Chapitre 2 : Une pub d'enfer
Lénaelle rabat sa capuche sur sa tête et tire son sac hors des coulisses avec précipitation. Elle jette un coup d'œil dans les couloirs, s'assurant qu'aucune groupie étrange ne la suivra. Puis, un sourire aux lèvres, elle s'aventure dans la rue.
— Tu as été formidable, fait une voix grave en tapotant son épaule.
— Alexander, bordel, tu as failli me faire avoir une crise cardiaque, jure-t-elle entre ses dents, serrant fermement la lanière de son sac.
— Impossible, tu es déjà morte, Lénaelle, s'esclaffe-t-il en ricanant.
Elle roule des yeux et lâche un soupir agacé. Ça aussi, elle l'a entendu des dizaines de fois. Mais il y a quelque chose dans la façon qu'il le dit qui la fait tiquer. Elle ravale l'amertume et continue d'avancer.
Ils traversent une ruelle baignée d'une lumière rougeâtre, lente mais sûre. Ce quartier est connu pour ses immeubles de la Renaissance italienne. Le sol est fait de pavés en velours. Les devantures des magasins, elles, sont chatoyantes, de soie et de tissus rougeoyants.
Rien d'étonnant venant du quartier d'Asmodée : connu pour la luxure.
Les doigts d'Alexander effleurent les murs, laissant derrière lui une étincelle fugace d'électricité qui danse sur les briques usées. Il sort une cigarette de sa poche, la coince entre ses lèvres et, sans briquet, approche deux doigts avant de les frotter l'un contre l'autre. Une étincelle jaillit, embrasant l'extrémité de la clope.
— C'est bien la seule chose utile que t'apporte ton électricité, ironise Lénaelle en le regardant faire.
Alexander sourit, souffle une bouffée de fumée et secoue la tête.
— Je t'ai déjà dit que c'est pratique pour recharger mon téléphone. Ou griller quelques connards.
Elle ricane, s'empêchant une nouvelle remarque sur le fait qu'il faudrait qu'il arrête de fumer.
Après tout il est déjà mort.
— Tu as vraiment été incroyable, la félicite-t-il de nouveau pour rompre le silence.
Un sourire effleure ses lèvres avant même qu'elle ne s'en rende compte. Ses joues picotent légèrement, une chaleur douce s'y installe. Elle baisse les yeux un instant, comme si ses chaussures devenaient soudain passionnantes.
Pourtant, un éclat de rire léger la trahit. Ses doigts glissent distraitement sur la manche de son pull, cherchant à occuper cette énergie soudaine. Elle relève enfin le regard, un peu plus brillant, incapable de masquer ce frisson d'orgueil qui la traverse.
Pour sa première grande représentation en Enfer, elle a plutôt été bien accueillie.
— Je vais finir par croire que tu es mon plus grand fan, réplique-t-elle en riant.
Alexander sourit et claque des doigts. Immédiatement, les vieilles télés dans les vitrines s'allument. Son image apparaît à l'écran. Ses mains enserrent le micro, et sa voix monte doucement.
Les démons se rassemblent devant les écrans de fortune, certains accroupis, d'autres figés comme des statues grotesques. Bientôt, pas moins d'une dizaine d'entre eux la regardent en rediffusion.
— Dégage connard, tu n'es pas le seul à regarder, jure une démone en bousculant un démon plus faible.
Tous fixent son image diffusée en boucle, comme une obsession collective.
— Tu pourrais arrêter ton cirque et éteindre ça ? grimace-t-elle en tirant sa capuche sur ses cheveux bleus. On ne sait jamais quel dégénéré pourrait me reconnaitre.
Alexander éclate de rire, ce rire moqueur et insouciant qui cache toujours quelque chose de malicieux. Il hausse les épaules, un sourire en coin.
— Faut bien rentabiliser ton grand moment de gloire, non ? Et puis... avoue que je te fais une pub d'enfer.
Il éclate de rire face à son propre jeu de mots.
— T'es lourd.
Lénaelle roule des yeux même si, malgré elle, il lui arrache presque un rire. Presque. Si elle oublie le fait qu'elle le retient depuis quelques minutes. Alexander ne le remarque pas, obnubilé par la scène sous ses yeux.
Il murmure pour lui-même :
— C'est fascinant... Je crois que c'est la première fois depuis que je suis ici qu'ils regardent autre chose que des meurtres ou des orgies.
Alexandre hoche la tête, continuant son chemin à ses côtés. Elle tente d'ignorer tant bien que mal sa voix diffusée partout dans le quartier. Ils atteignent enfin une porte branlante en bois où un vieil avis d'expulsion est scotché.
Alexander l'arrache et la froisse pour en faire une boulette, avant de pousser la porte pour la laisser entrer. Encore vêtue de sa tenue de scène, ses cheveux légèrement humides de sueur, elle s'écroule sur le canapé délabré.
Son regard est encore perdu dans le vide, euphorique de ce sentiment de puissance qu'elle ressent quand elle est sur scène. Elle est sincèrement fière de ce qu'elle vient d'accomplir.
Un premier pas vers le final... Nos rétrouvailles, papa, murmure-t-elle pour elle-même.
Elle jette un regard en direction de la table instable. Dessus, se trouve un magnifique bouquet de roses, qui semble dater d'à peine quelques heures. Il est entouré d'un ruban en soie de grande qualité, un contraste saisissant avec l'insalubrité de leur appartement.
