Histoires de dessins 1
Quand je m'attarde sur les réseaux sociaux, il m'arrive d'imaginer les histoires des personnages que dessinent certains artistes. Alors je les écris, et ça donne ça :
On ouvre le bal avec Monsieur.BN et sa prêtresse du 23 juillet 2017 :
L'aube se levait. La lumière naissante caressa les paupières de la jeune femme assoupie sur la pierre. Gênée, elle ouvrit un œil pour voir ce qui venait troubler son sommeil. Le matin, déjà ? Elle avait tant dormi ? Prise de panique, elle descendit de son lit d'une nuit pour courir jusqu'à son village.
Perdu dans les forêts d'une lointaine contrée, le village de Dyrén prospérait grâce au fleuve qui le traversait et à toutes les richesses de la jungle tropicale. Giula y habitait depuis sa naissance et en connaissait tous les habitants. Ils n'étaient qu'une petite centaine à y résider, ce qui rendait la tache moins difficile, mais une raison particulière faisait d'elle une habitante à part entière : elle était la fille de la prêtresse.
S'il aurait été de l'usage qu'elle succède à sa mère, le destin s'y refusait. Alors qu'une prêtresse devait pouvoir transcender et abandonner son enveloppe physique pour communiquer avec les dieux, Giula en était tout simplement incapable. Blessée à la jambe lors de l'attaque d'une bête sauvage au village, elle n'avait été guérie que trop tard. Si bien que sa cicatrice à la cuisse avait enfermé la douleur dans son corps et son souvenir avec. A la moindre tentative de transcendance, la blessure se réveillait et la ramenait dans son maudit corps tel un électrochoc.
Personne ne la blâmait pour cela, à part elle-même. Elle continuait d'afficher un sourire de façade, même devant sa propre mère, et ne s'entraînait que sur la Colline de la Pierre Couchée. C'était d'ailleurs là qu'elle s'était réveillé ce matin. Elle savait le danger d'une transcendance avec son handicap, mais elle ne pouvait plus supporter la compassion de son entourage.
En passant par la fenêtre de sa chambre, elle se blottit incognito dans son lit de plumes, comme si elle n'avait pas bougé de la nuit. Juste à temps. Son oncle ouvrait déjà la porte de bois d'acacia pour la faire se lever :
-Tu devrais venir, Giula, un voyageur est arrivé en ville ce matin. Alors dépêche toi d'aller lui parler, il ne le pourra plus au zénith.
-Je viens, bougonna-t-elle sans feindre nullement sa fatigue, elle était épuisée.
La coutume du village voulait que ceux qui arrivaient jusqu'à eux ne devait pas repartir. Si c'était un homme, une femme en profitait pour devenir mère, puis il mourrait. Si c'était une femme, elle avait un sursis de neuf mois. Dans les deux cas, une chance leur était offerte : au cas où une majorité les acceptait, ils pouvaient rester à vie. Ce n'était arriver que deux fois. Dans la plupart des cas, les voyageurs avaient pour mission divine de les convertir, ils n'en avaient jamais le temps.
Cette fois-ci, les choses étaient différentes : l'homme semblait être attiré par la soif de savoir et souhaitait cartographier leur forêt. En apprenant cela, Giula se dit qu'il ne survivrait pas jusqu'au zénith, ce genre de volonté était dangereuse pour la sécurité du village.
Un cercle s'était déjà formé autour de lui, entièrement féminin. A qui pourrait le mettre dans son lit. Par son titre, Giula put s'entretenir avec l'aventurier seule à seul. Puisqu'il lui était interdit de donner la vie, personne ne l'envia. Sans un mot, elle l'emmena à l'écart et le considéra d'un regard. Aussi musclé que les guerriers du village, il avait une barbe mal entretenue et une chevelure brune désordonnée. Plutôt jeune, son œil droit ne s'ouvrait qu'à moitié et son nez était orné d'une large cicatrice. Il semblait tout heureux de se retrouver à ce qu'il prenait pour le paradis, il ne savait pas qu'il s'y retrouverait bientôt. Ses vêtements en lambeaux supportaient une foule de poches et de sacoches contenant une foule d'objets inconnus de Giula. Son sac était aussi immense que leurs jarres de fruits à coque et son chapeau était proprement ridicule. Rendu encore plus curieux par le silence de la fille de la prêtresse, il ne put s'empêcher de demander :
-Tu as l'air importante, dis moi, tu es quelqu'un de spécial, c'est ça ?
