Chapitre 1
À l'horizon, au beau milieu de la nuit limpide illuminée par le clair de Lune, une flopée d'êtres marins émergeaient des eaux froides de la mer.
Avec délicatesse et toute l'élégance qui leur était conférée, les créatures se jetaient sur le banc de sable jonché par des rochers noirs, là où les grains de sable frivoles se faisaient emporter par le vent frais d'Écosse.
Dès que la fourrure d'un de ces êtres effleurait la terre ferme, le corps de celui-ci semblait s'allonger et grandir, au point où la forme qu'il prenait paraissait similaire à celle propre aux Hommes.
Protégés par une peau d'animal, femmes et hommes s'observèrent un à un, avant de sourire en harmonie dans la pénombre du royaume nocturne.
Un air mélodieux s'éleva dans les airs irréels de cette féérie, et chacun se mit à se mouvoir, s'égailler et danser au rythme de la douce et entraînante musique.
Affalée contre un rocher, dans un coin sombre et reculé, une silhouette observait la fête folklore, ne ratant aucun instant de l'événement exceptionnel qu'elle découvrait.
Des femmes, aussi belles les unes que les autres, dansaient joyeusement le bonheur de la mer seins nus, dépourvue de leur peau de bête des mers laissées futilement sur les divers rochers qui les entouraient.
De bels hommes accompagnaient celles-ci avec des chants gais, apposant un fort contraste avec le noir de la nuit presque triste et mélancolique.
La silhouette s'approcha des rochers où les peaux étaient posées.
Elle en choisit une au hasard et osa caresser la douce fourrure argentée et tachetée de motifs noirs.
Ce sentiment agréable au bout de ses doigts étonna l'inconnu qui ne put s'empêcher de replonger sa main pour parcourir de nouveau la dense fourrure enchanteresse.
Un cris strident brisa l'atmosphère joviale, révélant au grand jour la sombre silhouette.
Chaque membre du groupe s'affola en découvrant l'homme trapu qui détenait la peau d'une des leurs.
Les femmes accoururent vers leur bien avant de l'enfiler pour s'y enrouler avec hâte et finalement replonger dans les méandres de la mer.
Après cet instant de panique, alors qu'il se pensait seul, l'homme sentit une présence derrière lui et se retourna rapidement, les sens à vif.
Une ombre menue s'approcha vers lui.
À travers les rochers apparut une femme.
Elle était éblouissante, encore plus belle que toutes celles qu'il n'avait jamais vues.
Vulnérable, elle semblait désespérée et se jeta aux pieds de son dérobeur.
- Je vous en conjure ! Rendez-la-moi ! Pitié ! Ayez pitié ! Laissez-moi rejoindre les miens ! cria-t-elle en sanglotant.
Encore abasourdi par la beauté inouïe de cette femme, l'homme ne lui répondit pas.
Il s'agenouilla avec lenteur devant elle et posa avec la plus grande délicatesse sa main rugueuse sur la voluptueuse joue qu'il crût d'un blanc immaculé.
Un temps passa avant qu'enfin sa voix rauque ne retentisse dans l'air.
- Aimez-moi... murmura-t-il.
Une ombre passa dans les yeux célestes de son coup de foudre, qui furent rapidement emplis de grosses larmes hurlant à l'agonie.
Plus jamais la mer ne serait sienne.
Plus jamais elle n'appartiendrait à la mer.
À sa mer.
----- Ellipse -----
Située entre des falaises éparses et d'immenses grottes, accompagnée par de puissantes vagues s'échouant sur le rivage, la beauté naturelle pure et brute du sable et les vues incroyables qu'offrait la plage émerveillaient toujours autant chaque individu qui s'y promenait.
Les vagues s'écrasaient sur les immenses parois de pierre avec brutalité, laissant une délicate écume sur les roches noires.
Aux côtés de leur père, deux frères se chamaillaient gentiment sous le soleil rare d'Écosse.
- Allons les garçons, le temps semble nous être favorable. Hâtons-nous !
Courant sur l'étroit ponton, les deux jeunes hommes se bousculèrent en se précipitant vers le modeste bateau de pêche amarré au bout de l'installation en bois.
Hissant la grande voile blanche, le père ne remarqua pas son cadet se glisser sous les épais filets de pêche.
Ewan était le troisième et dernier fils du pêcheur du village.
Encore trop jeune selon son père, le cadet n'avait encore jamais eu l'autorisation pour sortir en mer comme ses frères le faisaient régulièrement.
Et lorsqu'Ewan s'approchait trop du rivage, son père le ramenait de force loin de celui-ci, à la plus grande déception de son fils qui ne comprenait pas pourquoi on lui refusait l'accès à ce sublime monde inconnu.
La mer était alors devenue un rêve pour le jeune homme.
Attirante, irréelle...
Il en rêvait.
Il rêvait de pouvoir plonger dans cette eau différente de celle qu'il connaissait.
Il souhaitait plus que tout au monde nager librement dans cette étendue bleutée, ressentir cette euphorie qu'on lui décrivait si souvent, jouer avec les vagues de cette mer si intriguante.
Alors qu'il gesticulait discrètement dans l'espoir de minimaliser les chances quant à se faire repérer, Ewan sentit sa couverture de cordes et de lianes glisser, le découvrant totalement de sa cachette.
Un regard dur se posa sur lui, une lueur d'irritation que le garçon connaissait bien brillait dans les yeux gris du pêcheur.
- Ewan. Retourne aider ta mère à la maison. Tu n'as pas ta place ici. Dit durement son père.
Soufflant l'injustice qu'il vivait, le brun quitta l'embarcation en traînant des pieds.
