Chapitre 5 : L'Enfer est pavé de mauvaises dettes

Lénaelle est poussée à traverser un couloir lumineux. Les murs scintillent comme des éclats de perles, baignés dans une lumière tamisée. Partout, des sculptures suggestives et des fresques vivantes évoquent des scènes de désirs et de plaisirs interdits. Des soupirs doux et charnels résonnent dans l'air.

Alexander marche à côté d'elle, les poings serrés et les yeux sombres. Ses traits sont tirés et, dès que Lénaelle essaie d'attirer son attention, il détourne le regard. Sa mine est déconfite et il s'amuse à triturer une flammèche électrique aux bouts de ses doigts.

Ses moindres gestes vont à l'encontre du démon de la luxure. Asmodée, immense et imposant. avance devant eux, arquant son corps avec sensualité. Ses courbes sont si harmonieuses et onduleuses que chaque pas semble être une danse pour lui.

Son visage est redevenu humain et fin. Ses cheveux rouges tombent en cascade enflammée le long de ses épaules. Au-dessus de lui, flotte son faucon rougeoyant.

— Tu as perdu ta langue, Passorreto ?

La voix d'Asmodée résonne dans l'espace restreint du couloir. Il ne s'est même pas retourné pour parler, mais son sourire s'entend déjà. Lénaelle jette un coup d'œil à Alexander, s'attendant à une réplique cinglante.

Rien. Il se contente de serrer les dents, et d'écraser la petite décharge électrique entre ses doigts.

— Tss, pas d'humeur, murmure Asmodée avec une feinte d'amusement.

Sytry, le faucon écarlate posé sur son épaule, tourne la tête vers Alexander et penche son bec, moqueur.

— Peut-être que le moineau n'aime plus sa cage, chuchote-t-il d'une voix fluide et doucereuse.

Sa mâchoire tressaille légèrement. Ses épaules se contractent, son regard rivé au sol.

Lénaelle fronce les sourcils. Qu'est-ce qui lui prend ?

D'habitude, il aurait envoyé une vanne sur l'hypocrisie d'Asmodée, sur la façon dont il enferme son faucon dans des cages dorées. Il ne laisserait aucune personne lui parler de la sorte. Mais là... rien.

Le silence s'alourdit jusqu'à ce qu'Asmodée ouvre une porte coulissante d'un geste sec. La salle principale est tapissée de soie et éclairée par un lustre géant d'or et de pierres précieuses. Les couleurs rouges et dorées dominantes, tout dans la pièce respirent un opulent mélange d'élégance et de vice.

Ils traversent cet espace pour arriver devant un bureau en ivoire massif, où Asmodée prend place, sa main s'agitant au-dessus de la flamme d'une bougie ?

— Assieds-toi, ordonne-t-il d'une voix grave.

Elle hésite. Ses jambes fléchissent d'elles-mêmes lorsqu'elle sentit une vague de chaleur s'élever du démon, comme un avertissement silencieux.

Alexander s'installe sans un mot sur un des fauteuils en velours, la jambe agitée d'un tic nerveux. Il sort une cigarette, mais Asmodée claque des doigts et la flamme s'éteint avant même qu'elle n'atteigne le bout.

— Je déteste cette odeur, Passerotto.

Le tic nerveux d'Alexander s'accentue, mais il n'émet pas d'objection. Il se contente de fixer un point invisible sur le bureau et d'enfoncer ses doigts dans l'inclinaison du fauteuil.

Lénaelle sent l'électricité dans l'air comme une menace silencieuse. Cette manière qu'ils ont de se jauger est tout sauf naturelle.

— Pourquoi Alexander est ici ? demande-t-elle, d'une voix qu'elle tente de garder puissante.

— Parce qu'il me doit un service, a répondu Asmodée sans même détourner le regard d'elle.

Un léger silence s'installe, suivi d'un sentiment de malaise naissant. Alexander est renfrogné, rempli de dédain. Ses pupilles fuient Lénaelle, mais son front creusé laisse apparaître des rides nerveuses. Ses doigts s'emmêlent et se démêlent d'eux-mêmes, peinant à trouver leur place.

Asmodée pose lentement une main sur la table, et la bougie qui y brûle se courbe légèrement vers lui, comme une flamme attirée par son maître.

Sytry se déploie sur le bureau, ses serres claquant doucement contre l'ivoire.

— Il n'est pas le seul à te devoir quelque chose, murmure le faucon, ses yeux dorés fixant Alexander avec une intensité carnassière.