Il parlait la même langue que les six derniers voyageurs, ça allait simplifier les choses.
-Je suis la fille de la prêtresse, annonça-t-elle sans s'attarder plus. J'ai un souci, as-tu des connaissances en chamanisme ?
-Chamanisme ? Oh non, pas moi, je ne supporte pas les tatouages, rit-il à gorge déployée.
-En sorcellerie ? continua Giula en se remémorant le vocabulaire appris il y a un an de cela par un précédent voyageur.
-Ah, je comprends. En médecine, tu veux dire ?
-Si c'est le mot que vous utilisez quand il s'agit de soigner.
-C'est ça, médecine.
-Alors ? Vous vous y connaissez ?
-Je n'ai pas de doctorat, mais j'ai les bases, rassurez-vous.
-Peu importe ce que vous avez ou non.
Il faudra qu'elle apprenne la signification de « doctorat » plus tard. Pour l'heure, il y avait plus important :
-J'ai été blessé il y a de nombreuses années, mais la douleur persiste. Pouvez-vous l'extraire ?
-Il faudrait que je vois la blessure, dit-il en se grattant la tête, pas vraiment sûr de lui.
Elle dévoila sa cuisse gauche, montrant une cicatrice tenace qui ne ressemblait en rien à ce qu'avait pu voir le voyageur. Sauf si... Il sortit de sa besace un trophée de chasse de la nuit dernière, suite à combat contre un tigre particulièrement féroce :
-La bête qui te l'a fait, avait-elle ce genre de griffe ?
Jamais Giula n'aurait pu oublier la créature qui lui avait laissé cette marque. Elle reconnut immédiatement la griffe et s'étonna de voir le voyageur en sa possession :
-Vous avez tué seul un Tigre Flamboyant ? s'étonna-t-elle un instant.
-C'est comme ça que vous l'appelez ? Remarque, vu sa couleur rouge, il n'y avait pas vraiment le choix des mots, sourit-il à son propre trait d'esprit.
-Vous êtes fort, constata-t-elle d'une voix atone. Sinon, comprenez-vous pourquoi la douleur persiste?
-Eh bien, j'ai peut-être une idée, se gratta-t-il la barbe. Vous voyez la courbure qu'opère la griffe à sa pointe ? Ca fait comme un petit crochet, qui a l'air moins résistant que le reste de la griffe. Lorsque le tigre vous a blessé, cette partie a du rester dans votre cuisse, et s'y creuser son petit nid. Si vous êtes encore en vie, c'est que ça ne doit pas être dangereux pour votre vie. Par contre, si vous voulez l'extraire, il va vous falloir un chirurgien.
-Un quoi ?
-Un chirurgien, c'est quelqu'un capable de résoudre votre problème en réouvrant la cicatrice pour enlever ce bout de griffe. Sans lui, l'opération est impossible.
-Notre chaman peut très bien le faire, répliqua-t-elle comme si on insultait son peuple.
-Evidemment, évidemment, mais je doute que vous n'ayez le matériel pour la pratiquer sans risquer une complication. Une complication qui pourrait causer ta mort.
Giula réfléchit à ce que les mots de l'homme impliquaient. Il semblait sincère, mais si elle devait attendre que ce chirurgien arrive à Dyrén, elle ne serait jamais prêtresse avant longtemps, trop longtemps.
-Où se trouve ce « chirurgien » ?
-Il y en a un dans le port d'où je viens, à deux semaines de marche. Comme je prévois repartir ce soir, je peux vous accompagner, j'ai toutes les données que je voulais.
-Marché conclu, nous repartons ce soir, dit-elle en lui tendant la main.
Il la serra et elle conclut l'entretien. Elle le renvoya à ses amies, mais resta à observer, pour une fois. En un mois, elle pouvait être de retour et transcender, elle sourit presque en y repensant. Un mois, c'était la durée d'un voyage de purification aux Cinq Cascades. Elle pouvait partir sans inquiéter ni être inquiétée : elle avait un prétexte. Elle trouverait ce chirurgien et le voyageur allait l'aider, mais d'abord, il devait mourir, pour respecter la coutume du village.
