Un inspecteur aux abois 4


Le lendemain, justement, il se rendit à la grande animalerie de la ville, suivit de son subordonné. Ils entrèrent par la grande porte et Antoine admira, sûrement pas pour la première fois, la magnificence du rangement impeccable du hall de la faune. Tout était à sa place, délicatement bien placé, selon de stricts axes de symétrie. Premièrement et principalement, un quartier pour les chiens, qui faisait les trois quarts de la surface, l'ultime quart étant dévoué aux quartiers des chats, des rongeurs, des poissons, des reptiles, et ceux de divers mammifères. Ils allèrent droit au bureau du directeur, le badge d'inspecteur ouvrit pour cela toutes les portes. Ils y débarquèrent sans tracas, le directeur acceptant volontiers de les aider, il trouvait tout cela abominable selon ses dires.

- Bonjour Mr Adammount, c'est ça ? les salua-t-il.

- Inspecteur Everiver, Mr le Directeur. Nous sommes ici pour l'affaire des chiens.

- Bien entendu. J'ai ouïe tout cela. J'ai été obligé d'enfermer Médor tellement j'avais peur pour lui !

Comme l'expliquera plus tard Antoine à Everiver, Médor était un chihuahua minuscule, dont la petite taille et les grands yeux étaient des caractéristiques qu'il partageait avec son maître quinquagénaire, le présent directeur, Mr Fodrie, reconnaissable de loin à sa voix trop aiguë et son pas bondissant, comme s'il avait comme devoir moral d'avoir des foulées aussi grandes que ceux de taille moyenne ou plus si affinités.

- Nous veillerons à ce que ce mystère soit résolu au plus vite, monsieur Fodrie, assura le policier natif.

- Merci Antoine, toujours bon garçon a ce que je vois. Déjà étant jeune...

- Ne nous écartons pas du sujet, Mr Fodrie, intervint Everiver, de peur d'un flot de parole à la Mme Casbar. Je me demandais si le tueur de chien n'avait pas pour mobile l'argent, les autres motivations possibles ne convenant pas à un meurtre canin. Or, les deux propriétaires vont venir acheter un nouveau chien ici, et celui du maire se devra d'avoir un certain label, n'est-ce pas ? Dans ce cas-là, vous y gagnerez.

- Détrompez-vous ! Peut-être Mme Casbar achètera ici un chiot pour moins de 100€, mais monsieur le maire ne trouvera ce qu'il recherche que dans un chenil de professionnels. Et puis on dit pedigree, pas label. De plus, comme je vends aussi de la nourriture et des accessoires pour chiens, je suis loin d'avoir besoin d'argent !

- Hmmm, nous vérifierons. Auriez-vous alors une idée sur l'assassin ?

- Aucune ! Je n'y comprends rien.

- Eh bien, il ne me reste plus qu'à vous saluer, au revoir !

- Au revoir ! A bientôt Antoine !

Everiver dut tirer ce dernier jusqu'à la sortie, celui-ci ne voulant quitter ce paradis d'harmonie de mobilier et d'organisation. Autre raison, le temps tournait à l'orage. Une fois sorti sous le ciel gris, Everiver l'envoya vérifier les comptes de Mr Fodrie et partit ensuite revoir la légiste, peut-être avait-elle du nouveau. Elle sursauta quand il la salua, ne l'ayant pas vu arriver.

- Ah ! Monsieur Garcia !

- Euh, non. Everiver.

Elle rit.

- Oh, excusez-moi. Vous lui ressemblez beaucoup dans son rôle dans "Pars vite et reviens tard", le film adapté du livre. Alors, inconsciemment, je vous ai appelé...

Et elle re-rit.

- Sinon, vous avez du nouveau ?

- Oh non pas grand chose, je n'ai pas beaucoup d'équipement. Par contre, j'ai une idée pour vous, Tornade était un chien plutôt vif et seuls ceux qui le connaissaient pouvaient le calmer, donc l'empoisonner, car il ne mangeait qu'apaisé. Mme Casbar ne ferait jamais ça, mais son aide jardinier, Raphaël, si, il est taxidermiste et ça fait plus d'un an qu'on ne recense aucune mort de chien, il doit avoir épuisé ses économies et ce n'est pas les petites payes de Mme Casbar qui vont renflouer ses caisses. Les habitants de cette ville font empailler automatiquement leurs animaux défunts, ils les aiment trop, Raphaël était donc sûr d'avoir à nouveau du travail, de quoi regagner un peu d'argent. Cela explique le contrepoison présent dans le cocktail, utilisé afin de limiter les dégâts sur la structure capillaire et osseuse du chien. En plus, je me souviens qu'une amie m'a raconté qu'il aidait monsieur le maire à la réparation d'une armoire, le jour de la mort de Fidèle, donc, Raphaël est, à mes yeux tout désigné pour être le tueur de chien. Qu'en pensez-vous, Everiver ?