— Encore un bouquet... Ton admirateur secret ne s'est toujours pas épuisé d'être repoussé ? s'amuse-t-elle en appuyant sur la télécommande.
— Faut croire qu'il est têtu, grogne Alexander en le jetant à la poubelle.
À peine allumée, la télé lui renvoie son image et sa chanson comme un retour sur investissement. Les présentateurs la critiquent et la décortiquent de fond en comble. Elle se mord la lèvre, choquée, et appuie immédiatement sur le bouton pour l'éteindre.
Un sourire se dessine sur ses lèvres.
Même si Alexander ne s'amuse pas avec les flux électriques, je passe en boucle.
— Impressionnant, dit-il en scrutant la télé avec amusement. Je crois que tu es effectivement l'âme la plus connue et dangereuse de l'Enfer.
Elle ricane amèrement, arquant un sourcil pour détecter s'il plaisante. Venant de quelqu'un qui peut contrôler l'électricité, c'est vraiment ironique.
Ici, tout le monde a des capacités surhumaines dépassant l'entendement, des dons qui leur rappellent constamment leur erreur humaine.
Elle, elle a écopé d'un fil apaisant autour du poignet et d'une couleur de cheveux voyante.
— Tu te moques de moi, Alex. Je ne sais que chanter.
Il claque des doigts pour allumer la vieille ampoule grésillante de l'appartement miteux.
— Justement. C'est ça qui les rend accros. Ils n'ont jamais vu quelqu'un comme toi. Ici-bas, ils n'ont pas tendance à voir de la poésie, ni du rêve. Tu leur redonnes de l'espoir.
Alexander attrape une bière dans le frigo qui gronde, ponctuellement d'un sinistre bruit de gouttes d'eau tombant sur le sol.
— Super, je peux donner du bonheur à des addicts au sexe. Ce n'est pas le but, déplore-t-elle en passant une main dans ses cheveux bleus.
Alexander la fixe, tapotant nerveusement son ongle contre le verre de la bouteille de bière. Son visage s'étire dans des grimaces satiriques, et elle sait bien que lorsqu'il est comme ça, il cherche à lui dire quelque chose.
— Tu sais, ce n'est pas parce que tu n'as pas de pouvoir que... , commence-t-il.
Elle le coupé net d'un signe de main.
— Ne t'engage pas sur ce terrain. On en a déjà parlé. Si je ne développe pas vite des pouvoirs, je pourrais me faire tuer. Mais même sans eux, je compte bien me battre.
Lénaelle le fixe longuement, les poings serrés, la gorge serrée de frustration. Elle sait qu'il a raison, mais ça ne l'empêche pas de ressentir ce vide, ce manque. Il a le pouvoir de manipuler l'électricité, de contrôler des machines, de créer des étincelles.
— Je te dis ça parce que ce n'est pas plus mal. L'Enfer a une idée bien à elle de ce qu'est l'ironie et la punition. Me donner le pouvoir de l'électricité pour me rappeler à vie que je suis mort sur une chaise électrique, explique doucement Alexander.
Alexander se mord la lèvre et s'approche doucement, les bras croisés.
— Sans pouvoir, je suis comme une souris dans une fosse aux lions. Si je meurs, je rejoins le néant total et ce n'est pas dans mes plans, réplique-t-elle en fronçant les sourcils.
Alexander soupire, prend une gorgée de bière et chasse la discussion d'un revers de la main.
— En parlant de tes plans, t'as rendez-vous demain au bureau des plaintes de l'Enfer.
Le regard de Lénaelle s'adoucit et ses épaules s'affaissent.
— Peut-être qu'ils vont enfin se rendre compte que c'est une erreur... Que je n'ai rien à faire ici... Que je ne devrais même pas être morte... Peut-être qu'ils me laisseront retourner chez les vivants.
Alexander secoue la tête, prenant une goutte de bière avec une étincelle de malice dans les yeux.
— Je doute qu'ils te laissent filer aussi facilement. T'es devenu leur nouvelle drogue. Mais peut-être que toi, tu sauras les convaincre.
— Je ne chante pas pour leur donner une raison de me garder mais pour qu'ils ne puissent pas ignorer mon message.
Alexander s'assoit en bordure du canapé, s'adossant contre l'accoudoir, prenant entre ses mains ses cheveux bruns.
— Le souci, c'est que ça n'est jamais arrivé qu'une âme ne se souvienne pas de sa mort, se mord-il la lèvre en triturant l'étoile de David posée sur son haut.
Depuis qu'elle est ici, cette phrase tourne dans toutes les bouches qu'elle a rencontrées. Impossible de revenir dans le monde des vivants. Si elle avait abandonné à chaque fois qu'elle en avait entendu les prémices, elle serait encore au fond du gouffre à se lamenter.
— Qu'importe ! Je leur dirai ce que j'en pense et crois-moi, si je dois chanter dans tous les bars qui appartiennent à Asmodée, je le ferai. Jusqu'à ce qu'un démon suffisamment élevé m'entende.
Elle caresse doucement le fil autour de son poignet.
Je reviendrai, papa.
Je reviendrai sur Terre, auprès de toi.
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Bonjour,
Merci pour la visibilité que vous avez donné à ces premiers chapitres.
Je suis heureuse de voir qu'ils ont réussi à conquérir votre coeur.
J'espère qu'il en sera de même pour les autres.
Lunarae.
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