CHAPITRE 7 ✦ Couturier et infirmier
un an onze mois et trois jours plus tard
— Outch !
Le gémissement de douleur échappe à Tristan alors qu'il vient de s'enfoncer une aiguille au plus profond de l'index. Celle-ci s'écrase sur le sol en compagnie du tissu bleu roi qu'il était en train de coudre dans la seconde suivante. Il porte sa main à sa bouche et aspire la goutte de sang se mettant à pointer.
— Ça va Tristan ?
La voix résonne de l'autre côté de sa porte de bureau fermée. Il se dirige vers celle-ci et l'entrouvre légèrement. Dans le couloir se trouve Jules qui le regarde avec ses magnifiques yeux remplis d'inquiétude. Il lui adresse un sourire rassurant avant de se glisser à son tour dans l'espace adjacent et de refermer rapidement la porte derrière lui.
— Oui, je me suis juste piqué avec une aiguille.
Les doigts sont saisis avec délicatesse. Les prunelles se posent sur la goutte de sang gonflant légèrement chaque seconde passant. Elles l'observent avec insistance alors qu'elle commence à rouler doucement sur son index une fois qu'elle est devenue suffisamment lourde pour que la gravité fasse son effet.
— Je vais chercher du désinfectant.
Le blond n'a pas le temps de dire à son petit-ami que ce n'est vraiment pas la peine et que cette blessure est rien du tout qu'il est déjà en train de se diriger vers la salle de bain. Il le suit silencieusement, ses pieds recouverts de chaussettes en laine ne faisant aucun son alors qu'ils frôlent le parquet. Bientôt, des mains sont portées à ses épaules pour le faire assoir sur le bord de la baignoire alors que le brun fouille dans le petit placard en désordre qui fait office de pharmacie. Cela fait pourtant bien longtemps qu'il n'est plus suffisant pour contenir tout ce qui est utile au soin de l'ancien pompier.
Sa main est doucement attrapée comme si Jules avait peur de le blesser et bientôt la compresse remplie de produit est appliquée sur la légère plaie comme l'aurait fait un infirmier. Il réprime une grimace d'inconfort. Si avant il aurait fait tout un cinéma à cause du produit piquant, il a désormais compris que cela n'atteint même pas un sur l'échelle de la douleur, quand bien même il sait être particulièrement douiller. Il sait pourtant que trop écouter son corps lui joue également des tours dans le cadre de son métier de sportif. À trop s'analyser et s'arrêter dès qu'il pense avoir un début de blessure, il s'interdit certainement également des choses et descend dans l'estime de ses entraineurs le trouvant trop faible. Il ne peut malgré tout pas s'en empêcher alors que celui qu'il côtoie chaque jour ne montre quasiment jamais la douleur qui doit pourtant encore et encore le transpercer.
— Et voilà réparé.
Il sourit alors qu'un petit pansement coloré est appliqué sur son doigt. Normalement, il s'agit de ceux achetés pour leur neveu. Mais alors qu'un petit super-héros se retrouve collé sur le bout de son index, il est heureux. Il entrouvre la bouche alors que la bouche de Jules se porte à sa main suite à ses mots mais ne dit rien, son cœur accélérant soudainement brusquement alors que le rouge monte sur ses joues et que son souffle se coupe quelques secondes. Mais sa réaction ne doit pas passer inaperçue, car en face de lui, les lèvres s'étirent d'un léger sourire quand les prunelles azur se reposent sur lui.
— Merci.
Le mot s'élève en un murmure dans la salle de bain qu'ils ont toujours trouvée trop petite alors qu'il se lève. Il la trouve toujours aussi étroite alors que le corps de son fiancé est bien trop proche du sien. Il se demande quand ils ont été aussi près pour la dernière fois et sent ses joues se mettre à rougir alors qu'il peut sentir la chaleur émanant de Jules pour la première fois depuis des mois.
