L'ÉNIGME

Le processus a débuté il y a une dizaine de jours et le fœtus grandit à grande vitesse. Les parents sont ravis et chaque jour, ils restent plantés des heures durant devant leur progéniture en gestation. Une grossesse naturelle prend neuf mois tandis que dans le cas d'une naissance artificielle, la croissance du bébé n'en prend que huit. Une fois l'embryon confortablement installé dans le tube incubateur, Tempéra pourra s'en retourner chez lui et revenir sept mois plus tard pour préparer la naissance. En plus de quinze ans de pratique, il n'y a jamais eu de complications.

Le comportement des Karim amuse le scientifique qui prend grand plaisir à les observer à travers le vitrage du laboratoire. Ces clients en particulier, sont inintéressants pour sa recherche. Il a refusé leur requête une douzaine de fois pour finalement accepter leur contrat, uniquement pour l'argent qu'ils étaient prêts à payer pour lui faire perdre son temps. Le couple n'a aucun descendant autre qu'asiatique et caucasien et ils ne souhaitent pas modifier le programme génétique de leur enfant. 

De ce fait, ce dernier sera non seulement non-porteur du gène de Babel, mais en plus, il risque d'avoir une espérance de vie très inférieure à la moyenne de la population. Depuis son court passage de l'autre côté de la porte bleue, le professeur suspecte que leurs intentions soient douteuses. 

Toute forme de religions a été bannie il y a un peu plus de dix ans par le parlement mondial. Le simple fait d'exposer des tableaux tels que ceux accrochés sur leurs murs pourraient leur valoir une amande, voire même des mois en prison. Il comprend maintenant que l'origine de leur demande ne se trouve ni dans leur infertilité, ni dans leur désir d'élever un super enfant.

Debout devant la vitre, les bras croisés sur son torse, un petit sourire aux lèvres, Tempéra les regarde contempler leur tube béatement. Il soupire, puis se tourne pour demander à l'un des assistants de lui envoyer le fichier du programme génétique du fœtus afin de s'assurer qu'aucune anomalie n'ait apparu. Cette précaution doit être prise tout le long du processus.

L'homme s'exécute avec diligence.

« C'est fait, » s'exclame-t-il aussitôt en levant brièvement les yeux vers le professeur.

Ce dernier se dirige vers son bureau pour saisir sa tablette avant de s'en retourner vers le vitrage. Il jette un œil furtif vers le couple devant le tube, puis il clique sur le fichier pour l'ouvrir. Il reste debout absorbé par son écran. Il fronce les sourcils une fraction de seconde avant de faire subitement un tour sur lui-même comme s'il cherchait quelque chose. Enfin, il se met à marcher tête baissée vers l'assistant à qui il s'est adressé plus tôt.

« Vous vous êtes trompés. Il s'agit d'un autre fichier. Pouvez-vous m'envoyer le bon, s'il vous plaît, » fait-il impatiemment en posant sa tablette sur le bureau de l'assistant.

« J'ai envoyé exactement ce que vous m'avez demandé, » rétorque ce dernier.

« Ah oui, » enchaîne Tempéra irrité. « Pouvez-vous alors m'expliquer qui a changé le fœtus ? Parce que si ces informations sont correctes, notre fœtus... » Il inspire profondément comme pour avaler l'aberration qu'il s'apprête à dire. « ... n'est plus le même. »

Étonné, le jeune homme regarde alternativement le professeur Akheeli et les Karim avant de s'exclamer :

« Des caméras de surveillance filment le laboratoire 24h/7, on peut vérifier, si vous y tenez. »

« Je vous demande juste de me donner le bon dossier, » répond Tempéra en contenant sa colère.

L'assistant n'insiste pas et renvoie le fichier avant de lui tendre la tablette. Ensuite, il s'éloigne tête baissée de son responsable sans un mot.

Exaspéré par les résultats après avoir consulté le nouveau fichier, le scientifique s'assied devant son ordinateur pour retrouver lui-même les données. Forcé de constater que celui qu'il a sous les yeux correspond à l'identique aux deux autres, il se lève pour se rapprocher de la vitrine et observer le couple qui contemple toujours silencieusement le cylindre empli de liquide.