CHAPITRE 6 ✦ Halloween

un an dix mois et vingt-et-un jours plus tard

Halloween a toujours été une de ses fêtes préférées. Année après année, il préparait un costume différent pour parcourir la ville en compagnie de son frère et sa sœur. Recouvert d'un drap percé et manquant de tomber alors qu'il était en fantôme. Enrubanné dans du papier toilette qui se défaisait à chaque pas alors qu'il était en momie. Chevauchant un balai et la tête ornée d'un chapeau pointu alors qu'il était un sorcier. Le visage blanchit avec le coin des lèvres dégueulant de rouge tandis qu'il était un vampire. Oui Halloween est l'une des fêtes préférées de Tristan puisqu'avec elle on peut toujours aisément se déguiser.

Alors qu'il était à la fac, c'était l'une des rares soirées où tout le monde jouait le jeu. Il était toujours facile de trouver quelques potes pour faire une soirée où chacun venait dans un rôle différent quand dans d'autres ce n'était pas le cas. Parfois, il observe les photos venant de l'autre côté de l'Atlantique où la fête prend des tournures plus grandioses et envie les participants à celle-ci. Et puis il repense à son magnifique déguisement de citrouille et se rassure en se rappelant qu'il y a bien des monstres encore à tester et qu'il pourra toujours améliorer certains de ses costumes préférés pour cette soirée si chère à son cœur. Car le sportif avait longtemps vécu pour deux journées dans l'année : le carnaval et la fête des monstres.

Il laisse ses doigts glisser sur les deux déguisements déposés sur le lit de la chambre d'amis. Il les effleure alors qu'il admire son travail des dernières semaines. Ses prunelles verdâtres trainent sur le costume de fantôme et celui de momie nettement plus sophistiqué que celui qu'il portait quand il était encore un jeune enfant. Normalement, il ne devrait pas partir en lambeaux en milieu de soirée. Il finit par les soulever et déposer dans un sac de courses avant de dévaler les escaliers de sa maison.

Dans le canapé, il retrouve Jules le regard perdu sur le poste de télévision. Son estomac se serre à cette vue à laquelle il n'est pas habitué. Le silence est brisé par les voix des personnages de la série que son compagnon est en train de regarder. Les larmes lui montent aux yeux alors que ses prunelles se posent sur sa main à l'annulaire désormais vide. La bague jadis offerte rendue et précieusement glissée dans le tiroir de sa table de nuit. Il serre les poings alors qu'il tente de se donner du courage pour une énième tentative de sortir celui dont la vie semblait être partie en même temps que sa peau fondait dans les flammes par un jour de froid glacial. Son estomac se noue alors qu'il approche d'encore quelques pas. Le visage marqué finit par se tourner vers lui.

— Tu voulais quelque chose ?

Le ton est froid, le sourire absent et les yeux clairs dont il est tombé amoureux vides. Il retient les mots qu'il crève d'envie de dire pour essayer de le faire réagir. Ceux qu'il garde pour lui dans l'espoir de ne pas le faire fuir celui qui est presque un étranger chez lui. Le feu n'avait pas uniquement abimé son bien-aimé, il avait également fait partir en fumée l'amour qu'il lui portait et Tristan tentait vainement de maintenir une faible flamme en entretenant les braises refroidissant chaque jour un peu plus. Tristan veut bien quelque chose. Il voudrait pouvoir embrasser l'homme qu'il aime, qu'il le regarde, qu'il arrête de l'éviter. Il aimerait qu'il continue de l'aimer et qu'il arrête de passer ses journées posé sur le canapé. Il donnerait tout pour qu'il aille se balader en sa compagnie, qu'il l'accompagne quand il fait leurs courses ou un tour en ville.

Ce n'est jamais le cas et après des semaines à avoir mis sa carrière en arrêt dans l'idée de passer du temps avec lui à sa sortie de l'hôpital, le blond a fini par reprendre le hand à plein temps. Parce qu'il s'ennuyait chez lui alors qu'il n'y était pourtant pas seul. Il inspire une grande bouffée d'air avant de se jeter dans le grand bain de ses espoirs qui vont nécessairement être une nouvelle fois réduits en cendres.