Il se racle la gorge, essayant de penser à autre chose qu'à son petit-ami bien trop proche de lui alors que ce n'est pas fait exprès. Les yeux clairs qui se posent sur son visage semble finalement comprendre son inconfort car une main vient se porter à la chevelure brune de l'ancien pompier qui regarde subitement partout sauf dans sa direction. Dans la poitrine de Tristan, son cœur a un léger sursaut alors qu'il a l'impression que l'azur qu'il aime tant traine un peu trop sur ses lèvres et que les portions de joues qu'il peut voir rougissent légèrement.
Il essaie de reculer un peu, de remettre un peu de distance entre leurs organismes, mais la vasque du meuble l'empêche de s'éloigner. À l'époque, l'étroitesse de cette pièce et cette vasque étaient aussi une des raisons pour laquelle ils l'aimaient – parfois. Des souvenirs pas vraiment enfouis remontent. Ceux de prunelles bleutées fixées dans les siennes dans ce lieu. De baisers posés sur son épiderme. De lèvres trainant dans son cou. De la peau à portée de ses doigts. De mouvements parfaits pour lui faire perdre la tête et d'une bouche transmettant un amour infini alors qu'elle se posait sur la sienne.
— Faut que... Faut que je sorte.
Son épaule rentre légèrement en contact avec celle du brun faute s'espace suffisant pour s'échapper alors qu'il quitte brusquement la pièce avant que celui lui ayant rendu sa bague n'ait le temps de réagir. Alors qu'il tourne la tête avant de sortir, il peut voir l'incompréhension trainant dans les iris qu'il aime tant et la tristesse s'y installant. Le blond au sourire se perdant avec le temps passé éloigné de son bien-aimé sent son cœur se fissurer légèrement à cette vue. Mais il ne peut pas. Il ne peut pas rester avec lui alors qu'il provoque bien trop de choses, qu'il bouleverse son cœur et son corps. Pas alors qu'il ne pourra jamais lui donner ce qu'il veut. Et Tristan n'a surtout pas envie qu'il croit qu'il n'était plus suffisant désormais. Parce que ça ne serait jamais vrai. Parce que du départ, il n'avait eu besoin que de ses beaux yeux couleur méditerranée.
La porte de la chambre d'amis claque derrière lui alors qu'il s'y engouffre. Il se laisse tomber dans les draps aux tons pastel. C'était l'une des premières choses qu'il avait confectionnées après qu'ils aient acheté leur maison ensemble. De la couture bien loin des costumes mais certainement encore plus utile. Son nez s'enfonce dans l'oreiller, mais il n'y trouve aucune trace du parfum de Jules. Il n'y a que l'odeur de sa lessive. Les larmes lui montent lentement aux yeux même s'il tente de les contenir. La tristesse d'être à distance de celui qu'il aime se mêle à la honte d'avoir projeté sur lui un désir qu'il lui avait bien fait comprendre ne plus vouloir de sa part.
Mais peut-être que Jules comprendrait à quel point l'absence contrainte de contact depuis maintenant presque deux ans rendaient certaines situations délicates de son côté. Et alors que quelques minutes loin de lui passent, Tristan ne peut pas s'empêcher de penser qu'en cet instant, il donnerait absolument tout pour les rendre bien plus agréables avec lui.
Bientôt, le blond se réenferme dans son atelier. Il est perdu au milieu des tissus quand quelques coups sont frappés à la porte. Il dépose ses ciseaux et se lève pour se diriger vers la porte. Il a les yeux baissés alors qu'il l'entrouvre, ne sachant plus trop comment agir. Quelques jours plus tôt, il aurait tout donné pour avoir son petit-ami s'inquiétant pour lui, et qu'il l'avait désormais fait, il était perdu, chamboulé par la proximité à laquelle il n'était plus habitué.
— Tu me laisses pas rentrer ?
Il relève ses yeux verts et croisent ceux où trainent le doute.
— Si si, entre. C'est chez toi aussi tu sais.
