sincère.

« Y-a-t-il des humains dans la salle ? »

En entendant ces mots, les survivants se figèrent immédiatement tandis que Nina éclata en sanglot. Le médecin lui fit calmement signe de garder le silence d'un geste du doigt avant d'enlever sa veste pour lui couvrir le visage. Betty s'acrroupit auprès de la jeune femme pour la prendre dans ses bras à la fois pour l'immobiliser et la rassurer. Les huit hommes se tinrent debout autour des deux femmes sans bouger, le regard fixé d'où venait la voix, de plus en plus proche, de plus en plus proche, de plus en plus proche.

« Y-a-t-il des humains dans la salle ? » fit à nouveau la voix tandis qu'un homme asiatique en uniforme de policier apparut brandissant son arme.


** Chicago (USA), 2079**

Nina essuie d'un geste de son mouchoir les larmes qui lui viennent. Elle inspire profondément avant de tourner son visage plein de gratitude vers l'ambassadrice qui les a sauvés il y a de ça vingt ans lors de l'attentat politique de Pékin.

Le regard plein de compassion, Betty continue d'avancer lentement vers Nina. Aujourd'hui encore, elle se demande vingt ans après si cette machine aurait tué ou pas la sénatrice si elle n'avait pas été là. Le destin des deux femmes séparées par le teint de peau était à jamais unie par chaque instant de leur douloureuse expérience commune. 

L'arrivée de la police, les ambulances, les équipes médicales, l'époux de Nina l'air traumatisé. Parce qu'il avait assisté au drame, peut-être ?! Quel idiot celui-là ! Et pourquoi il n'avait pas été là pour sa femme ? À cet instant précis, Betty le haïssait lui et sa race ! L'accouchement, les infirmières qui la dévisagent dans les corridors, et enfin ... son propre visage sombre brillant de sueur dans le miroir des toilettes de l'hôpital. 

Des larmes lourdes et chaudes lui vinrent aux yeux malgré le courage, la peur, la honte, la fierté, la joie d'avoir sauvé trois vies humaines en même temps, la colère, la culpabilité... oui tout ça à la fois sans trop savoir pourquoi.

« C'est bien un visage humain ... Stupide machine et tes abrutis de créateurs ! »



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