Cette fois, Alexander relève la tête, et Lénaelle voit ses doigts trembler légèrement.

— Je n'ai pas signé pour ça, Asmodée, lâche-t-il finalement.

— Tu n'as jamais signé pour rien, passerotto. Et pourtant, te voilà toujours ici.

Lénaelle sent un frisson lui parcourir l'échine. Il y a quelque chose de cassé dans la posture d'Alexander. Une tension dans sa mâchoire, une traction dans ses épaules. Asmodée le fixe d'un regard presque indécent, si bien que Lénaelle en vient à se sentir gênée à sa place.

Elle expire, évacuant son stress en caressant le bracelet rouge à son poignet. Prenant une grande inspiration, elle se lance.

— Alors, c'est quoi le programme ? Vous allez me hurler dessus, me menacer, ou... (elle marque une pause, un sourire nerveux aux lèvres) me baiser ?

Le silence tombe brutalement. Un vide pesant s'installe, tirant les secondes jusqu'à l'inconfort. L'air semble plus lourd, comme suspendu dans l'attente d'une réaction. Elle sent son cœur battre plus fort dans sa poitrine , chaque pulsation résonnant dans ses oreilles. Elle se mord la lèvre. Asmodée éclate d'un rire tonitruant qui résonne dans toute la pièce.

— Toi ? Vraiment ? Si je devais me pencher sur quelqu'un ici, je choisirais largement Alexander.

Alexander lève les yeux au ciel, marmonnant un « super, merci » désabusé.

Lénaelle croise les bras, cachant son visage rougissant dans ses mains.

— Très drôle.

Mais Asmodée n'est plus vraiment amusé. Son visage se durcit, ses yeux brillent d'une lumière rouge menaçante. Il semble à deux doigts de vraiment péter un câble.

— Maintenant, explique-moi, gamine, quel est le bordel que tu as foutu dans mon bar ?

La fureur dans sa voix est palpable. Lénaelle sent ses membres se raidir et elle détourne le regard. Chaque mot semble vibrer dans l'air, comme s'ils s'étaient gravés directement dans son être. Elle n'a jamais ressenti une telle puissance auparavant.

— Je... je voulais juste qu'on m'entende, balbutie-t-elle, son regard fuyant le sien.

— Tu voulais qu'on t'entende ? répète-t-il, moqueur. Eh bien, félicitations. Maintenant, tout l'Enfer t'a entendue.

Elle lève les yeux vers lui, rassemblant tout son courage.

— Je dois retourner sur Terre, dit-elle, sa voix tremblante mais déterminée.

Asmodée la fixe un instant, puis se penche en avant, ses coudes sur son bureau, son regard brûlant.

— Pourquoi ?

Sa gorge se serre. Pourtant, les mots viennent, portés par un désespoir qu'elle ne peut plus contenir.

— Mon père est là-bas, seul. Il a besoin de moi. Il ne se souvient plus de tout, mais il se souvient de moi. Et je ne peux pas... je ne peux pas être ici pendant qu'il m'oublie.

Elle baisse les yeux, ses mains croustillantes sur le bord du fauteuil.

— Je ne peux pas le laisser mourir sans quelqu'un pour lui rappeler qui il est, murmure-t-elle.

Un silence lourd. Pas de ricanement, pas de moquerie. Asmodée reste immobile, son regard fixé sur elle.

— Je vois, dit-il enfin, sa voix plus calme, presque lasse.

Lénaelle relève la tête, ses yeux brillants d'un mince espoir.

— Alors vous allez m'aider ?

Asmodée éclate d'un rire sombre, prenant la tête.

— Non, bien sûr que non.

Son sourire s'efface. La flamme de la bougie frémit.

— Tu veux retourner sur Terre, gamine ? Très bien. Mais garde le pour toi, à force de le crier sur tous les toits, tu deviens une cible... le Chasseur a ton nom sur sa liste.

Lénaelle fronce les sourcils, confuse.

— Je n'ai jamais entendu parler d'un chasseur. Je ne vois pas pourquoi il me voudrait du mal.

Sytry bat des ailes, ses plumes rougeoyantes projetant des ombres mouvantes sur le mur.

— C'est une arme de Dieu, créée pour éradiquer les gens comme toi, chuchote le faucon, le bec effleurant l'oreille d'Asmodée.

Asmodée fait craquer sa nuque et se penche vers elle, son ombre s'étend jusqu'à engloutir la moitié de la pièce.

