Chapitre 7 : Les fleurs du mal version Asmodée

L'odeur de tabac froid stagnait dans l'air, se mêlant aux relents d'humidité qui s'accrochaient aux murs jaunis de l'appartement. Le canapé miteux, aux ressorts traîtres, s'enfonçait sous le poids d'Alexander, affalé là comme une ombre. Une cigarette entre les doigts, il jouait avec la cendre qui s'accumulait sur le bord du cendrier en verre fêlé.

Lénaelle, assise en tailleur sur le sol, observe son profil, la lumière tamisée dessinant les angles pendant son visage fatigué. Son regard brûlait d'une inquiétude qu'elle n'exprimait pas.

— Tiens, lance-t-elle en lui tendant un morceau. C'est tout ce que j'ai pour remonter ton moral. Des chocolats.

Alexander lève un sourcil, une ombre de sourire au coin des lèvres. 

— Tu penses vraiment que ça va marcher ?

— Écoute, mec, le sucre c'est toujours mieux que la cigarette et puis... T'as pas envie de m'entendre chanter une berceuse pour te remonter le moral, crois-moi.

Il écrase la cendre de sa cigarette d'un geste distrait mais ne laisse pas tomber son mégot. Il pince le chocolat entre deux doigts, l'air pensif. Lénaelle remarque la manière dont il tapote nerveusement sur le filtre, ce tic inconscient qui trahissait son agitation.

Un sourire doux perce sur ses lèvres. Un geste compréhensif. Elle reconnait cette lueur fuyante dans ses yeux. Elle n'a entendu que quelques brides de conversation derrière la porte mais ça lui suffit amplement pour comprendre que la nature de leur relation est plus complexe que ce qu'ils laissent tous les deux entendre.

Un coup sec à la porte retentit brusquement les tirant de leur réflexion. Alexander bondit sur ses pieds et ouvre sur un livreur à l'air blasé, un carton fleuri dans les bras.

— C'est bien vous, Alexander ?

—Euh... Ouais.

Le bouquet atterrit entre ses doigts avant même qu'il ait le temps de manifester. Des lys blancs, des roses rouges et une carte glissée entre les tiges. Pas besoin de lire. Il le sait. Il sait avant même d'avoir reconnu l'odeur entêtante du parfum d'Asmodée, subtilement glissée entre les pétales.

— Qu'est-ce que c'est que cette merde encore ?, grogne Lénaelle.

Affalée sur le canapé, elle hausse un sourcil en apercevant les fleurs. En un éclair, elle s'estt levée, a saisi le bouquet et, sans une once d'hésitation, le lance dans la poubelle.

Alexander éclate de rire. Un rire qui sonne trop fort, trop spontané. Il ne sait pas s'il rit de la violence avec laquelle Lénaelle a exécuté le bouquet ou du ridicule de la situation. Mais une chose est sûre : son cœur bat la chamade. Un mélange d'exaspération et... de contentement.

Il s'en veut.

Putain, il s'en veut d'être un peu heureux qu'Asmodée pense encore à lui, même après la scène qu'il lui a fait. 

Pourquoi son coeur est t'il un tel traitre ?

Lénaelle croise les bras, le fusillant du regard.

— Ne me dis pas que ça te fait plaisir. 

— Mais pas du tout, répond-il en haussant les épaules.

Il coince sa cigarette entre ses lèvres, approchant nerveusement son doigt. La flamme d'électricité trembla une seconde avant de s'élever et de l'embraser. Il tire une longue bouffée, laissant la fumée envahir ses poumons. C'est une étreinte froide. Bien trop glaciale. 

Alexander fixe les fleurs, l'estomac noué.

Il aurait préféré qu'Asmodée soit là, assis à côté de lui, à lui murmurer des conneries contre sa nuque. Il aurait préféré mille fois ses doigts sur sa peau plutôt que ce foutu bouquet, la preuve physique de cette dépendance dont il ne parvient pas à se défaire.

Une volute de fumée s'élève vers le plafond quand on frappe de nouveau à la porte. Alexander hausse les épaules, échange un regard avec Lénaelle, un sourire au lèvre. 

— À ton avis ? Postier possédé ? Un bouquet ? Ou pire... les Témoins de Jéhovah ?, s'amuse t'il en touchant l'étoile de David sur son tee shirt. 

