Chapitre 1 : La scène
Un claquement. Ses talons viennent d'heurter le sol ferme de la scène.
Premier pas.
Face à Lénaelle, la caméra tourne. Un point rouge lui rappelle qu'elle est diffusée en direct dans tout l'Enfer. Des bougies dansent dans la salle, créant une atmosphère tamisée. D'ici, les alcôves d'un rouge feu semblent si grandes qu'elles l'écrasent presque.
Les sièges en velours sont pleins, des yeux avides de regarder avec autant d'envie que d'admiration. Ils s'amusent à fourrer du pop-corn plein leur bouche, leur ventre gonflant rien qu'à la vue de la marque de Belzébuth.
Elle inspire. Son cœur bat la chamade. Ses mains moites enserrent le micro alors qu'elle sent leurs regards appuyer sur sa performance. Ils vont chercher la moindre, le plus petit défaut à peine perceptible.
Elle touche le léger fil rouge sur son poignet pour s'apaiser. Étrangement, ce simple contact est ce qui l'a soutenu ces derniers mois. L'un des seuls cadeaux qu'elle a écopés à sa mort : un bracelet fin, impossible à enlever, et des cheveux turquoise.
Elle se tient de nouveau droite face à eux, la tête haute. Son regard les défie de la juger ou d'émettre le moindre son. Elle reste impassible pour que sa voix résonne jusque dans leur âme.
Mais intérieurement, elle ne peut s'empêcher de trembler à l'idée que l'on ne l'entende pas. Elle veut que sa voix fasse écho jusqu'au bout de l'Enfer pour qu'on la prenne au sérieux.
Les premières notes s'élèvent du piano. Elle expire. Elle ferme les yeux un instant, puis les rouvre, plongeant son regard dans l'immensité de l'audience. Sa voix s'élève, d'abord douce comme une brise, chaque mot glissant, caressant l'âme des spectateurs.
Elle veut les toucher. Elle veut qu'ils ressentent son cri d'injustice qui ébranle son âme.
"Des oiseaux qui volent haut... Tu sais ce que je ressens...
Du soleil dans le ciel... Tu sais ce que je ressens..."
Sa voix s'étire, mélancolique, profonde, jonglant avec le vibrato et la voix de poitrine. Chacune de ses syllabes est une plaie ouverte qu'elle leur partage. Les chuchotements dans la salle se calment. Les rires s'éteignent, remplacés par une fascination presque dérangeante.
"C'est une nouvelle aube... C'est un nouveau jour... C'est une nouvelle vie... Pour moi..."
Sa langue claque contre son palais. Ses mots résonnent à en faire vibrer les bougies. Comme la flamme, elle oscille à chaque rythme pour finir dans le plus beau des brasiers. Elle attise le groove de sa voix. Elle projette toute sa haine pour cet endroit et toute sa douleur.
Cette chanson est un appel au combat. Ces notes sont un cri de guerre.
Je ne devrais même pas être morte. Je n'en garde aucun souvenir, se répète t'elle.
L'Enfer éternel a pour seul but de tourmenter les âmes avec le poids de leurs vies passées.
Et même si elle était réellement morte... elle ne devrait pas être ici. Jamais elle n'a commis la moindre faute. Elle a travaillé jusqu'à s'épuiser pour payer les factures de son père. Elle l'a soutenue quand son esprit le trahissait.
Elle ne l'a pas fait pour qu'on lui rende un jour, mais simplement parce qu'elle l'aimait.
Si elle est ici, c'est une erreur. Une erreur qui lui a coûté ce dernier mois de larmes et de souffrances, à se recroqueviller dans un coin d'une chambre miteuse.
Mais c'est fini. Fini les larmes et l'apitoiement de soi. Elle va se faire lever. Se sentir mieux que jamais. Et crier ses revendications, pour retourner auprès de son père.
"Et je me sens... Bien."