— C'est Halloween et.

— C'est non.

Ses lèvres tombent, son visage s'affaisse. Les yeux bleutés dans lesquels il avait pu une seconde plonger sont de nouveau tournés vers la télévision.

— D'accord...

Sa voix se brise et une larme se met à rouler sur sa joue. Ses iris se perdent dans le vide alors qu'un sanglot franchit la barrière de ses lèvres. Le sac remplit des déguisements dans lesquels il a mis tant d'heures de travail s'écrase au sol alors qu'il se détourne et se prépare à retourner dans la chambre d'amis où il habite depuis que Jules est sorti de l'hôpital.

Des doigts agrippent les siens. La prise l'empêche d'aller plus loin. Il laisse son regard tomber sur les doigts liés pour la première fois depuis des semaines. Un nouveau sanglot lui échappe à cette pensée.

— Tristan...

La seconde main encore recouverte de protections se porte à son visage, en forçant le mouvement. Ses prunelles vertes se perdent dans celles bleutées embêtées et tristes. Il se noie dans les iris océan alors que les larmes débordent et se mettent à ruisseler sur ses joues pâles.

— Je... Je peux pas... C'est trop dur. C'est pas contre toi.

Il se laisse basculer vers l'avant, la tête tombant dans le creux du cou. Pendant quelques secondes, il sent le corps qui se crispe contre le sien avant que les bras de celui qu'il considère encore et toujours comme son fiancé finissent par l'envelopper et le presser contre lui. Glissé contre lui, il a l'impression d'enfin respirer. Il laisse les larmes continuer inlassablement leur course sur son visage alors que sa douleur depuis de trop nombreux mois ressort enfin.

Parce que pour Tristan, c'est contre lui. C'est à lui qu'on a rendu une bague de fiançailles. C'est à lui qu'on refuse toutes les sorties. C'est lui qu'on refuse d'embrasser et dans les bras de qui on ne veut plus dormir. C'est lui qu'on évite comme s'il était un pestiféré. Quand il avait appris pour l'accident, Tristan avait craint le pire. Pendant des semaines sa vie s'était mise en parenthèse avant qu'elle ne reprenne quand son beau pompier avait été sauvé. Depuis que le brun est de retour chez lui, il se demande pourtant si une partie de lui, celle de Jules qui l'aimait n'est pas morte dans ces flammes.

— Je sais, mais tu me manques.

Le Jules qui l'accompagnait partout lui manque. Celui qui l'accueillait d'un sourire lui manque. Celui qui se rendait en soirées costumées après avoir pris des heures à confectionner des déguisements lui manque. Celui contre qui il se glissait chaque nuit lui manque. Celui avec qui il pouvait discuter de la pluie et du beau temps pendant des heures lui manque. Et surtout, la douceur et le bonheur toujours présents dans le regard azuré lui manquent énormément.

Dans son dos, il sent l'étreinte se resserrer encore un peu plus. Il sait aux mouvements contre lui que son petit-ami est également en train de pleurer. Ses épaules sont régulièrement secouées.

— Moi aussi je me manque.

Il se recule, se laissant happer par les yeux océan brouillé de gouttes salées. Une d'entre elle s'échappe et roule sur le masque de protection posé sur son visage.

— Est-ce que... Est-ce que je peux quand même te montrer le déguisement que je t'ai fabriqué ? Même si c'est pour l'année prochaine ?

Une lueur étrange passe dans les prunelles adverses avant que la tête ait un léger mouvement de bas en haut. Délicatement, il sort un premier costume et le dépose doucement sur le canapé. Une partie des bandelettes s'écrasent au pied de celui-ci. Une fois celui de momie installé, il récupère le second et le place à côté du premier.

— Ils sont très beaux.

À côté de lui, le brun a les iris fixées sur les deux costumes. Il les laisse trainer sur les deux objets.

— Je voulais faire une citrouille au début, mais j'ai pas réussi.