-...

- Monsieur Everiver ? Vous ne bougez pas beaucoup, vous pensez à respirer ?

-...

- Vous êtes fâché ? J'ai dit une bêtise ?

- Tout est juste, lâche-t-il enfin, blasé et dégoûté. Je n'avais rien vu. Je n'ai plus qu'à démissionner...

- Mais non monsieur ! Il faut le faire avouer ! Et nous n'avons aucune preuve ! Allez-y ! Courage ! Vous seul le pouvez !

- Si tu le dis...

Et elle re-re-rit.

- Votre tronche quand vous êtes déprimé est à mourir de rire !

Encore plus fantomatique qu'à son habitude, Everiver sortit du poste de police sous la pluie, ce qui l'énerva, lui rendant un peu d'entrain. Il allait défouler sa colère sur ce tueur perturbateur ! Il téléphona à Antoine qui lui donna l'adresse de Raphaël: 14 rue Sully, normal, il était le voisin de Mme Casbar. Il atteint la maison du taxidermiste en quelques courtes minutes, sous une pluie battante, chaque goutte attisant la violence régnant dans ses nerfs. Remonté par la Toute Puissance elle-même, avec une rage sans borne, paré d'un visage où était sculpté toute la haine du monde, le manteau trempé des torrents glaciaires qui avaient assaillis son corps, il sonna à la porte du 14, détruisant et écrasant le mécanisme sans même sans rendre compte. Suite à cette funeste sonnette plusieurs secondes s'écoulèrent, durant lesquelles Everiver prépara tout un sac de répliques à asséner à l'empoisonneur une par une pour qu'il plie et avoue en larmes, suppliant à ses genoux...Enfin, Raphaël ouvrit la porte et vit le monstre qu'était devenu Everiver. Sa peur fut si grande qu'il s'évanouit, tombant comme une masse sur le parquet, tel une poupée à laquelle on aurait coupé ses fils. Everiver le réveilla à grandes claques immédiatement, le relevant d'une poignée de fer.

- Est-ce toi qui...

- Oui ! C'est moi ! C'est moi ! Pitié ne me tuez pas ! J'ai tué ces deux chiens car ils m'aboyaient toujours dessus et ça m'énervait. Alors j'ai pris une cocotte minute j'ai mis tout les produits que j'avais sous la main, et je leur ai donné le mélange à boire ! C'est bon ! J'ai avoué, laissez moi, monsieur vous me faites peur...

Everiver le reposa, toute son énergie envolée. Il s'assit sur le premier tabouret venu et gémit, d'une voix sans vie:

- Mais je voulais juste finir de poser ma question...

- Oh je suis désolé monsieur, s'excusa Raphaël, sincèrement navré. Je vous ai interrompu. Quelle peine allez-vous m'appliquer ?

- Rien, niet, nada, néant, je ne le mérite pas. C'est Clémentine qui t'as percé à jour, pas moi. Par contre, elle croyait que tu avais fait ça pour l'argent, la taxidermie, tu sais.

- Mais monsieur, il y a méprise ! Raphaël le taxidermiste, c'est le 10 rue Sully. On est deux à porter le même prénom, c'est marrant, non ?

- Tu n'es pas le Raphaël qui aide Mme Casbar ?

- Bien sûr que non ! Les vieux me font flipper ! Moi qui ai vingt ans, des personnes pouvant mourir à chaque instant, j'en ai peur !

- Tu as la vieillophobie ?

- Si on veut, je sais que c'est irrationnel, mais... Monsieur ? Vous allez bien ?

- Un quiproquo ! Toute cette histoire résolue sur un quiproquo ! C'est trop drôle !

Et il éclata de rire, un rire semblable en tout point à celui de Clémentine. Il rentra au poste, et il riait toujours. Il installa enfin toutes ses affaires, et il riait toujours. Il rentra chez lui, finit de déballer ses cartons, et il riait encore. Il dormit profondément, mais cela ne l'empêcha de continuer à rire. Il s'arrêta enfin au petit matin, se rendit au poste, annonça les résultats de l'enquête et se rendit chez Clémentine. Il lui conta l'histoire. Et ils éclatèrent de rire.

Certains disent même qu'ils riaient encore, des années plus tard, de cette drôle d'affaire.

FIN

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