Lénaelle roule des yeux.

—Ouvre.

Il s'exécute, un demi-sourire aux lèvres, prêt à lancer une connerie sur les dangers des livraisons intempestives. Mais son sourire s'efface quand il tombe nez à nez avec un autre livreur, un bouquet identique dans les bras.

— Alexander ?

— ... Non, vous devez faire erreur, je suis son clone maléfique.

Le livreur ne bronche pas. Il lui tend les fleurs avec la lassitude d'un homme habitué, puis tourne les talons. Alexander referme la porte, les yeux rivés sur le petit carton blanc accroché aux tiges. Il le décroche d'un geste sec.

"Je sais bien que tu as jeté le premier bouquet, Passerotto."

Son cœur rate un battement.

Passerotto. Ce foutu surnom.

Asmodée est un monstre, mais un monstre qui le connaît par cœur. Qui sait ce qu'il se cache derrière ses vannes nulles, ses airs de type imperturbable. Qui sait qu'il brûle d'envie de prendre ses jambes à son cou, mais qu'il n'ira nulle part. Parce que fuir ne sert à rien contre quelqu'un qui sait déjà où tu iras.

— Et merde, souffle-t-il.

Alexander fixe le bouquet un instant, les doigts serrés autour des tiges. La cigarette dans la bouche, il fronce les sourcils. Puis, sans un mot, il fait demi-tour et attrapa un vase vide sur l'étagère.

Lénaelle cligne des yeux, stupéfaite, agitant ses cheveux turquoises.

— Attends... Qu'est-ce que tu fais ?

Il ne répond pas, se contentant de remplir le vase d'eau avant d'y plonger les fleurs.

— Alexander.

Toujours rien. Juste le bruit du verre contre le bois quand il pose le vase sur la table du salon.

Lénaelle le dévisage comme s'il venait de perdre la tête.

— Non mais sérieusement ?!

Elle s'approche d'un pas vif, désigne le bouquet d'un geste impatient.

— Tu vas juste les garder ? Comme ça ? Après tout ce qu'il t'a fait ? 

Il tire une nouvelle bouffée et expire lentement, les yeux toujours fixés sur les fleurs.

— Si je le jette, il en enverra d'autres, conclut t'il.

— Et alors ?!

Elle balance un soupire, exaspérée.

— Il n'a aucun droit d'empiéter sur ta vie comme ça, Alex. Aucun. Tu le sais, non ? C'est ce que tu lui as fait comprendre la dernière fois que vous vous êtes vu.

Il hausse un sourcil, un sourire à peine esquissé sur les lèvres.

— T'as déjà essayé de dire non à Asmodée ? 

Lénaelle ouvre la bouche... puis la referme. Il hausse les épaules, prenant une autre bouffée de cigarette.

— Moi si. Et regarde où j'en suis. Je te l'ai déjà dis ce n'est pas aussi simple.

Elle le dévisage, cherchant une faille dans son expression trop calme, trop maîtrisée.

— C'est pas parce qu'il insiste que t'es obligé d'accepter, murmura-t-elle.

Il la fixa enfin, un éclat de fatigue dans le regard.

— Et c'est pas parce que je mets ces fleurs dans un vase que je dis oui.

Lénaelle reste silencieuse. Elle le connaît trop bien. Derrière la nonchalance, derrière le sourire, il cache quelque chose. Il baisse les yeux sur les fleurs. Le rouge et le blanc s'entremêlent dans un parfait contraste. Un mélange de pureté et de passion, de douceur et de violence.

Comme Asmodée.

Comme lui.

Il écrase sa cigarette dans le cendrier.

Finalement, elle soupire, et serre sa tête entre ses mains.

— Elles vont dans ta chambre, alors. Pas question que ce salon sente l'obsession toxique.

Alexander rit doucement.

—Qu'importe leur odeur, au moins, j'ai des fleurs.

Un nouveau coup à la porte.

Lénaelle, encore agacée, se leva d'un lien et découvert violemment, prête à cracher une insulte.

