La Chambre aux Voyages

Autorité, qui la détient ?

Il y a des réveils que l'on regrette, des matins où on n'aurait jamais du se lever. Celui-ci en fait partie.

Je lis énormément de romans, de comics, de BD et de mangas. Cela débute souvent par le héros qui se réveille soit dans le corps d'un autre, soit changé en une drôle de créature, ou encore dans un autre monde, parallèle au sien. J'adore ces histoires, surtout parce qu'elle ne m'arrive pas à moi. Je me dis toujours « Et si j'y étais ? Quelle serait ma réaction ? ». Mais laissez-moi vous dire une chose. Personne n'aimerait vivre une de ses aventures. En tout cas, moi, ça ne me tente plus, depuis cette journée.

7H00, mon réveil me hurle de me lever, j'obtempère, c'est celui qui crie le plus fort qui commande après tout. Je rassemble mes pensées, lentement, mais sûrement. Puis, je vais dans la chambre de mon petit frère, il a 1 an et demi et normalement, c'est lui qui me réveille de ses cris, mais à 4H00... Je pousse la porte et tourne ma tête brinquebalante vers son lit pour bébé. Mes yeux rougis s'habituent à l'obscurité et m'envoient un signal d'alerte : « Mon petit frère à disparu ! ». Je fouille la chambre rapidement : il n'y est pas ! Je m'habille en quatrième vitesse et descend les escaliers tout aussi vite. Mes parents dorment encore, plus pour longtemps. Je les secoue en leur annonçant la nouvelle. Il faut faire quelque chose ! Mon père me répond d'une voix étrangement calme :

- Tu as oublié ? On est lundi, il est parti travailler !

- Pardon ? répondis-je, arrêté net.

- C'est son premier jour à son nouveau travail, il devait être tellement excité qu'il en a oublié de nous laisser un mot. Maintenant, laisse moi dormir, on ne travaille que l'après-midi, nous. Tu n'oublieras pas de régler le parent-sitter pour ce matin, hein ?

Trop d'informations d'un seul coup, je vacille. Mon cerveau tourne en boucle. Je sors de la chambre parentale et prends mon petit-déjeuner, je réfléchirai mieux le ventre plein. Mon petit-frère travaille et mes parents ne bosse que l'après-midi ? Je dois leur payer un parent-sitter ? Un baby-sitter pour parents ? Je ne suis pas dans mon monde c'est clair. Impossible, ce n'est que dans les histoires que ça se passe comme cela. Je sais ! C'est une blague, on se moque de moi !

Je finis de me préparer, sans chercher mon petit-frère. Autant jouer le jeu de mes parents, je n'ai pas de temps à perdre avec ça, vu le contrôle qu'on a aujourd'hui ! Je m'apprête à sortir quand la sonnette retentit. J'ouvre la porte, personne, une blague sans doute...

- Qui regardes-tu de haut ? Aie du respect pour tes cadets ! fit une voix à mes pieds.

Un bébé en costard, ça me rappelle un manga...

- Bien, je vois que je suis arrivé à l'heure, continue-t-il. Mes honoraires sont de 50€ la matinée.

La somme est déjà prête dans ma poche, je la lui donne, presque par automatisme. Mais attends. Un bébé qui parle, ce n'est pas possible ! Je me frotte les yeux et le regarde à nouveau. C'est bien un bébé d'environ 2 ans qui vient de prendre l'argent, tout en continuant son monologue :

- Ne vous inquiétez pas, je vais très bien m'occuper de tes parents, sont-ils calmes ? Je déteste ça. Mais j'oublie que vous avez école, au revoir !

- Au... revoir...

Il ferme la porte, me laissant sur le seuil, abasourdi. Comme je ne sais pas quoi faire, je vais au lycée, comme prévu initialement. Frédérique m'attend au carrefour, comme d'habitude, enfin quelque chose de normal ! Quand je vais lui raconter mon histoire !

- Salut Fred ! Tu sais quoi ? J'ai payé 50€ à un bébé pour qu'il garde mes parents !

- Punaise, tu t'es fait arnaquer ! Moi je paye que 30€ !

- Je me suis clairement fait avoir...