Ses notes sont ses armes. Ses paroles sont sa voix. Ses musiques sont dénonciatrices. Sa voix s'enflamme, rugit, se brise presque, avant de s'adoucir pour les captiver encore plus. Elle s'avance lentement, s'imposant à la lumière des projecteurs.
Ses yeux océans s'accrochent à la caméra, trouant presque l'objectif. Elle pointe un doigt vers l'audience, accusatrice. Eux qui ne veulent pas l'entendre, ils seront obligés de lever les yeux sur ce jugement injuste.
Elle sera cette flamme qui tangue mais jamais ne vacille. Elle s'accrochera à cette vie jusqu'à ce que la dernière goutte de cire tombe sur cette scène.
"Les étoiles quand tu brilles... Tu sais ce que je ressens...
L'odeur du pin... Tu sais ce que je ressens..."
Les flammes des torches murmurantes dans la salle semblent frémir sous la puissance de ses paroles. Les sièges vibrent légèrement. Elle chante comme si elle appelait les étoiles elles-mêmes, comme si elles voulaient briser le plafond de cet Enfer, pour que son chant atteigne Dieu.
Elle va faire ce pourquoi elle est douée depuis qu'elle est née.
Même s'ils veulent lui refuser la parole, elle continue jusqu'à être reconnue.
"La liberté m'appartient... Et je sais ce que je ressens !"
Elle sera de nouveau libre.
Une vague d'énergie déferle dans la salle, comme si la chanson elle-même redonnait un semblant d'humanité à ces âmes damnées. L'audience ne respire plus, heureuse par la lumière dans l'obscurité. Elle s'agenouille au bord de la scène, plongeant son regard dans la caméra.
"C'est une nouvelle aube... C'est un nouveau jour... C'est une nouvelle vie... POUR MOI !"
Elle hurle presque, sa voix vibrante de rage et d'espoir, avant de retomber dans une douceur presque apaisante.
"Et je me sens... Bien."
Le dernier accord vibre encore dans l'air. Ses mains tremblent légèrement autour du micro. Ses jambes se figent dans cette lumière crue. Un silence épais dans l'enveloppe. Pas un bruit. Pas un murmure. Juste ce vide qui s'étend devant elle.
Ils n'ont pas aimé. Elle le voit dans leurs regards ternes, dans leurs visages de pierre. Qu'est-ce qu'elle espérait ? Ce n'est pas ici, en Enfer, que l'on vient écouter une voix chercher des nuances, explorer des émotions. Ici, on hurle, on grince, on dévore. Pas de place pour sa voix, trop humaine, trop fragile.
Elle ravale sa salive, le goût amer de l'échec lui brûle la gorge. Ses yeux glissent sur la foule figée. Un démon au fond décroise lentement les bras. Une âme en lambeaux écrase ce qui reste de son pop-corn sous un sabot fendu. Elle inspire, prête à s'effacer dans les coulisses.
Puis, soudain, un claquement sec perce l'air. Une autre frappe principale. Puis une autre.
Comme une étincelle dans des cendres froides, les applaudissements jaillissent. Des sifflements stridents résonnent, des hurlements rauques d'approbation.
Des âmes damnées se lèvent brusquement, les sièges grincent, les ombres se déchaînent. Des cornes s'entrechoquent, des ailes déployées battent l'air. Le sol vibre sous leurs acclamations. Des pop-corn carbonisés volent dans les airs et retombent en pluie noire.
Elle reste figée un instant, le souffle coupé. C'est réel. Ils crient. Sa gorge se serre, mais cette fois, ce n'est pas l'amertume.
C'est une chaleur brute qui monte, une onde qui la traverse. Elle esquisse un sourire.
—Papa je promets de te retrouver, murmure Lénaelle, le visage apaisé.
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Bonjour,Merci beaucoup pour votre lecture.Qu'avez-vous pensé de cette scène ?Lunarae.
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