— Pour tuer les anomalies. Les âmes comme toi qui révèlent que Dieu peut se tromper dans son jugement, qu'il peut envoyer les mauvaises âmes en enfer. Ce chasseur a réduit les anomalies au néant. Pas de paradis, pas d'enfer. Juste le vide.

Son coeur se serre dans sa poitrine. Elle attrape doucement son tee shirt entre ses doigts pour apaiser la douleur.

— Alors pourquoi pas moi ? Pourquoi suis-je encore là ?

Asmodée la fixe intensément.

— Parce que tu n'as pas encore attiré trop d'attention. Mais si tu continues tes petites performances, si tu fais encore parler de toi... le chasseur viendra. Et crois-moi, tu ne veux pas le rencontrer.

Elle serre les poings, refusant de céder à la peur.

— Être ici sans mon père n'a aucun intérêt. Si je dois finir dans le néant, qu'il en soit ainsi.

Asmodée se penche sur elle, sa voix devenant un grondement menaçant.

— Tu es peut-être prête à mourir, gamine, mais ne m'entraîne pas dans ta chute. Si tu commences à poser un problème, tu me mets moi en danger. Et je ne compte pas crever pour une gamine capricieuse.

— Alors aidez-moi ! s'écrie-t-elle.

Il secoue la tête.

— Ce que je fais là, c'est déjà t'aider. Rentre chez toi. Oublie ton père. Chante si tu veux, mais arrête de faire des vagues.

La phrase résonne dans son esprit comme un coup de couteau en pleine poitrine. Son souffle se bloque, ses muscles se tendent, et son cœur, lui, se fracasse contre sa cage thoracique. Asmodée ose lui dire d'abandonner. Comme si c'était une possibilité. Comme si c'était envisageable.

Ses mains tremblent légèrement sous l'émotion, ses ongles s'enfoncent dans sa paume. Son père, c'est tout. Son pilier, son ombre, son unique repère dans le chaos. Elle a tout perdu, mais pas ça. Pas lui. Et jamais, jamais , elle ne l'abandonnera.

Peu importe ce que ce démon peut dire, peu importe à quel point il est puissant, terrifiant, suffocant de présence. Elle refuse.

Elle relève la tête, ses yeux brillants de défi même si ses lèvres restent fermées. Elle est petite face à lui, insignifiante peut-être, mais elle ne baissera pas les bras. Pas tant qu'elle n'aura pas retrouvé son père.

Soudain, un bruit strident déchire l'air. Un son inhabituel dans cet antre infernal. Lénaelle sursaute légèrement. Asmodée, lui, fronce les sourcils, perplexe, avant de tourner lentement la tête vers son bureau, où un téléphone à fil vibre furieusement sous l'effet de la sonnerie.

Le silence s'installe.

— Qu'est-ce que... marmonne Asmodée, les traits contractés par une profonde incompréhension.

Il s'avance vers l'appareil avec méfiance, comme si ce simple objet recèle une magie obscure. Il observe le combiné un instant, hésitant. La sonnerie continue, insistante.

— Bon sang, comment ça fonctionne, ce truc ?

Lénaelle, malgré elle, hausse un sourcil.

— ... Sérieusement ? Le Seigneur de la Luxure, incapable de répondre à un téléphone. Magnifique, se moque gentiment Lénaelle.

— La ferme, crache Asmodée, ses doigts devenant aussi chauds que la lave en fusion.

Il effleure maladroitement l'appareil, tapote le combiné du bout de ses doigts, mais la sonnerie continue. Finalement, l'un de ses serviteurs, un démon aux traits émaciés, se précipite vers lui.

— Seigneur, permettez-moi...

Il décroche et tend le combiné à Asmodée, qui le prend en main avec un air méfiant. Une voix, suave et impérieuse, retentit immédiatement.

Asmodée.

Le silence qui suit est plus glaçant que la colère du démon lui-même. Asmodée resserre sa prise sur l'appareil, son expression presque fuyante.

— Lucifer...

Alexander et Lénaelle échangent un regard.

— Vous restez ici, déclare Asmodée à leur encontre, si vous osez quitter ma demeure, je le saurai. Et crois-moi, Alexander, je n'en ai pas fini avec toi.

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Merci beaucoup pour votre lecture !
Alors que pensez vous de la réaction d'Alexander ? Etrange, n'est ce pas ?
Et Lucifer semble rentrer dans la course !
La suite, j'en suis sure saura ravir votre coeur.
Lunarae. 

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