Partie 16 - Chapitre 4 : (1/4) L'autre monde
L'ASSEMBLÉ DE LA TOUTE PUISSANCE
Tempéra s'adresse au groupe de gens vêtus de blouse blanche debout en ligne devant lui, les bras croisés, le regard vif et curieux. Ils sont tous du peuple ancêtre. Gaëlle se tient assise à une table derrière eux, complétement absorbée par sa tablette. Une étrange impression de déjà-vu noue l'estomac du professeur, mais il continue de parler comme si de rien n'était.
Il parle de la manipulation génétique et de la naissance artificielle de manière passionnée, ses phrases ponctuées de grands gestes des bras et des mains. Son regard reflète la même vigueur et curiosité que celui de l'audience suspendue à ses lèvres. Les mots sortent par automatisme ; c'est qu'il la connaît bien sa science et il connaît aussi très bien les individus comme eux, ses semblables. Il semble déterminé à ne plus se laisser duper par l'argent ou ceux qui le détiennent et qui financent ses recherches. Cette fois-ci, il ne partirait pas sans réponse plausible.
« Professeur Akheeli ? » s'écrie la voix masculine derrière lui.
Tempéra est accroupi à côté de sa fille. Plus loin, le groupe de scientifiques discutent entre eux. À la vue du jeune homme, le professeur se lève l'air agacé et se redresse pour se tenir debout face à son interlocuteur avant de dire d'un ton irrité :
« Karl, je vous ai déjà dit que je n'ai pas besoin de chaperon ! Il y a des caméras partout. L'endroit est sécurisé, n'est-ce pas ? » continue-t-il d'un ton plus calme en commençant à s'éloigner. « Je n'ai pas besoin d'un garde-du-corps ni d'un espion. »
« Malheureusement, ni vous ni moi n'avons vraiment le choix, » réplique le jeune homme en le suivant. « L'Assemblée ne vous fait pas encore assez confiance pour vous laisser vous promener sans surveillance, et je suis l'un des rares ici assez intelligent pour vous tenir compagnie. »
Le chercheur s'arrête net, surpris et amusé par le commentaire. Grand blond yeux clairs, aucune personne d'un peuple ancêtre ne lui a jamais parlé avec autant d'audace.
« Je suis curieux de connaître votre histoire ? Vous savez ce qui m'a amené ici, mais vous ?» demande le professeur alors qu'il prend sa fille par la main pour la tenir à l'écart de Karl.
« C'est une longue histoire, » réplique ce dernier comme un avertissement.
« J'ai tout mon temps, » dit Tempéra en haussant les épaules alors qu'Il s'amuse à deviner un fragment de l'histoire du jeune homme : expatrié avec les premières colonies, refugié avant la destruction de sa nouvelle planète, il n'a jamais mis les pieds à l'extérieur de l'enceinte, il ne sait pas que le monde d'aujourd'hui n'appartient plus ni à ses pères ni à lui.
L'Assemblée de la toute puissance (ATP) a engagé le professeur pour parvenir à recréer artificiellement le gène de Babel et l'implanter sur des embryons ou des adultes. Il a enfin tout l'argent et tout le temps qu'il lui faut pour poursuivre ses recherches, sauf qu'il ne croit pas que le résultat bénéficiera à quiconque mis à part à la tête de l'organisation, la Déesse suprême comme l'appellent avec admiration les membres.
Bien qu'ils l'aient assuré que l'unique raison de sa présence à l'ATP est l'aboutissement de ses recherches, il se méfie de leurs intentions.
Après tout, une fois que ses recherches auront abouti, ils devront soit se débarrasser de lui soit le garder sous surveillance afin qu'il ne partage pas le secret tant prisé de tous. La conversion serait probablement le moyen le plus sûr de le maintenir sous silence par la même loyauté sans faille dont font preuve tous les autres membres qu'il a rencontrés, à l'exception de Karl.
Ce dernier se moque ouvertement devant lui de la discipline et des rites de l'ATP même s'il joue le jeu de l'obéissance et de la servitude devant les autres membres. Il adore raconter des anecdotes détaillées sur la personnalité de sa tante, la Déesse suprême qu'il appelle en rigolant la Folle Supérieure.
