Du sommet de sa tour d'ébène, Lucifer contemple l'horizon à travers les vitres obscures. Il observe avec amertume sa création et ce qui en découle. Ces âmes déchus qui même en enfer prolongent leurs vices sordides.

Sa joue repose contre la vitre froide, mais ce n'est rien comparé au givre qui ronge son cœur. Rien ici ne brûle comme les légendes le racontent. Il n'y a ni flammes rugissantes ni hurlements infernaux.  

L'Enfer, son Enfer, c'est le froid : celui qui rappelle à son âme l'étreinte de la solitude.

— Créer c'était toute mon existence, murmure t'il las. 

Un soupir lui échappe et il ferme ses yeux brulants par des nuits d'insomnie. C'est la seule chaleur qu'il ressent encore à ces côtés.  Ses doigts effleurent un fil rouge, utilisé, enroulé autour de sa main. Ce fil, fragile, représente tout ce qu'il a autrefois espéré. 

Les souvenirs sont toujours là. Ils reviennent le hanter comme un mauvais rêve. 

Même quatre cent ans plus tard, il ne peut les fuir.

Un gouffre s'est ouvert en lui ce jour-là, lorsqu'il a compris. Le gouffre béant d'un échec, qu'il s'efforce de remplir avec des miettes d'oubli. Mais rien n'y fait.

Il a osé créer deux êtres qui peuvent aimer alors même qu'aucun ange ne connaît l'amour. Les anges sont des êtres de pureté et de lumière, mais aussi de froideur. Ils louent Dieu sans réserve, mais cela ne vient pas de leur cœur : ils n'en ont pas. 

Lucifer voulait autre chose. Il voulait créer quelque chose de vivant, quelque chose de vibrant, de vrai.

Alors il a façonné Adam et Ève. Pas seulement à l'image de Dieu, mais à l'image de ce qu'il rêve d'être. Il leur avait donné la capacité d'aimer, cette flamme brûlante qu'aucun ange ne peut comprendre.

Et il en a payé le prix. 

Adam et Ève se sont aimés.

Mais l'amour, si pur en apparence, peut engendrer l'égoïsme et la trahison.

Ils ont cédé à la luxure, brisés les interdits. Et lorsque Dieu les a confrontés, ils ont pointé du doigt leur créateur.

— C'était son idée, ils ont-ils dit en chœur. Il est notre créateur, nous ne faisions que suivre ses intentions.

Leur sourire satisfait restent gravés à jamais dans l'âme de Lucifer. Un froid glacial été remonté le long de son échine. Ce même frisson qui est devenu son quotidien. La colère de Dieu a été implacable.

— Pour l'orgueil et la trahison dont tu as fais preuve, tu régneras sur un monde où l'amour sera à jamais déformé en haine, a-il déclaré. 

Et ainsi l'Enfer est né.

Lucifer ouvre les yeux et observe une fois de plus le chaos sous sa tournée.

— L'amour, murmure-t-il, est un poison mortel. Vous avez tous déjà cherché l'amour. Vous qui le chérissez, même lorsqu'il vous détruit. Pourquoi persistez vous ? Pourquoi ne pouvez-vous pas simplement... arrêter ?

Lucifer soupire las. Sa voix se brise. Son regard se perd dans le vide. Les anges n'ont pas de cœur. Pas même les déchus. L'amour qu'il a inventé, il ne peut que l'observer à travers les humains. Ceux là même qui transforme sa création en monstruosité. 

Un claquement sec brise le silence. La télévision, qu'il n'a jamais touchée, s'allume dans un grésillement. Une jeune femme aux cheveux bleus chante, sa voix douce et envoûtante s'élève, s'insinue dans chaque recoin de la pièce. Une flamme de bougies vacille, puis d'autres suivent, comme si le feu lui-même dansait au rythme de sa mélodie.

Lucifer reste pétrifié. Les flammes qui d'ordinaire peinent à franchir l'obscurité vibrent en harmonie avec cette voix. Même les démons présents s'immobilisent, hypnotisés.

Chaque note semble fissurer son armure glaciale. Son souffle se suspend, son cœur inexistant semble vouloir battre. Jamais il n'a ressenti pareil sentiment face à une voix.

Le décor derrière elle... Le bar d'Asmodée. Il le reconnaît aussitôt. Mais Lucifer s'avance lentement, hypnotisé par cette voix qui s'accroche à lui. Il plisse les yeux. Et là, sur le poignet qui tient le micro, il aperçoit un fil rouge, enroulé, identique au sien.

Un frisson le parcourt, plus glacial que jamais.

— Toi. Dis à Asmodée que je veux tout savoir sur elle. Maintenant.

Le serviteur s'efface dans l'ombre. Lucifer ne bouge pas. Ses yeux sont rivés sur ce fil, et soudain, il sent autour de son propre doigt une légère tension, imperceptible... Pour la première fois depuis des siècles,  le fil, qu'il n'a jamais pu enlever, s'est très légèrement dénoué.

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Bonjour,
J'ai mis un moment avant de vous proposer cette histoire.
Je voulais l'écrire en entière, savoir où j'allais et c'est avec plaisir que je vous la présente enfin.
Je ne fais aucune apologie de l'enfer, des crimes ni rien dans cette histoire. Je ne critique en aucun cas aucune religion et préfère voir à travers la fantaisie un moyen de faire passer des morales modernes. 
 J'espère qu'elle réussira à conquérir mon cœur comme elle l'a fait pour moi.
Lunarae.