Morgane et Pierrette 1
MORGANE :
J'ai vécu mes premières années à Brocéliande, la légendaire forêt arthurienne. Pas celle que tout bon touriste qui se respecte visite au moins une fois dans sa vie, non. J'évoque ici l'endroit à l'origine du mythe, là où Excalibur naquit, là où la Table ronde fut façonnée, là où se cachent aujourd'hui nombre de créatures non-humaines : le Bois de l'Épée, une forêt cachée au sein même de la forêt. Pour moi, j'y suis né. Hélas, trop tard pour avoir pu connaître l'homme qu'on nomme Merlin de son vivant, mais je n'en ai pas moins rencontré ses amies les fées et, parmi elles, je me rappelle surtout d'Elfie, ma toute première tutrice.
Il n'existe personne d'autre au monde qui s'approche plus d'une mère à mes yeux qu'Elfie, et même si je ne l'ai plus vu depuis mon départ de Brocéliande, je sais qu'elle me soutient de là-bas. Aussi grande qu'une cerise, elle rayonnait et doit encore rayonner de douceur comme d'autorité. Je lui dois beaucoup, et pour preuve :
Elle m'a appris, je vous ferai dire,
À lire, à écrire, et peut-être à médire,
À compter, à chanter, mais ça j'ai arrêté
À débattre, à combattre, pas un ne l'infirmera
À marcher, trotter, galoper et bien sûr à danser !
Il y avait, je le concède, un long chemin à faire
Entre ma tendance au sommeil et mon mauvais caractère
Toutefois, et avec foi, passionnément et souplement,
Elle m'a enseigné à être, à paraître, et à être maître
D'autrui, de mon esprit et de ma si belle magie.
Il serait dès lors malhonnête de nier ma douleur quand j'ai dû la quitter pour le monde des Hommes. Encore aujourd'hui, il m'est interdit de retourner la voir, pour des raisons aussi obscures que terribles. De toute manière, même si je n'en faisais qu'à ma tête et y retournais malgré l'interdit, on ne m'ouvrirait pas la porte. Je le sais, j'ai essayé. Faute de grives on mange des merles, alors je me contente de l'évoquer en pensée et d'utiliser à bon escient le talisman qu'elle a créé spécialement pour moi : mon sifflet.
D'apparence, on croirait un sifflet banal en bois de chêne. Primo, c'est mon sifflet, donc je n'autorise personne à le qualifier de « banal » ; deuxio, il est super joli avec ses arabesques ; et tertio, il a un pouvoir bien à lui, un pouvoir très utile quand vous êtes une jolie fille comme moi et que la quasi-totalité des mecs en chaleur veulent votre numéro. Pour être plus précise, il...
-MORGANE ! Une lettre pour toi !
-J'arrive !
Je m'excuse, mais je vais être occupé, donc je continuerai la narration plus tard.
-Je descend !
PIERRETTE :
Elle descend enfin, la star du village, la sorcière du Manoir sur l'Eau, l'élève désobéissante d'Etienne. Si elle n'avait pas ses pouvoirs, je me demande ce qu'elle aurait bien pu faire de sa vie, tellement elle semble occupée à occuper son lit. Bref, ce ne sont pas mes affaires. Moi je lui donne sa lettre et je retourne à mon tricot. Je profite juste de la situation pour l'embêter comme de juste :
-La prochaine fois que tu tardes autant, c'est moi qui ouvre la lettre ! Je pense que tes clients préfèreraient une sorcière ponctuelle et parfaite (c'est-à-dire ma personne) à une fille toujours en retard comme toi.
-Haha ! Hélas pour toi, tu es bien trop jeune pour qu'on te confie des missions. Laisse faire les grands, se saisit-elle de l'enveloppe avec son petit sourire supérieur.
Le plan « agacement » est un échec cuisant. Le pire réside dans le fait qu'elle m'a renvoyé mon attaque :
-« La sagesse n'attend pas le nombre d'années. » ! je cite en désespoir de cause. Alors pourquoi je ne peux pas venir avec toi ? Mon Flux est aussi puissant que le tien, si ce n'est plus ! Et je suis super érudite : j'ai lu plein de livres ! Sans oublier qu'avec ma petite taille...
-Je vous arrête tout de suite, toi, tes citations et tes arguments, ce n'est pas moi qui décide, c'est Etienne, ou Isabelle, à la rigueur.
-Mais ils veulent pas !
-Parce que tu as dix ans !
-Je m'appelle Pierrette ! À qui feras-tu croire que j'ai un âge aussi ridicule ?
-À personne, tout simplement parce que j'ai autre chose à faire, cette mission par exemple, exhibe-t-elle à nouveau la lettre.
Et me laissant là, elle part. Elle part ! D'un départ qui, pour moi, sonne comme une déclaration de guerre. Si elle ne voulait pas que je vienne, elle aurait dû m'attacher ; maintenant ma décision est prise : je vais squatter sa mission !
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