— C'est bon, Asmodée, t'as fini, ou tu veux aussi nous livrer ton cul en prime—

Elle s'arrêter net. La porte s'ouvre sur une silhouette élancée, encadrée par la lumière crasseuse du couloir. Grande, la peau d'ébène lisse comme du marbre poli, elle porte une paire de lunettes aux verres ronds et teintés, masquant une partie de son regard perçant. 

Son sourire, lui, est parfaitement visible, trop visible. Traînant, amusé, comme si elle connaissait déjà l'issue de la conversation.

D'un geste lent, elle lève une main et fait glisser un ongle le long du cadre de la porte. Un crissement métallique résonne dans l'appartement, aussi dérangeant qu'une lame contre du verre. 

Ses griffes n'ont rien de naturel ils sont aussi pointues et aiguisées qu'un poignard.

— Charmant accueil, grogne-t-elle, amusée. Dommage que je ne sois pas là pour plaisanter.

Lénaelle croise les bras, fronçant les sourcils.

— Tu es qui, toi ?

Alexander s'approche derrière elle et, en reconnaissant la démone, jure entre ses dents.

— Putain, encore des emmerdées...

La femme rapporte son attention sur lui, ajuste ses lunettes d'un geste paresseux, puis sort un papier plié de son manteau. Elle le balance vers eux, comme on jete une facture sur une table.

— Mammon trouve que vous prenez un peu trop votre temps pour payer le loyer. Et ça l'agace.

Un silence tendu s'installe. Alexander serre les dents, prêt à répondre, mais avant qu'il n'ouvre la bouche, la démone bouge.

Trop vite. Ses doigts s'allongent jusqu'à atteindre une longueur inhumaine, et dans un éclair de mouvement, l'un de ses ongles s'enfonce dans la chaise de Lénaelle. Il tranche la chair avec une rapidité glaçante. Froidement précise.

La douleur est brutale, immédiate. Comme une brûlure glaciale qui lacère la peau, suivie d'une morsure chaude quand le sang perle. Ses muscles se crispe sous le choc, un frisson d'adrénaline courant dans son dos. 

Mais elle ne bronche pas. Juste un tremblement léger dans la mâchoire, ses ongles à elle s'enfonçant dans ses propres paumes.

La démone se penche, réduisant l'espace entre elles, et souffle presque contre son visage.

— Trois jours. Pas un plus. Sinon...

Elle laisse sa menace en suspens, rétractant lentement son ongle. L'agonie est brève mais cuisante, une douleur lancinante suivant la plaie comme une traînée de feu.

Lénaelle inspire profondément, serrant les dents. Son bras pulse, le sang poisse déjà le tissu de sa manche. Mais elle refuse de détourner le regard, défiant, son souffle un peu plus court qu'à l'instant d'avant.

— Ouais, ouais, garde tes griffes pour ta manucure. Je paierai.

Sa voix est sèche, mordante. La démone la scrute un instant, savourant peut-être l'éclair de souffrance qu'elle vient de provoquer. Puis, avec un relèvement d'épaules désinvolte, elle tourne les talons et disparaît dans l'ombre du couloir, ses ongles redevenus sagement courts.

Le silence tombe, pesant.

Alexander passe une main sur son visage avant d'allumer enfin sa cigarette.

— Ça pue, putain...

Lénaelle enroule un bout de tissu autour de sa plaie pour arrêter le saignement et souffle profondément.

— Je vais refaire un concert.

Il se tourne vers elle, un sourcil haussé.

— Quoi ?

— J'ai pas le choix. L'argent tombe pas du ciel.

Il secoue la tête, expirant un filet de fumée.

— Mauvaise idée. Asmodée nous a mis en garde, tu te souviens ? Si tu fais trop de bruit, il va péter un câble.

— Il peut bien péter ce qu'il veut.

Alexander grimace.

— Lénaelle...

Elle posa son regard sur lui, brûlant de détermination.

— Je dois régler ça. Je refuse de rester là, à attendre qu'on nous écrase. Et quitte à faire un truc, autant que ça sert.

Elle croisa les bras, défiant.

— J'ai pas envie de passer ma vie ici. J'ai pas envie de crever en enfer. Alors je vais me faire entendre.

Alexander lâcha un rire, passant une main dans ses cheveux.

— Toi et tes grandes idées...

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Merci d'avoir lu ce chapitre ! 
Lunarae.

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