Pourtant, il n'est pas certain de savoir. Dans ce bureau oùlui-même à mis des mois à retourner, il croit bien que Jules n'y a plus jamais mis les pieds depuis son accident. Si avant c'était par envie de surprise, désormais, c'était par opposition avec l'idée de sortir. Mais depuis Halloween, Tristan voulait tester son idée, le faire sortir masqué. Écumer toutes les soirées déguisées les visages bien camouflés pour pouvoir s'amuser à deux comme ils le faisaient avant.
L'air est curieux et un peu apeuré alors qu'il entre dans la pièce. De son côté, le souffle de Tristan se coupe. Il craint la réaction de Jules quand il comprendra ce qu'il est en train de faire avec tous les tissus se perdant aux quatre coins de la pièce. Sur des mannequins, des débuts de déguisements sont fixés, ceux sur lesquels il est en train de travailler. Mais dans les prunelles océan qui lui plaisent tant, celles dont il ne pourra jamais se lasser, il ne voit pas la moindre colère. Le bleu reste celui d'un beau ciel d'été. Le soleil y brille et le fait pétiller, bien loin de la tempête potentiellement envisagée.
— C'est pour quand ?
Les doigts effleurent le tissu bleu roi sur lequel du rouge est en train d'être cousu. Tristan le regarde faire sans rien dire alors qu'il semble analyser tous les recoins du lieu, cherchant à reconnaitre des déguisements à peine entamés. Il y en a trop, trop pour lui et son ex-fiancé pas forcément prêt.
— Je sais pas encore, j'ai encore plusieurs semaines de travail sur tous.
Les lèvres de Jules s'entrouvrent, puis se referment. Dans le regard océan, il lit une crainte qu'il n'arrive pas à identifier. Et pourtant, il était désormais habitué à y lire de la peur, de la tristesse ou de la colère, bien loin de la malice et de l'amour qu'il y lisait autrefois.
— Est-ce que... Est-ce que tu en fais deux ou... ?
Tristan note ses hésitations, son appréhension avant d'entendre la réponse. Il saisit la fin de la phrase sans qu'elle ne soit prononcée. Le ou est-ce que tu en fais juste pour toi qui plane dans l'atmosphère. Ses lèvres rosées s'étirent en un fin sourire.
— Est-ce que tu voudrais que j'en fasse deux ?
La voix est douce alors qu'elle répond. En face de lui, Jules a la bouche qui s'étire un peu, les pupilles qui brillent pendant quelques secondes. Et pendant le temps que cela dure, le blond a l'impression de le retrouver. Juste le temps de instant, c'est furtif comme une étoile filante mais celle-ci semble terminer sa course au plus profond de son propre cœur qui s'embrase tel l'astéroïde entrant à vive allure dans l'atmosphère pour y terminer son long voyage dans le vide. Comme elle, Tristan a l'impression que l'éloignement a enfin atteint sa fin après une longue éternité.
La tête est secouée d'un petit mouvement du bas vers le haut.
— Oui je veux bien.
Le murmure s'élève alors que les prunelles vertes s'illuminent d'une joie intense. Une qu'il n'a que peu vécue. Il tend sa main en direction de l'autre, les doigts légèrement entrouverts en une légère proposition.
— Ça tombe bien, parce que j'en avais pas prévu qu'un.
La peau abimée se glisse contre la sienne alors que les doigts s'effleurent. Il faut quelques secondes à Jules pour se saisir de cette main offerte. Les dernières phalanges sont doucement pressées pendant une brève seconde.
— Merci.
Le couturier a la gorge nouée, bien incapable de sortir le moindre son. Le silence s'installe donc dans le lieu, reprenant son règne habituel. Mais pour une fois depuis des mois, alors qu'il a les doigts de Jules glissés dans les siens, il s'en moque bien.
ils m'ont manquééééé !
de retour ici. je vais essayer de pas vous faire réattendre un an avant le prochain chap :)
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