Il se retourna et vit le bateau quitter le ponton, le vent soufflant contre les voiles, dirigeant ainsi le petit équipage loin de la plage, vers l'horizon.
Ewan pût cependant entendre une voix rauque crier depuis le bateau.
- FILS ÉLOIGNE TOI DE CETTE PLAGE ET VA AIDER TA MÈRE !
Grinçant des dents, Ewan se retourna et parti d'un pas rageur vers la chaumière au bout du chemin menant vers la plage.
Il pénétra dans la petite cuisine où sa mère s'agitait devant le feu qui réchauffait un bouillon dans lequel une multitude de légumes trempaient dans l'eau fumante.
- Maman.
La femme au tablier se retourna avant de passer une main chaude dans les cheveux noirs corbeaux de son fils.
Un sourire se dessina sur son beau visage aussi pâle et fragile que de la porcelaine.
- Ewan. Tu as encore essayé n'est-ce pas ?
Mollement, le jeune homme hocha la tête, une moue apparante sur son joli minois.
Ewan ressemblait beaucoup à sa mère.
Les mêmes traits, fins; la même chevelure, aile de corbeau; les mêmes yeux, bleus nuit.
Il avait hérité de la fine silhouette de sa mère, contrairement à ses plus vieux frères qui ressemblaient à leur père, robuste et imposant.
- Ton père craint qu'un malheur ne t'arrive en mer..., ne lui en veut pas de vouloir te protéger...
Comme simple réponse, il hota la main de sa mère qui avait continué de jouer avec ses cheveux et se releva sans un mot.
- À mon âge, mes frères savaient déjà comment naviguer seuls. Moi, je ne sais même pas quel nœud est nécessaire pour l'amarrage ! S'exclama-t-il avec amertume.
Ewan quitta la chaumière en courant et se dirigea vers la place du village à grandes enjambées.
Là, il accourut vers la grande fontaine où il y plongea l'entièreté de son visage.
L'eau froide lui picotait la peau, glaçant ses lèvres pincées qui retenaient un cri de frustration étranglé.
Il était fils de pêcheur et pourtant, il n'était même pas capable de nager.
Il se sentait pathétique, honteux, mais surtout enragé contre son père qui aurait pu le laisser apprendre comme il l'avait fait avec ses frères.
Contre sa mère qui aurait pu lui faire découvrir la mer en cachette, sans que son mari ne le sache.
Contre lui-même, qui n'osait pas s'approcher de cette eau salée, par crainte de tout ce que son père lui avait raconté dessus.
Une poigne l'arracha de l'eau fraîche et Ewan découvrit une petite dame qui l'observait d'un mauvais œil.
- Ne mets pas ta sale tête dans cette eau, j'ai toute une maisonnée a faire boire et je ne veux pas de saletés dans mes jarres !
Elle plongea les quelques récipients en argile rouge dans la fontaine et les disposa un à un dans deux paniers en osier qu'elle souleva ensuite pour repartir une fois sa tâche accomplie.
Soupirant de frustration, Ewan se laissa glisser contre le muret en pierre et resta avachis au sol un bon moment, observant le vide du village.
Le marché n'allait pas tarder à ouvrir, les tentes et cabines remplies de leur bric-à-brac s'installaient silencieusement autour de la grande fontaine, plaçant leur plus belles marchandises en avant, afin d'attirer le plus de clients.
Ceux qui présentaient les vivres avaient une place d'honneur au milieu de toutes ces installations, la nourriture restant la première nécessité de tout client.
Ewan vit sa mère arrivée sur la place, tirant une charrette où de nombreux produits de mer étaient couchés et empilés les uns sur les autres, attendant simplement d'être cuits et dégustés.
Il l'observa converser avec une petite dame toute dodue et souriante qui portait cependant une forte voix.
Sa mère déchargea la charette de tout son pactole alors que la grosse dame était partie à l'intérieur de la maigre tente; sûrement pour y chercher l'argent dû.
Ewan détourna le regard et se releva, apercevant Malcolm le fils du forgeron s'approcher.
- Tiens Ewan, tu n'es pas avec ta môman à ce que je vois. Déclara-t-il fièrement de sa voix exaspérante.
Les yeux verts du blond s'arrêtèrent sur un point fixe derrière Ewan qui se retourna brusquement.
- C'est que tu la laisses faire tout le travail en plus... La pauvre, en plus de devoir te supporter à longueur de journée, elle doit s'occuper de tout... Quelle plaie d'avoir un fils comme toi.
Retenant son poing qui hésitait à rencontrer la mâchoire de Malcolm, Ewan grinça des dents, son regard fusillant l'autre.
- J'ai vraiment pas besoin de tes commentaires Malcolm, lâche-moi.
Sur ses mots, Ewan reparti en direction de sa mère qui commençait à remonter la pente, tirant encore et toujours la lourde charette en bois.
Cependant, une main se posa avec force sur son épaule, le détournant de son chemin.
Une ombre colérique brillait au fond de ses yeux, transperçant le blond qui dégagea rapidement sa main bien que son sourire narquois ne quittait pas son visage.
- Imbécile, qu'est-ce que tu me veux encore ?
- Le vicomte d'Antrim va visiter le village, je te conseille de rester chez toi pour ne pas faire honte à tes parents.
Et le blond reparti d'un pas nonchalant vers la forge située à l'autre bout de la place, narguant de plus belle le fils du pêcheur.
Quel idiot, pensa Ewan, s'il croit que je vais l'écouter comme un chien il se met le doigt dans l'œil !
Et Ewan reparti d'un pas rageur vers sa mère qui avait déjà fait un bout de chemin.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top