What the hells is this ? Lui aussi ! Ils participent tous à la blague ou quoi ? On arrive à l'école et les surveillants sont des adultes ! Ah, ça fait plaisir ! On entre dans la cour, il reste un peu de temps avant la sonnerie. Des « Bonjour directeur ! » se font entendre. Ce gros mammouth se serait donc décidé à descendre de son perchoir ? Les gens s'écartent et apparaît un autre bébé en costard ! Il s'exprime en alexandrins en plus ! Tout le monde semble lui vouer un profond respect... Ca devient vraiment étrange. On va dire que je n'ai rien vu. La cloche retentit, on monte en classe. Apparemment, les professeurs sont déjà là. Je rentre dans la salle de cours et m'arrête : le prof est aussi un bébé ! Où est passé mon prof d'histoire chauve, Mr Flibus ? Le bambin débute son cours et tous mes camarades trouvent ça normal !

- Comme nous le savons tous, nous, humains, sommes parfaits de notre naissance à nos cinq ans, puis nous dépérissons. Nous devenons sérieux, absurde, paradoxal, menteur, lâche, obsédé, vil. C'est pourquoi, depuis l'an béni de 26, nous, les bébés, occupons les postes importants, les métiers intermédiaires sont ceux des jeunes adultes ; il dit ce dernier mot avec mépris ; viennent ensuite les trente ans. A cet âge, nous nous voyons obligés de vous muter à des postes mineurs, car nous avons vu ce qu'il se passait quand on laissait des vieilles personnes aux lieux de pouvoirs : c'est l'apocalypse ! Des guerres mondiales, des entreprises détruisant l'environnement, des conflits politiques insensés ! Tout cela pour vous dire : profitez que vous ayez entre cinq et vingt ans, amusez-vous, ces quinze années de liberté sont là pour mieux encaisser l'avenir. Vous pouvez y aller !

La totalité de mes camarades de classes se précipitent vers la sortie, moi je ne sais plus quoi faire. Le marmot-professeur m'appelle.

- Je vous ai bien observé, me dit-il.

- Ha, fut la seule réponse qui me vint à l'idée. Entendre ça de la bouche d'un bébé est assez déconcertant.

- Je pense que vous n'êtes pas de ce monde ci, n'est-ce pas ?

J'eus envie d'applaudir.

- Chapeau bas, car je devine qu'on est pas sur Terre, en l'an 2016 du calendrier chrétien.

- Absolument pas, me confirma-t-il.

- Comment avez-vous deviné ?

- Les bébés savent tout, quelque soit le monde dans lequel on est.

- C'est flippant. Et comment je retourne chez moi ?

- Vous n'êtes pas bien ici ? fit le poupon, étonné.

- Mon avenir pue un peu en ce lieu, alors je préfère tenter ma chance sur Terre. Obéir à des bébés n'est pas dans ma culture non plus.

- Dites-vous qu'obéir à des adultes peut paraître tout aussi absurde.

- En fin de compte, mieux vaut être son propre maître et décider soi-même de ses actes.

- Vous êtes très intelligent pour un adolescent, mais n'oubliez pas que sans dirigeant, les humains se sentent perdus.

Je n'en peux plus de me retenir, je ris, mais je ris, d'une puissance que tout le bâtiment du m'entendre.

- Excusez-moi, dis-je en reprenant mon souffle, entendre ça de la bouche d'un gamin...

- Vous êtes assez impertinent et insolent. J'ai appelé votre frère, il devrait vous aider à repartir.

- Tu m'as appelé ?

- Ah te voilà Georges ! Ton frère s'est perdu.

- Cela montre qu'il s'est éveillé à son pouvoir de Passeur.

- Petit frère ? Tu es en blouse ? C'est tellement...

Je repars dans mon fou rire. Il s'approche de moi et me dit avec le plus grand des sérieux :

- Bus magique !

Et je m'endormis, puis me réveilla. 4H00, les cris de mon petit frère me font lever de mon lit. Il est de retour dans son lit pour bébé, en larmes comme à son habitude avec, pour doudou, l'éternelle blouse blanche. Après cet étrange rêve, cette vision m'est plutôt agréable...

Voilà mon histoire. Fiction ou réalité ? Je ne le sus jamais. Il faut dire que la barrière entre les deux est si mince. Par contre, une phrase me reste en tête : « Cela montre qu'il s'est éveillé à son pouvoir de Passeur. ». Serais-je un héros, naviguant à travers les dimensions ? Cela m'importe peu, sauf s'il y a une magnifique femme à la clé...

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top