Contrairement à beaucoup de membres, il n'a reçu sa première introduction qu'à l'âge de l'adolescence lorsque son beau-père, frère de la Déesse suprême, a finalement décidé de joindre lui-aussi l'ATP après leur exil sur Mars. Sa mère et lui ont suivi bien malgré eux, s'accrochant à l'argent de ce dernier et à ses privilèges comme à l'espoir.
Pour Karl, il y a toujours eu beaucoup trop d'incohérence depuis le début et il ne voit qu'une énorme mascarade derrière toutes les règles et tous les interdits qu'on leur impose. Il a vu de ses propres yeux des choses qui lui font encore froid dans le dos. Sa mère à l'inverse, est devenue une adepte fervente qui y trouve sa raison de vivre. Le quarantenaire se reconnaît dans l'histoire de Karl : un enfant balloté d'un coin du monde à l'autre, dix ans de pensionnat qui lui ont appris à haïr l'autorité et la discipline, des parents toujours absents et plein de mystères.
« Pourquoi vous ne quittez pas l'ATP ? » demande-t-il.
« Ici je suis quelqu'un d'important, » commence Karl. « Vous croyez que je ne sais pas ce qui se passe à l'extérieur de l'ATP ? Pourquoi seraient-ils si acharnés à contrôler ce fameux gène de Babel s'il n'avait pas d'importance pour nous, les supposés élus de Dieu ? »
Il lève les yeux vers la fenêtre pour fixer le paysage rougeâtre d'un coucher de soleil.
***
Tempéra voudrait rire à la face de l'ironie qui l'a conduit jusqu'ici, mais une amertume grandissante le ronge. Il est pris au piège, fait tel un rat de laboratoire, voué à courir inlassablement dans sa roue jusqu'à la fin de l'expérience.
Que les Karim puissent être derrière cette histoire depuis le début ou que ce soit tout simplement le coup du sort qui se joue de lui, il se retrouve dans cette société occulte fermée sans échappatoire. Après tout, il s'en est plutôt pas mal sorti pour un malhonnête comme lui. Oui, malhonnête représente bien le mot pour décrire ses choix ces quinze dernières années, tous plus malhonnêtes, les uns que les autres. Assurément l'ironie du sort ne peut pas l'entrainer plus bas que ça.
Soudain, le bruit de petits pas feutrés le tire de ses réflexions. Il se lève du fauteuil pour rejoindre Gaëlle debout à l'entrée de la pièce, son visage ébouriffé par le sommeil. Elle sert très fort contre elle une peluche en forme d'éléphant.
« Alors chaton, tu ne dors pas ? » lui dit-il à voix basse en allant la prendre dans ses bras.
L'enfant ne répond pas. Le regard vague, elle se contente de poser sa tête contre l'épaule de son père qui l'emmène dans le salon.
« Et si on partait en voyage, ça te dit ? » lui chuchote-t-il à l'oreille avant de redresser la tête pour ordonner : « Athéna, panorama scène naturelle, s'il te plaît ».
Tout à coup, toutes les lumières du petit appartement s'éteignent. Ils se trouvent plongés quelques secondes dans l'obscurité totale avant qu'un paysage de savane apparaisse à leurs pieds comme s'ils volaient. La fillette baisse la tête pour mieux voir les animaux qui s'animent en-dessous d'eux.
Ensuite, elle lève les yeux vers un ciel bleu à la lumière claire et chaude. Enfin, elle lance un regard émerveillé à son père pour lui sourire. Bientôt, une flopée d'oiseaux aux couleurs vives envahit le ciel tandis que le paysage en dessous d'eux s'accélère. Gaëlle éclate de rire en tendant les bras vers le ciel et les oiseaux.
Tempéra rigole lui aussi emporté par l'élan de bonheur de son enfant, la plus belle de toutes ses créations. Leurs rires s'élèvent haut dans les airs pour se laisser attraper au vol par les oiseaux qui les emmèneront plus loin, beaucoup plus loin, plus loin que l'Amérique, plus loin que le soleil.
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