Le voleur désespéré 2


MORGANE :


"Oh ma tête..."

J'ai mal

Ma tempe saigne 

Mon crâne tambourine

Mes paupières papillonnent


"Qu'est-ce que..."

Je sens une corde

Serrant mes poignets

Serrant mes chevilles 

Serrant mon ventre 

Liée à la chaise 

Impossible de bouger


"Qui..." 

Mes souvenirs s'allument 

Mon tuteur

Une mission 

Le talisman volé 

Eusebio

La 

Raclure


Tout me revient d'un coup. Son aveu involontaire, sa déclaration assassine, son attaque surprise. Il a osé me frapper. La colère gronde en moi. Ses explications ont intérêt à être convaincantes.


J'ouvre totalement les yeux. Pas de doute, je me trouve dans sa chambre. Des piles de livres patientent sur son bureau, son lit sent le fennec, les fenêtres closes prennent la poussière, l'abat-jour penche tristement sur sa lampe de chevet. La pièce, au-delà de l'odeur de renfermé, a une ambiance lourde, éteinte, comme si rien n'empêchait le temps de faire son œuvre. En regardant la chambre à nouveau, une évidence me frappe : seule la chaise, sur laquelle je suis attachée, a bougé depuis la dernière fois que je suis venue, il y a bientôt deux ans.


Le soir de notre rupture.


Un bruit derrière le mur me ramène au présent. Il s'est cogné à un meuble apparemment. Après les injures d'usage, il se remet à murmurer, et les quelques mots que je capte ne me semble pas de bon augure. S'il possède vraiment le talisman, alors ce n'est plus du pétrin dans lequel nous sommes, mais bien un véritable marécage carnivore.


Bon sang, Eusebio, dans quoi t'es-tu fourré ?


La douleur à ma tempe s'atténue, ce qui me permet d'user de ma magie. Je convertis les cordes à ma volonté et leur ordonne de me libérer, opération effectuée en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire. Je me masse un instant là où la corde a mordu ma chair. Il n'y est pas allé de mains mortes le goujat ! Un cri manque de bondir hors ma gorge alors que je me dresse sur la pointe des pieds. Je le retiens au vol et l'enferme à double tour. Pas un bruit ! Pas un mot ! Silencieusement, je me prépare à la contre-attaque. J'enroule les cordes envoutées autour de mon bras gauche et place mon sifflet à mes lèvres. Cette fois-ci, il ne m'aura pas. Il va vite comprendre qu'on ne se moque pas d'une non-humaine sans conséquence. Maman Morgane va lui apprendre la loi du plus fort.



EUSEBIO :


Si on me demande un jour comment j'ai trouvé la force d'assommer mon ex, de la monter au troisième étage malgré mes bras maigrichons et de l'attacher sur une chaise comme une otage, je ne pourrai pas répondre. Durant ces interminables trente minutes qu'il m'a fallut pour réaliser cette suite d'actions, je n'ai pas agi, je me suis contemplé agir. Il m'a fallut attendre de l'enfermer dans ma chambre pour que je réintègre enfin mon corps. À partir de là, plus moyen de faire marche arrière.

De toute manière, je ne le souhaitais pas. Mon objectif se profilait, la venue de Morgane n'a fait qu'avancer sa réalisation. D'une main je sors le talisman de sa cachette et de l'autre j'ouvre le livre des formules. Une erreur de prononciation et c'est la fin, alors je prends mon temps pour répéter, je me prends un coin de table, je jure, je me reprends, je répète à nouveau. Je le sais, je suis prêt pour lancer mon premier sort. Je saisis fermement le talisman, le place sur mon cœur, et commence à réciter la... La porte de ma chambre s'ouvre !


-Non !


-Et si !


Le cri du sifflet de Morgane me fige sur place, sa corde s'étend, m'arrache le talisman et elle frappe.


Fort.


Mon ventre explose, ma bile remonte, je crache, me tord, vacille, tombe.


-Relève toi ! Allez ! m'ordonne-t-elle sèchement.


-Un... instant...


Sa chaussure me gifle la pommette. Je vois trouble. Mon corps ne m'obéit plus. Je choit sur le côté, misérablement.


-J'ai dit : tu te relèves.


-Tu es... impitoyable.


-Et toi un connard.


Je me redresse difficilement sur les genoux. Je tremble de tous mes membres. Dieu qu'elle cogne dur. Je dresse mes mains comme un criminel interpelé :


-J'ai des raisons, figure toi.


-Rien n'excuse ce que tu as fait.


-Mais tout l'explique.


Elle ne réplique pas. J'ose lever la tête pour croiser son regard, mais n'y trouve que du mépris, avec une pointe de perplexité. Sa voix reprend, tranchante :


-Tu as une minute pour me démontrer qu'il y a quelque chose en ce monde qui justifie le fait que tu as volé un talisman ultra-dangereux, que tu m'as séquestrée et que tu as essayé de l'utiliser. Je t'écoute.


Je déglutis. Il est temps de passer à table.

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