Partie 14 - Chapitre 3 : (5/6) Les mystères de la vie
LE COUPLE
« Détenu 1406390, vous avez une demande de communication en cours, » affirme soudain une voix électronique dans la cellule. « Appel autorisé avec transmission holographique pour une période limitée de cinq minutes et cinquante-cinq secondes ; attention tout appel et transmission vidéo ou holographique sont enregistrés. Communication. Acceptez-vous la communication ? »
« Acceptée, » répond Tempéra dans un souffle.
Il expire de déception en voyant l'hologramme de sa femme apparaître. Il espérait une rédemption, mais maintenant il s'attend à une pénitence.
« Est-ce qu'ils disent vrai ? » demande sa femme d'une voix sévère en français, leur langue commune de la division.
Pendant les disputes et les crises de colère du couple, le français a toujours été la seule langue qu'ils peuvent tous les deux utiliser à arme égale. Isabelle parle couramment la langue mina, mais pas Tempéra. Bien que leur allemand soit pour tous les deux excellent, ils ne s'en sont jamais sentis assez proche pour y exprimer leurs émotions.
« Oui, ils disent vrai, tout est vrai, » répond le professeur, agacé.
« Et tu me le dis comme ça, » dit sa femme avec colère.
« Isa, de quelle manière voudrais-tu que je te le dise ? » fait-il avec dédain.
« Pardon Isa ! Je m'excuse Isa. Je suis vraiment désolé... voici comment je voudrais que tu me le dises, » rétorque-t-elle en haussant le ton. « As-tu pensé une seule seconde aux conséquences de tes actes, à leurs répercussions sur moi et Gaëlle ; et mon père, y as-tu pensé ? »
« À ton avis ? » répond-il d'un ton sacarstique en allant s'asseoir sur le lit derrière lui.
« Ne compte pas sur moi ou ma famille pour te tirer de là ! » coupa-t-elle. Son hologramme disparaît aussitôt. Tempéra pousse un soupir. Il bascule la tête en arrière contre le mur alors qu'un râle de colère s'échappe entre ses dents.
Mis à part aujourd'hui, il n'a jamais vraiment songé aux conséquences de ses actes avant ça. Pourtant maintenant, à cet instant présent, il ne peut s'empêcher d'y penser. Il a toujours prêté très attention à la discrétion et la crédulité de ses patients étant donné le statut criminel de leurs demandes et ses activités.
Puisque leur intégrité est aussi douteuse que la sienne, il ne leur a jamais demandé qu'un paiement en précieux minéraux sur un compte à l'étranger avec la promesse de leur silence pour le service dûment rendu.
Isabelle a un bon fond, et elle tient toujours parole. Lorsqu'elle dit qu'elle ne l'aidera pas, il peut s'assurer qu'elle ne lèvera pas le petit doigt pour sortir le père de sa fille de prison. Son beau-père, le président du pays, doit lui en vouloir à mort pour le tolet que cette affaire a probablement déjà causé dans les médias.
Malgré son jeune âge, Gaëlle se montre assez vive d'esprit pour comprendre ; tout ou tard elle le haïra elle aussi. Pourtant, c'est aussi l'idée de pouvoir la serrer à nouveau dans ses bras qui l'inspire à se battre pour sortir de là. Le souvenir de l'odeur de ses tresses et leur texture rugueuse contre son nez lui donne envie de demander pardon.
Peut-être que c'est aussi un peu pour elle qu'il aime tant ses recherches ; une génération de plus après celle de Gaëlle. Si l'avocat a dit vrai et si les Karim ne retournent pas son appel, il ne reverra jamais plus sa fille ; son œuvre d'art.
***
Le lendemain, son avocat revient dès la première heure des visites pour annoncer au professeur la bonne nouvelle : une Américaine se propose de payer l'intégralité de sa caution et l'assister pour une demande d'asile aux États-Unis à la condition qu'il lui offre ses services sur place. Tempéra semble confus par la suggestion de l'avocat. Hier, ce dernier parlait de négocier avec les Karim et aujourd'hui, il parle d'une Américaine qui veut acheter ses services sous conditions.
L'avocat s'explique en confirmant que le couple n'a toujours pas répondu et il croit fortement qu'ils ne répondront pas. De plus, négocier avec eux, ne garantira pas sa remise en liberté ni la possibilité pour lui d'exercer à nouveau ; ses recherches seront à jamais perdues, bannies sur tout le continent. L'exil représente le seul espoir d'avenir pour lui.
Troublé par ce soudain changement de situation, le scientifique réfléchit un moment ; il s'agit de sa vie qui est en jeu. Il rappelle à son avocat que la naissance artificielle constitue aussi un crime dans le monde entier, et qu'il a une femme et une enfant ici au Togo. L'avocat le rassure qu'une fois qu'il sera installé là-bas, il pourra facilement faire venir sa famille auprès de lui. Ils seront tous sous l'entière protection de leur bienfaitrice.
L'avocat affirme en avoir parlé à la cliente miraculeuse et cette dernière se dit prête à tout acceptée en échange de ses services. Tempéra n'a jamais cru au miracle et encore moins maintenant. Il sent l'offre trop belle pour être honnête. Il s'est déjà mis son propre pays à dos, veut-il aller chercher des ennuis de l'autre côté de l'océan ?
Il se doute qu'Isa ne se laissera plus balloter sur un autre continent dans le seul but de le suivre lui et sa carrière ; avant cette histoire peut-être, mais plus maintenant. Elle a sûrement déjà entamé une procédure de divorce à l'heure qui l'est. Et Gaëlle dans tout ça ; va-t-elle disparaître pour toujours de sa vie.
Il voit bien qu'il s'est déjà bien trop laissé malmener par ses émotions depuis le début de cette affaire. Il n'aurait jamais dû avoir cette conversation avec les Karim. Ni eux ni leur équipe n'étaient supposés savoir qu'il était au courant du motif de leur expérience. Après tout, sa devise reste : ne jamais poser de questions.
En quelques heures, il a perdu sa crédibilité en tant professeur, sa famille, sa liberté. La descente aux enfers qui vient tout juste de commencer est soudaine, bien trop subite, même pour un intellectuel comme lui.
Il n'a plus droit à l'erreur sinon il risque d'atteindre le point de non-retour. Il veut prendre son temps pour peser le pour et le contre de l'offre qu'on lui propose, voire même essayer de convaincre Isa pour ne pas perdre Gaëlle. La vie en prison ne lui fait pas peur ; il a assez côtoyé la solitude et le silence dans ses jeunes années pour bien les connaître, mais c'est de perdre des années de recherches qui l'effraye.
« Je ne peux pas prendre de décision hâtive. Vous pouvez repasser dans un jour ou deux ? » demande calmement Tempéra.
L'avocat hoche la tête sans un mot le regard toujours aussi pressant.
« Comme vous voulez. Je repasse demain en fin de journée, » affirme-t-il en tournant les talons.
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