Ce fut Raïl qui eut les faveurs du voyageur. Il avait bon goût, c'était une perle cette fille. La boisson aphrodisiaque qu'on lui fit boire eut bientôt raison de sa raison et il la rejoignit dans sa chambre, à moitié découvert. Giula récupéra son équipement grâce à son rang, qu'elle dissimula à la sortie du village. Cela fait, elle partit faire part de son voyage à sa mère. Sans surprise, celle-ci accepta avec un grand sourire, fière de l'initiative de sa fille chérie. Bien sûr qu'elle pouvait partir seule, elle était grande maintenant et la forêt n'avait plus de secret pour elle. Bien sûr qu'elle pouvait partir dès le coucher du soleil, du moment qu'elle assistait à la purification du voyageur. Giula la rassura sur ce point, et alla dans sa chambre pour préparer ses affaires. Elle n'emportait pas grand chose, ça ne la ralentirait que plus et l'équipement du voyageur devait être plus utile que le sien. Cela faisait longtemps qu'elle avait constaté leur retard technologique sur les peuples qui envoyaient ces voyageurs. Elle saisit son bagage, empocha un bijou, pierre angulaire de son plan, et partit à la purification de l'homme.
A voir la mine fatiguée et heureuse de Raïl, tout s'était bien passé. L'aventurier gisait à présent sur une planche de bois recouverte de mousse, profondément endormi. On n'avait pas versé que de l'aphrodisiaque dans sa boisson, bien évidemment. La purification put commencer dans un silence monacal.
Assise à genoux près de l'homme, la mère de Giula transcenda sous les regards de son village. Son corps ne fut bientôt qu'une poupée de chiffon que retint Giula. Son esprit, lui, tournoya autour de l'homme, le faisant disparaître peu à peu, confiant sa chair aux dieux en tant qu'offrande. Il ne resta bientôt plus rien sur le lit de mousse et la prêtresse réintégra son corps. Durant le court laps de temps où elle resta somnolente, de retour dans son enveloppe charnelle, Giula activa le médaillon qu'on lui avait confié en tant que fille de prêtresse.
Ni vu ni connu, elle absorba l'esprit de l'homme dans le bijou. Il allait bien repartir du village le soir-même, mais plus dans son corps.
Giula n'était pas naïve au point de croire qu'elle pourrait se débrouiller seule dans le port dont avait parlé l'homme. Elle avait besoin de lui en tant que guide, mais elle voulait garder pour elle son plan, et cela impliquait sa mort et l'ignorance du village. Il pouvait la remercier : il allait continuer à vivre dans son médaillon, et même continuer à s'exprimer.
Seule la prêtresse aurait pu remarquer son manège, mais de retour de transcendance, elle n'avait pas eu l'esprit à ça. Giula put donc partir sans souci au crépuscule, le médaillon autour du cou, l'équipement de l'homme sur le dos. Son voyage initiaque pour transcender commençait, et cela aurait été plus solennel si l'homme enfermé dans son collier cessait de l'injurier :
-Vous m'avez tué ! C'était un piège, enculée ! Je suis quoi maintenant ? Un putain de bibelot, c'est ça ? Salope ! Je ne baiserai plus jamais par ta faute ! Tu aurais pu m'aider à m'évader, ou au moins m'avertir, connasse !
-Il fallait respecter la coutume, vous avez-vous-même scellé votre destin en quittant votre port.
-Je t'emmerde, pétasse !
-Je vous en prie, monsieur le guide, soyez un peu plus poli, sourit-elle franchement.
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Peut-être cette histoire aura-t-elle une suite, mais ce n'est pas prévu pour le moment.
Cette histoire n'aurait jamais existé sans le dessin de Monsieur.BN, alors voici sa page Facebook: https://www.facebook.com/MonsieurBN-342398212449618/
Si vous avez des dessins à me suggérer pour de prochaines histoires, je suis ouvert à toute proposition !
A bientôt !
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