Une moue déforme sa bouche légèrement alors qu'il laisse trainer ses yeux verts sur celui de fantôme.

— Toi, tu n'as pas réussi à faire un déguisement ? Mais que t'arrive-t-il ?

Il a l'impression que son cœur se détend alors que l'ironie et la malice résonnent dans la pièce.

— Il faut bien une première à tout !

Son rire résonne et pour la première fois depuis des semaines un second le rejoint. Il les laisse mourir en parfaite harmonie avant de s'approcher des deux habits.

— Je sais pourquoi tu veux pas tu sais. Mais personne saura et tu pourras sortir, faire la fête, revoir la bande sans qu'on pose de questions.

Il montre d'un geste de la main les visages entièrement recouverts quel que soit le déguisement choisi. Les bras cachés par le voile blanc du fantôme ou les bandelettes ne laissant rien dépasser sur cette partie du corps. Il y avait réfléchi pendant des jours entiers alors qu'il le voyait dépérir à ne pas vouloir sortir. Il y avait réfléchi alors qu'il avait la gorge nouée de le voir aussi abattu et immobile. Il y avait réfléchi avant que son estomac se retournait à l'idée qu'il ne semblait plus avoir envie de rien, même des choses qu'il aimait tant avant. Et à ses yeux, les bals masqués, ce qui était tout pour eux était la meilleure façon de sortir. Parce que sous un masque, Jules pouvait être qui il voulait et tout ce qu'il ne voulait pas être. Et si Jules était un fantôme ou une momie, il n'était peut-être plus un grand brûlé.

Mais ce n'était pas à lui d'en décider. Il retient son souffle alors que les doigts s'approchent du tissu, l'effleurent et s'en saisissent pendant quelques secondes, faisant voler le léger tissu immaculé.

— Je peux être le fantôme ?

La voix est hésitante et les prunelles inquiètes. Il espère que Jules n'est pas déjà en train de regretter. Il espère qu'il ne se force pas juste pour lui faire plaisir. Son visage est hoché si vivement que Tristan s'en fait mal au cou et qu'un grognement lui échappe.

— Oui tu peux être le fantôme !

Il l'avait plutôt fait pour lui, parce que les mensurations étaient plus larges. Il connaissait par cœur les mensurations de son compagnon avant, pouvant lui confectionner n'importe quel habit qu'il lui aurait demandé, mais il n'était pas certain qu'elles n'aient pas bougé. Alors avec son fantôme, il était certain que cela lui irait.

— Même si tu dis toujours que c'est donc déguisement préféré ?

Il lui sourit doucement alors que les yeux bleus paraissent étonnés. Il en sait la raison. Il a toujours détesté se faire prendre son déguisement. Cela avait fait l'objet à plusieurs reprises de disputes quand tous deux souhaitaient avoir le même costume. Dans ces cas-là, c'était toujours le pompier qui cédait. Il hausse les épaules.

— J'aime bien aussi la momie.

Il reste pendant quelques secondes silencieux alors qu'il récupère son propre costume. Son cœur bat à mille à l'heure et il espère que son espoir ne finira pas réduit en cendres d'ici quelques heures.

— Ça sera encore plus mon monstre préféré si tu le mets vraiment ce soir.

Seul le vent soufflant sur les vitres résonnent alors qu'ils restent côte à côte à observer le drap étalé devant eux. Bientôt, une main vient se glisser dans la sienne, la pressant doucement. 

Merci Tristan. 

Il arque un sourcil tout en tournant la tête. La voix est rauque et les yeux pleins de larmes. Aussitôt, sa gorge se noue et ses propres prunelles s'emplissent du liquide près à déborder depuis des jours entiers. 

D'avoir créé ça pour moi. 

Quand les prunelles se mettent à briller pendant quelques secondes dans l'air silencieux de leur petit salon alors qu'il se saisit du tissu et vient se serrer contre lui, il sait que, peut-être, il tient la solution pour sauver sa relation et voir enfin de nouveau briller le bonheur dans les yeux si parfaits de son fiancé. 

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