Partie 12 - Chapitre 3 : (3/6) Les mystères de la vie
LE MYSTÈRE DE LA VIE
De retour à son bureau, Tempéra réclame aux assistants les vidéos de toutes les caméras de surveillance du laboratoire. Il regarde une à une en vitesse accélérée ; les yeux braqués sur les six écrans, il voit les journées défilées à l'identique ; son équipe et lui affairé comme des fourmis tandis que le couple s'installe immobile devant le tube tel deux statues de pierre. Le scientifique sait qu'il doit y avoir une explication autre que celle de sa cliente.
Il y a peut-être eu une anomalie avec l'eau amniotique enrichie. Une mutation de la substance qui aurait causé celle de l'embryon. Ce serait du jamais vu, mais cette hypothèse représente effectivement une possibilité. Le chercheur saisit une pipette avant de se diriger d'un pas décidé vers le tube. Le liquide est testé et contrôlé tous les jours par son équipe. L'un d'entre eux aurait-il injecté quelque chose dedans lors des tests ? Ce couple se sert peut-être de lui pour mener leur propre expérience.
Tempéra verse sur le microscope la goutte de mélange liquéfié prénatal qu'il a collecté dans la pipette, puis il attend les résultats debout devant l'appareil. La substance est identique en tout point.
Alors, il retourne à son bureau pour consulter à nouveau le fichier, cette fois-ci sur double moniteur pour mieux comparer ces dernières données avec celles initialement collectées. Son regard passe d'une liste à l'autre tandis que sa tête tourne de droite à gauche jusqu'à ce qu'il s'arrête soudain nette ; son visage se ferme au fur et à mesure que ses yeux continuent de passer au peigne fin les données. Il reste figé et bouche bée.
Comment est-ce possible que cet enfant ait maintenant le gène de Babel ?
Le scientifique fait volte-face pour dévisager les autres membres de l'équipe qui s'affairent autour de lui comme si de rien n'était. Il tombe des nus. Est-il vraiment le seul à avoir réalisé la première qui vient de s'accomplir sous leurs yeux ?
Le gène de Babel vient d'être implanté artificiellement avec succès chez un être humain incompatible. Incroyable ! En effet, mais reste à savoir qui a tenté la procédure et comment ? Il peine à contenir la stupeur et la colère qui l'emparent. Il va se rasseoir à son bureau sans dire un mot et reste un long moment à réfléchir la tête entre les mains.
Un assistant qui remarque la mine de son responsable s'approche de lui pour demander doucement en posant une main légère sur son épaule :
« Vous allez bien professeur Akheeli ? »
Ce dernier sursaute, surpris par le geste. Il se tourne à peine vers la jeune femme pour répondre le ton grincheux et l'air anxieux :
« Ça va, merci. »
Tandis que la femme s'écarte de lui pour rejoindre les autres et continuer sa tâche, il les observe en pinçant les lèvres, le regard sombre et méfiant. Soudain, il bondit de son siège pour foncer vers la sortie du laboratoire.
« J'en ai eu assez pour aujourd'hui. À demain ! » marmonne-t-il à son passage.
Le groupe de chercheurs le regardent l'air amusé. Le professeur s'éloigne d'un pas précipité tandis que les autres s'en retournent à leur travail.
***
Allongé sur son lit, Tempéra fixe le plafond incapable de trouver le sommeil. Il n'y croit toujours pas ; ils sont enfin parvenus à recréer artificiellement le gène de Babel, mais il ne sait pas comment. Il a beau décomposé et recomposé scène par scène les étapes de l'expérience, il ne trouve aucune faille.
Ce couple bizarre et importun y est peut-être vraiment pour quelque chose, mais comment l'expliquer, et surtout comment reproduire l'opération. Il est évident qu'ils ne lui disent pas tout sur la raison de leur présence autour du tube. Après-demain il repart déjà au Togo pour revenir dans sept mois. Il ne pourra jamais attendre jusque-là, il lui faut résoudre ce mystère avant son départ. Ils doivent assurément connaître quelque chose, mais s'ils sont restés dans le secret depuis tout ce temps, pourquoi lui diraient-ils maintenant ?
Le lendemain, Tempéra est le premier arrivé à son poste de travail. Assis à son bureau, les imprimés en main, il observe ses coéquipiers entrer l'un après l'autre en le saluant. Une fois l'équipe au complet, il se lève pour s'adresser à eux. Comme il se le doutait, tout le monde admet avoir constaté la soudaine transformation du fœtus, mais personne ne semble avoir une explication autre que celle donnée par le couple. Chaque assistant affirme avoir suivi ses instructions à la lettre sans le moindre écart.
« Pourquoi l'explication de Mr and Mme Karim vous surprend-elle autant ? Croyez-vous vraiment cette explication totalement impossible ? » questionne l'un d'entre eux calmement.
« Leur réponse ne vous plaît pas, n'est-ce pas ? » affirme un autre.
« Changer la matière par la pensée ? Vous plaisantez ? » rétorque Tempéra avec un sourire narquois avant de remarquer le changement d'expression sur tous les visages. Le professeur reste un long moment à les regarder l'un après l'autre hésitant et craintif. Ils sont impliqués, il n'en a aucun doute maintenant.
« Retournons au travail ; nous verrons bien dans huit mois ce qui sort de ce tube, » finit-il par s'exclamer en haussant les épaules avant de leur tourner le dos pour se diriger vers son bureau.
À la fin de la journée, Tempéra reste au laboratoire pour rassembler ses effets après que tout le monde soit parti. Il a copié le dossier au complet comme d'habitude à la fin de chaque contrat. Le couple se trouve autour du tube avec le même silence méditatif. Il les interpelle en s'approchant.
« Eh bien, merci pour votre excellente coopération professeur Akheeli, » le couple dit en tendant leur main presque simultanément. Il trouve la remarque une insulte à son travail ; il a participé à cette expérience à titre de simple figurant et il devait maintenant repartir sans réponse.
« Vous me reverrez dans huit mois comme prévu, » fait-il en leur serrant respectivement la main. Par bon sens commercial, il s'assure toujours de délivrer lui-même à ses clients le produit fini. D'ailleurs, il est payé 80% au début de la procédure et les 20% restant à la fin de toute l'opération après la naissance du bébé.
« Tout devrait bien se passer, » affirme Mme Karim avec un large sourire.
Tempéra fixe brièvement le fœtus dans le tube avant de s'éloigner. Pour la première fois, il sent son travail inachevé et son talent abusé pour une œuvre dont il ne partage pas les valeurs. Aussi absurde que cela puisse lui sembler, il est forcé d'admettre qu'il n'a aucun contrôle sur sa recherche : ses expériences, ses études, dépendent de gens riches et capricieux. Quant à lui, il n'est qu'un jouet entre leurs mains de fer.
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